Contrairement à la perception générale, l’EI fut créé en Iraq sur les ruines de l’État irakien. C’est seulement dans une deuxième phase qu’il s’implante en Syrie (…) L’histoire a-t-elle commencé avec la chute des deux Editorial tours ? Au regard de l’impact de ce jour sur l’histoire mondiale et sur les systèmes de pensées collectifs, on est tenté par l’affirmatif. On pourrait poser la même question concernant les attaques de Paris. À écouter les discours dominants en Europe occidentale, qui prennent forme dans un climat d’anxiété, de tension et d’anticipation, on a là aussi, l’impression que l’histoire vient de commencer ou qu’elle vient, du moins, de prendre un nouveau tournant. Les historiens vont dire que je me trompe et ils auront raison. Au lieu de se réinventer, de prendre une nouvelle direction, l’histoire se répète, et avec elle, les schémas de pensées et d’action.
Il ne serait pas respectueux vis-à-vis des victimes du terrorisme de ne citer que les événements sanglants de Paris, car d’autres, beaucoup d’autres, ont eu lieu avant : Beyrouth, le ciel du Sinaï et puis, inlassablement, les villes de Syrie, d’Iraq, de l’Afghanistan, et j’en passe. Maintenant voilà, les victimes sont-elles égales devant le terrorisme ? Rappelons que la majorité des victimes du terrorisme mondial sont musulmans et vivent dans des pays déchirés par des guerres, comme celle menée par les États-Unis en Irak, des centaines de milliers de citoyens y ayant trouvé la mort. Nos leaders politiques s’en sont rendu compte : «Nous payons les fautes des USA et de l’UE » a dit Laurent Mosar à la radio 100,7 mi-novembre. Le fameux « I’m sorry » de Tony Blair fin octobre devrait également résonner et nous interpeller. En effet, si ces déclarations viennent un peu tardivement, pareil mea culpa devrait au moins être accompagné d’une réflexion approfondie sur les leçons que nous enseignent l’histoire.
Les guerres contre l’Iraq et la Libye ont été une des causes de la création de l’État islamique. On sait aujourd’hui que pas mal de cadres ayant servi dans l’administration et l’armée sous Saddam Hussein, se sont retrouvés propulsés dans ses rangs. Parfois, pour des raisons davantage pragmatiques, qu’idéologiques ou religieuses : « L’ironie veut que ces gens ont été emprisonnés dans la prison d’Abu Ghraib, en Iraq, où ils ont rencontré des islamistes radicaux comme Abu Bakr Al Baghdadi, leader actuel de l’EI, et ils ont fait cause commune pour débuter l’État islamique »1.
Contrairement à la perception générale, l’EI fut créé en Iraq sur les ruines de l’État irakien. C’est seulement dans une deuxième phase qu’il s’implante en Syrie, là aussi sur un terreau fertile, car dégagé de tout contrôle étatique. Le chaos ne profite toujours qu’aux usurpateurs.
Le moins que l’on puisse dire est que la réaction de la communauté internationale a été lente. Aux yeux du juge Marc Trévidic, « pendant trois ans, on a laissé Daesh grossir et devenir hyperpuissant »2. Selon les services secrets des États-Unis, l’administration Obama savait depuis août 2012 que des groupes extrémistes du type Al Qaeda et EI menaient la rébellion syrienne (Jürgen Todenhöfer). L’éventualité qu’une entité salafiste en Syrie émerge, augmentait. Todenhöfer affirme même que c’est exactement ce que le monde occidental a souhaité pour la région afin de couper le régime syrien de l’Iraq et de l’Iran.3
Nous sous-estimons de façon dramatique la Realpolitik. Si on voit que le Proche et Moyen-Orient sont en train de se désintégrer, comme l’a évoqué Alain Gresh à la radio 100,7 en février 2015, des nouvelles
situations émergent en parallèle. Certains observateurs s’interrogent si cette évolution arrange l’un ou
l’autre acteur. Pourrait-on voir des parallèles entre les développements récents et un document officiel
appelé communément le plan Yinon ? Le document prévoit un Moyen-Orient de petits États antagonistes se définissant sur des critères confessionnels. Cette idée de « changement de régimes » fut d’ailleurs reprise dans le prestigieux Armed Forces Journal en juin 20064. À titre d’exemple, la carte redessinée 6 forum 357 Edito du Moyen-Orient prévoit deux États, un sunnite et un shiite, sur le territoire irakien.
