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La révision de la Constitution : Le chapitre VI sur la justice
Le 20 octobre 2021, la Chambre des députés a adopté en première lecture, à une large majorité de 51 votes, la proposition de révision n° 7575 du chapitre VI de la Constitution relatif à la justice. Cette proposition de révision, déposée en mai 2020, s’inscrit, selon ses auteurs, dans la logique d’une « révision substantielle de la Constitution actuelle par étapes au lieu d’une Constitution nouvelle », à la suite de l’abandon de la proposition de révision globale n° 6030.
Cette révision partielle devrait être suivie du vote de trois autres propositions : n° 7700, n° 7755 et n° 7777 portant révision des autres chapitres de la Constitution. Le choix de la justice, comme premier pas de ce processus, est fondé sur la considération que les dispositions en cause sont d’ordre technique et que leur révision n’aura « pas de répercussions sur d’autres chapitres de la Constitution » qui, dans l’immédiat, resteront inchangés. Sous réserve de la question du statut du ministère public, la proposition de révision n° 7575, dans sa version initiale, a d’ailleurs repris, pour l’essentiel, les dispositions de la proposition de révision n° 6030.
Les travaux parlementaires se sont poursuivis à un rythme soutenu, avec une prise de position du gouvernement, des avis du Conseil d’Etat, des chambres professionnelles, des autorités judiciaires et du barreau des avocats ainsi que deux trains d’amendements adoptés par la commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle (ci-après : la commission).
Pour répondre à des problèmes urgents, le constituant a encore adopté, en 2019 et en 2020, « par anticipation » deux dispositifs déjà prévus dans la proposition de révision n° 6030 portant révision de l’article 95ter de la Constitution sur la Cour constitutionnelle.
Les points essentiels de la révision du chapitre de la Constitution relatif à la justice, dans le cadre de la proposition de révision globale n° 6030, ont été présentés en octobre 2019 dans le n° 399 de Forum. Il ne s’agit pas de revenir sur ces questions, mais d’analyser l’évolution du dossier depuis 2019 et les modifications successives des textes proposés.
La proposition de révision articule le futur chapitre VI de la Constitution en cinq paragraphes, qui reprennent les cinq sections du chapitre 7 de la proposition de révision n° 6030.
L’organisation de la justice : une nouvelle discussion sur le pouvoir judiciaire
La différence majeure entre la proposition n° 7575, dans sa version initiale, et le texte de la proposition de révision n° 6030 résidait dans l’omission de l’article introductif consacrant l’existence d’un pouvoir judiciaire exercé par les juridictions qui comprennent les magistrats du siège et ceux du ministère public. C’était moins le concept du pouvoir judiciaire qui était contesté que le statut du ministère public et son rattachement au pouvoir judiciaire.
L’abandon de ce dispositif a fait l’objet de critiques et la commission a, par des amendements de février 2021, rétabli la consécration du pouvoir judiciaire, en maintenant toutefois l’omission d’une référence au ministère public. La commission a encore repris une partie de l’article 49 de la Constitution actuelle, qui porte sur le rôle du Grand-Duc dans l’exécution des décisions de justice.
Par un autre amendement de juin 2021, la commission parlementaire a ajouté un dispositif sur la question technique des effets de l’annulation d’un règlement par une juridiction de l’ordre administratif.
Le statut des magistrats : le « sauvetage » difficile de l’indépendance du parquet
Alors que la proposition de révision n° 6030, dans sa version finale, consacrait l’indépendance du ministère public dans ses fonctions d’exercer l’action publique et de requérir l’application de la loi, la proposition de révision n° 7575, dans sa version initiale, a omis ce dispositif, se bornant à viser l’indépendance des juges. Pour expliquer ce changement d’orientation fondamental, les auteurs ont fait état du « défaut de consensus » au sein de la commission sur la question de l’indépendance des parquets.
Au même titre que l’abandon du concept de pouvoir judiciaire, l’omission de consacrer l’indépendance du ministère public a fait l’objet de critiques ou de réserves au niveau national et européen. Par des amendements de février 2021, la commission a réintroduit une référence au ministère public. Ses fonctions de nature judiciaire d’exercer l’action publique et de requérir l’application de la loi reçoivent une base constitutionnelle expresse. Surtout, le principe de l’indépendance se trouve réaffirmé. Le texte reste toutefois en retrait par rapport à la proposition de révision n° 6030 en ce qui concerne la portée de l’indépendance.
