Version française de notre éditorial du mois de septembre sur la crise de réfugiés en Europe.

L’actuelle crise des réfugiés ne devrait pas nous surprendre. Depuis plus de dix ans, il n’existe plus, dans ce qui fut autrefois l’Irak, de structures étatiques capables de protéger les citoyens de la violence et de l’arbitraire. La Syrie (qui, comme l’Irak, la Jordanie, le Liban et la Palestine, a été créée de toutes pièces par la diplomatie européenne après la Première Guerre mondiale) n’existe pas davantage. Une partie de sa population en fuite (entre 1,5 et 2 millions de personnes), bloquée depuis trois ans dans des camps gigantesques à la frontière turco-syrienne, s’apprête à migrer vers l’ouest dans l’espoir d’y trouver une terre d’accueil. Quelque 1,5 millions de Syriens ont temporairement trouvé refuge au Liban qui ne peut pas leur offrir d’asile à long terme. Des centaines de milliers patientent en Jordanie en rêvant d’un avenir pour leurs enfants.

En Afghanistan, l’Occident retire ses troupes, abandonnant sur place des centaines de milliers de gens qui n’ont aucune perspective sous le règne des talibans. Dans la corne de l’Afrique, des Etats sont en échec et la sécurité de leurs populations est devenue un vain mot : la Somalie, l’Erythrée, le Soudan du Sud et le Yémen ne sont pas en mesure d’assurer la (sur)vie de leurs citoyens. Au sud du Sahara, beaucoup de gens courageux se mettent en route vers la Méditerranée en espérant y trouver des bateaux pour rejoindre les côtes européennes.

Tandis qu’en chiffres absolus, les différents flux migratoires atteignent des proportions bibliques et que l’Union européenne et ses Etats membres discutent du renforcement, voire de la reconstitution des frontières, des business models barbares surgissent le long des routes migratoires vers l’Europe. Comme au Mexique, des hors-la-loi, des racketteurs et des trafiquants d’êtres humains attendent leurs victimes. Mais plus il y a de migrants sur les routes, plus grandes sont les chances de ne pas se faire repérer dans la masse – et d’arriver au but. L’évaluation rationnelle des risques et coûts encourus penche de plus en plus au profit des individus qui ont à leur disposition un peu de ressources financières (et de l’éducation), sont en bonne santé et n’ont rien à perdre. Et le mouvement s’accélère depuis qu’on sait que l’Europe n’est pas préparée et n’a pas de solutions à offrir.

Contrairement aux tremblements de terre et aux tsunamis, les grands mouvements migratoires ne sont pas des événements naturels imprévisibles. Peut-on les arrêter, les contrer ? La réponse est probablement non, mais était-il inévitable de commettre autant d’erreurs ? La frileuse politique méditerranéenne mise en place par l’Union européenne dans les années 90 a été abandonnée, la crédibilité de l’UE décroît un peu plus à chaque nouvelle crise, les pays au sud de la Méditerranée sont priés de se débrouiller seuls. Pendant ce temps, des économistes et des scientifiques n’ont cessé d’alarmer sur les conséquences du changement climatique, qui toucheront les pays occidentaux via les vagues migratoires attendues. Observateurs de la politique et ONG attirent depuis plusieurs dizaines d’années l’attention sur les effets catastrophiques de la politique agricole de l’Europe (et des Etats-Unis), qui n’hésite pas à forcer l’ouverture des marchés et détruire les moyens de subsistance des paysans en Afrique, en Asie, en Amérique latine et au Proche-Orient.

D’un côté, il y a les traités de « libre » échange extorqués par la force, de l’autre les déclarations larmoyantes du président de la Commission européenne quand il rappelle que la Commission se bat pour assurer l’accueil réglementé et la répartition de 60.000 réfugiés. On est tenté de lui demander si, dans la précipitation, il n’aurait pas oublié un zéro quelque part. Les efforts de la Commission et l’appel de son président à faire preuve de « courage collectif » face à la tragédie des réfugiés doivent être décrits pour ce qu’ils sont : une abjecte poudre aux yeux, d’autant plus quand, parallèlement, la Commission cède à la pression des producteurs agricoles (laitiers) et va continuer à subventionner leurs exportations.

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(CC BY-NC 2.0 by Giorgio Raffaelli)

Heureusement, le gouvernement luxembourgeois est bien préparé. En vertu de ses accords avec la Commission, le Luxembourg est prêt à accueillir en deux ans pas moins de 350 des 60.000 réfugiés cités ci-dessus ! Les structures nécessaires sont en place, à déclaré le Premier Ministre lors d’une interview (LW, 27.8). Mais depuis plusieurs années, quelque mille réfugiés arrivent déjà chaque année au Luxembourg de leur propre initiative – sans tenir compte des quotas européens.

Il est possible que Xavier Bettel veuille sincèrement croire que le Luxembourg ne deviendra pas une destination de prédilection pour les réfugiés, que l’information ne circulera pas et que les migrants ne connaissent pas Facebook. Evoquer le chiffre de 350 réfugiés, c’est comme si Madame Merkel tentait de rassurer les Allemands en déclarant que l’Etat allemand et ses communes étaient parfaitement préparés à l’arrivée de 12.500 personnes (que la Commission européenne veut leur attribuer), alors que le Ministre de l’Intérieur évoque d’ores et déjà le chiffre de 800.000 pour l’année en cours.

Intellectuellement au moins, le Luxembourg se prépare à toute éventualité. Dans le débat estival sur la mendicité organisée (mais sans doute pas criminelle), l’opinion publique s’est exprimée dans les forums RTL sur les limites de l’ouverture, de la flexibilité et de l’empathie (voir www.nationbranding.lu) dans ce pays.

Mais la possibilité de faire du shopping dans la « City » luxembourgeoise sans être importuné n’est pas seule en cause. L’accueil de centaines de milliers de réfugiés de guerre et de la pauvreté en Europe pourrait s’avérer une chance pour l’équilibre démographique de notre continent vieillissant, mais il met aussi au défi nos systèmes sociaux déjà sous pression économique et idéologique. Par ailleurs, les vagues migratoires représentent également un défi pour notre système juridique supposé garantir la dignité, la sécurité et l’intégrité de toutes les personnes en Europe, tout en réduisant pratiquement à néant les possibilités d’immigration légales. Ce qui est en jeu sur les îles grecques, en Italie, à Calais et sous les ponts de la Seine, aux frontières hongroises et slovaques, à Heidenau et aussi au Luxembourg, ce n’est pas seulement la nouvelle orientation de notre politique d’asile, mais celle de l’ensemble de notre contrat social.

PS. Exodus, « l’Exode », n’est pas seulement un chapitre de la Bible (second livre de l’Ancien Testament) mais également le titre d’un très intéressant livre de l’économiste britannique Paul Collier sur l’impact économique des mouvements migratoires.

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