On pourrait facilement supposer que l’l’État islamique, lui aussi, en arrange certains. Or, là aussi, il
y a trop d’inconnus, trop de spéculations, trop d’intérêts cachés et d’arrangements tissés pour que l’on
puisse savoir exactement où l’on en est à ce sujet. Les déclarations récentes du président Obama disant que « ce qui est vrai, c’est que dès le début, notre objectif fut de d’abord les confiner » montrent que la stratégie du containment reste actuel. Il ne s’agirait peut-être pas tant de se débarrasser de l’ennemi que de l’endiguer.
Admettons que les États-Unis soient hésitants à engager une nouvelle guerre préemptive, pourquoi ne pas alors s’engager dans une lutte contre les sources de financement et d’armement de l’EI ? Le 16 novembre dernier, dans un communiqué officiel sur la lutte contre le terrorisme, le G20 a appelé ses
membres à « renforcer le combat contre le financement du terrorisme ». Selon diverses estimations
(Congrès américain et le Groupe d’Action Financière), les ressources de l’EI se situeraient entre un
et trois milliards de dollars par an, ce qui en fait l’organisation terroriste la plus puissante au monde sur le pan financier5. L’argent du pétrole équivaudrait à lui seul à 200 à 300 millions de dollars par an. Le pétrole serait exporté et vendu à travers la frontière turque. Autre source d’argent, ironique, car considéré comme non islamique : le trafic d’antiquités. Les islamistes, d’habiles businessmen…
De plus, la frontière turque reste un espace ouvert à travers lequel transitent non seulement pétrole mais également la grande partie des jeunes combattants qui rejoignent les rangs de l’EI de partout dans le monde. Pourquoi la Turquie ne ferme-t-elle pas sa frontière ? En bombardant des positions kurdes, sachant que les Kurdes sont les seuls à vraiment combattre l’EI, la Turquie joue un rôle tout au moins ambigu. Pourquoi les dirigants occidentaux ne prennent-ils pas une position plus ferme devant pareille manoeuvre douteuse ?
Autre acteur jouant un rôle non négligeable dans cette constellation complexe : l’Arabie saoudite, pays
aux ambitions régionales, s’il en est, qui ne cherche qu’à se débarrasser de ses concurrents, les régimes syriens et iraniens. Diverses sources indiquent que des riches émirs saoudiens et aussi qataris financent les combattants de l’EI. Là encore, l’argent du pétrole remplirait les poches des islamistes radicaux de l’EI. Et la France est le premier exportateur d’armes vers l’Arabie saoudite, un pays champion en violations de droits de l’homme.
Et si on arrêterait de remplir les poches de ces émirs ? Le Luxembourg n’y est pas pour rien non plus. La BIL appartient déjà aux Qataris. Dans le cadre de la mission financière au Qatar, organisée par Luxembourg For Finance en mars 2015, présidée par le grand-duc héritier, le Luxembourg et le Qatar prévoyaient de « renforcer la collaboration » pour « assurer une croissance soutenable sur le long terme ».
Quelle durabilité accorder à une collaboration qui évolue sur des non-dits, sur des relations que seul
l’intérêt à court terme de l’argent unit ? Les islamistes, dès qu’ils acceptent le crédo néo-libéral, sont
donc fréquentables. Non, ne nous voilons pas la face, l’histoire ne changera pas si vite.
1 Kolhatkar, Sonali, 2015, « Islamic State Wants Us to Reject Refugees and Increase Airstrikes », http://www.truthdig.com/report/page2/islamic_state_wants_us_to_reject_refugees_and_increase_
airstrikes_20151118 (18.11.2015)
2 « Marc Trévidic : ‚Pendant 3 ans, nous avons laissé grandir un monstre ‘» In lepoint.fr (15.11.2015)
3 Tödenhöfer, Jürgen, 2015, ‘US Secret Service Uncovers: The West Wanted An Islamic Terror State’ (http://juergentodenhoefer. de/us-secret-service-uncovers-the-west-wanted-an-islamic-terrorstate/?
lang=en)
4 Peters, Ralph, 2006, ‘Blood Borders’ In Armed Forces Journal, http://www.armedforcesjournal.com/blood-borders/
5 Chavagneux, Christian, 2015, « Le difficile combat contre l’argent de Daech » in Alterecoplus (18.11.2015), http://www.alterecoplus.fr/international/le-difficile-combat-contre-largent-dedaech-
201511181120-00002528.html Des petits mots et bougies au pied de la Marianne (Place de la République) après les attentats de
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