Reprenant une formulation de la version initiale de la proposition de révision n° 6030 et abandonnée par la suite, la proposition de révision n° 7575 établit une limite à l’indépendance du ministère public dans l’exercice de l’action publique, consistant dans le « droit du gouvernement d’arrêter des directives de politique pénale ».
Par cette réserve, la poursuite individuelle, relevant du procureur, est opposée à une politique des poursuites susceptible de faire l’objet de directives gouvernementales. La commission renvoie à la Constitution belge, qui réserve également le « droit du ministre compétent d’ordonner des poursuites et d’arrêter des directives contraignantes de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite ». Le texte luxembourgeois évite d’ailleurs certaines incohérences d’ordre conceptuel entachant le dispositif belge. Ainsi, le caractère contraignant des directives, difficilement compatible avec la nature même d’une directive, n’est pas repris. Les mots « politique criminelle » sont remplacés par les termes plus neutres de « politique pénale ». Est également omise la référence à la « politique de recherche et de poursuite », qui aurait pu être comprise comme autorisant une emprise du gouvernement sur les enquêtes. Enfin, le texte constitutionnel luxembourgeois confère le droit de directive au gouvernement, organe constitutionnel chargé de conduire la politique, et non pas au ministre compétent.
Malgré ces adaptations, le dispositif retenu soulève des questions. Elles portent, en particulier, sur l’articulation de l’indépendance du ministère public dans la poursuite individuelle en relation avec le respect de directives de politique pénale. Ces directives se traduiront nécessairement, si elles sont suivies, par des poursuites individuelles. On peut encore s’interroger sur la portée du concept de politique pénale. Le contenu d’une politique pénale sera déterminé plus par le législateur qui adopte la loi pénale que par le gouvernement. Même si le qualificatif de « générales », caractérisant les directives dans la version initiale de la proposition de révision n° 6030, est omis dans la proposition n° 7575, il est évident qu’une directive ne pourra pas revêtir une précision telle qu’elle vise une affaire particulière. Reste toutefois la question de la portée et de la précision des directives et des suites qui leur sont réservées. Le procureur général d’Etat ou les procureurs d’Etat devront-ils rendre compte devant le gouvernement ou la Chambre des députés de leur « politique » des poursuites ? L’action des parquets peut-elle être évaluée dans la perspective d’une politique des poursuites ? A noter que l’option de charger le Conseil national de la justice d’une telle mission de surveillance n’a pas été envisagée.
Le texte voté se distingue encore de la proposition de révision n° 6030, dans sa dernière version, en ce que l’indépendance du ministère public se trouve affirmée uniquement en relation avec l’exercice de l’action publique. N’est pas évoquée l’indépendance du ministère public quand il requiert l’application de la loi dans les autres procédures, en matière civile et commerciale ou de protection de la jeunesse, ou encore devant la Cour de cassation ou devant la Cour constitutionnelle. Même si cette approche peut encore une fois se prévaloir du précédent belge, on peut s’interroger sur les raisons de cette prudence ; on ne saurait, en effet, concevoir que le gouvernement entende intervenir auprès des procureurs pour défendre une certaine lecture des dispositions légales ou constitutionnelles.
Les autres textes sur le statut des magistrats sont identiques à ceux de la proposition de révision n° 6030, sauf pour les dispositions sur les sanctions disciplinaires qui se trouvent transférées dans le paragraphe consacré au Conseil national de la justice.
Le Conseil national de la justice : la dernière étape d’une réforme qui fait l’unanimité
Dans la pratique, les nominations des magistrats sont opérées par le Grand-Duc sur la base de critères objectifs en dehors de toutes considérations politiques. Pour les fonctions de juge plus élevées, la Constitution actuelle prévoit une nomination sur la base d’avis de l’assemblée générale de la Cour supérieure de justice ou de la Cour administrative, avis que le gouvernement respecte traditionnellement. Au niveau européen, le rôle formel du Grand-Duc a toutefois été lu comme réservant au ministre de la Justice une emprise inadmissible sur les nominations. La nécessité d’instaurer un conseil de la justice n’a jamais été mise en cause.
Devant les retards dans la procédure de révision constitutionnelle, le gouvernement a déposé, en 2018, le projet de loi n° 7323 portant organisation d’un « Conseil suprême de la justice ». Ce projet de loi n’a pas abouti, entre autres, parce que le Conseil d’Etat a considéré qu’une révision préalable de la Constitution s’imposait. Alors que le constituant a emprunté la voie d’une révision ponctuelle anticipée pour régler des questions urgentes affectant la Cour constitutionnelle, il a eu des réticences à « sortir » le dispositif sur le Conseil national de la justice du cadre plus global de la révision du chapitre VI.
Le dispositif relatif au Conseil national de la justice est largement identique à celui de la proposition de révision n° 6030. Le Grand-Duc, terme préféré à celui de chef d’Etat figurant dans la proposition antérieure, nommera les candidats proposés par le conseil susnommé, exerçant ainsi une compétence liée. Aucune différence n’est prévue pour la nomination des magistrats du siège et du ministère public.
Le dispositif nouveau vise encore, dans des termes plus généraux que ceux de la proposition n° 6030, le rôle dudit conseil en matière disciplinaire en renvoyant à la loi. Le projet de loi n° 7323, précité, instaure des juridictions disciplinaires saisies par le Conseil national de la justice.
D’après le futur texte constitutionnel, la loi pourra attribuer au conseil susdit d’autres compétences dont les contours ne sont pas définis. Une telle loi devra évidemment respecter le rôle assigné au Conseil national de la justice de veiller au bon fonctionnement de la justice, dans le respect de son indépendance. Pour circonscrire le concept de bon fonctionnement, il peut être renvoyé au futur dispositif sur les garanties du justiciable. Notons que le projet de loi n° 7323, outre d’organiser la nomination des magistrats, vise le rôle du Conseil national de la justice en matière disciplinaire, le charge de déterminer les règles de déontologie des magistrats et de surveiller leur application. Il prévoit, surtout, que les justiciables peuvent lui adresser des doléances sur le fonctionnement général de la justice, que le Conseil national de la justice pourra enquêter sur des « faits susceptibles de mettre en cause le bon fonctionnement » et émettre des recommandations en matière d’organisation et de fonctionnement de la justice. Ledit conseil pourra encore communiquer à l’adresse du public et devra présenter un rapport annuel à la Chambre des députés et au ministre de la Justice. On peut noter la portée très large de ce futur dispositif légal par rapport à la base constitutionnelle. Reste la question des suites à réserver à des dysfonctionnements qui ne se traduisent pas par des procédures disciplinaires individuelles.
La question des compétences du Conseil national de la justice est liée à celles de sa composition et de la désignation des membres. D’après le futur texte constitutionnel, il sera majoritairement composé de magistrats. Les questions de l’origine de ces derniers – ordre judiciaire ou administratif, siège ou ministère public, première instance ou instance supérieure – et de la répartition entre magistrats membres élus et magistrats membres d’office sont renvoyées à la loi et continuent à faire l’objet de divergences de vue.
Les garanties du justiciable : la reprise des réformes prévues
Le dispositif sur les garanties du justiciable reprend les textes de la proposition de révision n° 6030. Sont consacrées les exigences d’impartialité, d’équité et de loyauté, du délai raisonnable et du contradictoire de la procédure ainsi que du respect des droits de la défense. Ces garanties revêtent à la fois la nature de principes directeurs de la fonction judiciaire et de droits individuels du justiciable. A cet égard, elles doivent être mises en relation avec les droits fondamentaux, dont certains revêtent également un intérêt pour la justice. La proposition de révision n° 7755 sur le chapitre II de la Constitution complètera la liste des droits fondamentaux, y compris de ceux qui sont pertinents pour le justiciable.
La Cour constitutionnelle : le maintien des réformes anticipées
La proposition de révision reprend les dispositions de la proposition n° 6030, y compris les modifications anticipées de l’article 95ter. Rappelons que la loi de révision du 6 décembre 2019 a introduit un régime de suppléance des membres effectifs de la Cour constitutionnelle et déterminé la composition dans laquelle elle siège ; la loi du 15 mai 2020 a réglé la question des effets des arrêts de la Cour constitutionnelle.
Pour la composition de la Cour, le futur texte maintiendra le système actuel en prévoyant des membres d’office et des membres nommés sur avis de la Cour supérieure de justice et de la Cour administrative. Cet avis est dorénavant qualifié de conforme, ce qui signifie que le Grand-Duc devra nommer les juges proposés. Le Conseil national de la justice ne sera pas impliqué. Le futur article 95ter va ainsi « sauver », fût-ce de manière indirecte, l’ancrage constitutionnel de la Cour supérieure de justice, y compris de la Cour de cassation, et de la Cour administrative, alors que les articles 87 et 95bis actuels, qui consacrent ces juridictions, se trouveront supprimés et que l’organisation des juridictions est renvoyée à la loi.
La proposition de révision permet encore d’élargir les compétences de la Cour constitutionnelle par une loi votée à une majorité qualifiée. Cette procédure particulière se rapproche d’une révision constitutionnelle au niveau de la substance de la loi et de la majorité requise pour son adoption, mais échappe à la procédure de l’article 114 qui prévoit un double vote et un recours éventuel au référendum.
Rappelons que le projet de loi n° 7323, précité, attribue au procureur général d’Etat la fonction de présenter devant la Cour constitutionnelle des conclusions écrites dans toutes les procédures.
La mise en vigueur de la révision : l’articulation des réformes dans le temps
Une révision par étapes soulève d’abord le problème d’une application différée dans le temps des révisions successives. Se pose encore la question de la mise en conformité des lois régissant la matière avec les nouvelles dispositions constitutionnelles.
La proposition de révision prévoit une entrée en vigueur « le premier jour du sixième mois » suivant la publication, délai considéré comme suffisamment long pour procéder aux modifications législatives requises, en particulier, la loi sur le Conseil national de la justice et la loi réformant le statut des magistrats.
La proposition reprend encore un dispositif traditionnel, figurant d’ailleurs à l’article 117 de la Constitution actuelle et qui n’est pas affecté par la révision, selon lequel, à la date de l’entrée en vigueur de la loi de révision, toutes les dispositions légales ou réglementaires contraires à la Constitution ne sont plus applicables. Enfin, il est prévu que toutes les autorités conservent et exercent leurs attributions « jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu ». Cette formulation reprend un dispositif de la Constitution de 1868, qui avait été supprimé en 1989 au motif qu’il avait perdu sa raison d’être. L’objectif est de garantir que la structure et la composition des juridictions actuelles ne soient pas affectées par la révision.
La suite du processus : la question du référendum
La Constitution exige, à l’article 114, que le vote, aux deux tiers des suffrages des membres de la Chambre des députés, de la proposition de révision soit suivi d’un second vote de la Chambre, soumis aux mêmes règles de majorité qualifiée, après un intervalle d’au moins trois mois. Un référendum se substituera à ce second vote si dans les deux mois suivant le premier vote demande en est faite soit par plus d’un quart des membres de la Chambre, soit par 25 000 électeurs inscrits sur les listes électorales pour les élections législatives. Si un tel référendum a lieu, la révision n’est adoptée que si elle recueille la majorité des suffrages valablement exprimés.
Une pétition publique demandant un référendum a recueilli 18 645 signatures et a donné lieu à un débat public le 25 novembre 2021. Le chiffre de 25 000 signataires, seuil à partir duquel le groupe parlementaire CSV avait déclaré soutenir la demande de référendum, n’a pas été atteint.
La demande visant l’organisation d’un référendum, présentée par un comité d’initiative, en application de la loi modifiée du 4 février 2005 relative au référendum au niveau national, a été déclarée recevable par le Premier ministre le 28 octobre 2021. Du 19 novembre au 20 décembre 2021, les électeurs inscrits sur les listes électorales pour les élections législatives, qui souhaitaient soutenir la demande, ont pu s’inscrire sur les listes d’inscription tenues à cet effet par les communes. Le 5 janvier 2022, le Premier ministre a communiqué que le nombre des inscriptions valables était de 7 397 et que la demande d’organiser un référendum n’avait pas abouti. La proposition de révision devrait dès lors faire l’objet d’un second vote par la Chambre.
L’auteur est juriste.
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