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Remarques sur l’encyclique Laudato si’
Suivant en cela l’exemple de plusieurs de ses prédécesseurs, qu’il mentionne d’ailleurs dans la première de son texte, le pape François vient de publier une encyclique consacrée aux grands problèmes environnementaux. Dans ce qui suit, je voudrais faire quelques remarques qui me semblent importantes sur cette encyclique, sans toutefois prétendre en livrer une analyse fine.
Le texte de 187 pages dans la traduction française est subdivisé en six grands chapitres. Le premier de ces chapitres fait un état de lieu de « ce qui se passe dans notre maison ». Suit un chapitre plus strictement théologique, dans lequel le pape relit les textes bibliques en montrant qu’ils n’appellent nullement à une domination irresponsable de la nature. Il admet toutefois que les chrétiens ont pu être infidèles à leurs principes (200). Le troisième chapitre du livre met à nu « la racine humaine de la crise écologique ». Le quatrième chapitre prône « une écologie intégrale », par quoi il ne faut pas entendre la deep ecology, mais une écologie qui se développe dans tous les domaines de la vie humaine, économique, sociale ou encore culturelle. L’environnement à préserver, en d’autres mots, n’est pas seulement l’environnement dit naturel.
Les deux derniers chapitres tracent des voies d’action, le cinquième chapitre présentant « quelques lignes d’orientation et d’action » concrètes, alors que le sixième insiste sur la nécessité d’une « éducation et spiritualité écologiques ». L’encyclique se termine par deux prières, l’une pouvant être reprise par tous les hommes, l’autre étant une « prière chrétienne avec la création ». Comme l’indique déjà le titre, l’encyclique se place dans la tradition de Saint François d’Assise, grand inspirateur de la réflexion et des actions du pape actuel. Je ne m’attarderai pas ici sur l’état des lieux, ni sur les mesures concrètes proposées par le pape. Le premier reprend les données admises par la science – le pape écrivant d’ailleurs que « l’Église n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques » (188) – et que nous pouvons constater dans notre vie quotidienne, les secondes sont frappées du coin du bon sens – nécessité d’une transition énergétique, recyclage, etc. Je ne m’aventurerai pas non plus dans un travail d’exégèse et d’herméneutique bibliques afin de voir si les interprétations des textes litigieux proposées par le pape François sont les bonnes. La question, après tout, n’est pas de savoir ce qu’ont vraiment voulu dire les auteurs de la Bible, mais bien plutôt celle de savoir comment s’y prendre pour interpréter de façon intelligente et responsable ce que dit la Bible. Critique de la finance et du paradigme technocratique Parmi les points que je voudrais mentionner plus particulièrement figure l’appel du pape à un renforcement des institutions politiques internationales face au monde économique (175). Le pape identifie ainsi le véritable danger qui menace l’humanité, à savoir la recherche du profit à court terme et à tout prix à laquelle se livrent les grands acteurs économiques. L’Église catholique, malgré tous les
efforts qu’elle a déjà entrepris, n’a toujours pas renoncé à son idée que seule la religion, voire seule une religion monothéiste, peut nous sauver.
Tant que les acteurs politiques, aussi bien les États que les institutions politiques internationales, ne dicteront pas la loi à ces groupes, les choses ne changeront pas. Mais les États n’agiront que si, comme dit le pape, la société civile fait pression sur les gouvernements (179). Et cette même société
civile est appelée à ne plus suivre aveuglément les sirènes d’un consumérisme obsessif (203), qui ne fait au fond que consolider le pouvoir des grands groupes. Cet appel ne signifie pas un retour à l’ascétisme. Pour citer le pape François : « Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous
abrutissent […] » (223). Idée qui n’est nullement neuve, mais qu’il est urgent d’affirmer aujourd’hui, où on nous fait croire que nous avons absolument besoin de tout et de n’importe quoi. Dans ce contexte, je retiendrai aussi l’affirmation suivante : « Les finances étouffent l’économie réelle » (108). Si l’économie réelle peut satisfaire les besoins des hommes, l’économie purement spéculative n’a pour but que de gonfler artificiellement les profits de certaines personnes. Or, les domaine des finances prend une place de plus en plus importante dans le monde actuel et connaît de moins en moins de
limites éthiques. L’organisation actuelle du monde économique est génératrice d’injustices. Or, écrit le pape, la violation de la justice distributive « génère toujours la violence » (157 – je souligne). En supposant que la traduction française soit conforme à l’original, le pape semble ici d’une certaine manière
excuser celles et ceux qui, victimes d’injustices économiques, recourent à la violence pour affirmer leurs droits et leur dignité. Car si la violation de la justice distributive génère toujours la violence, cela veut dire que ceux qui utilisent cette violence ne peuventpas faire autrement, que nous nous trouvons devant ce qui semble bien être une sorte de loi, sinon naturelle, du moins psychologique. Peut-être mon interprétation du bout de phrase va trop loin, mais la formulation devrait néanmoins donner à réfléchir. De même qu’il critique le règne de la finance, le pape condamne l’emprise du paradigme technocratique qui nous fait croire que la technique à elle seule pourra résoudre tous les problèmes. La science et la technique sont certes des instruments dont nous pouvons nous servir, mais elles ne nous dispenseront pas de nous remettre en question et surtout de remettre en question le rôle que ces instruments ont pris dans notre vie.
Si l’encyclique propose aux hommes un changement de leur mode de vie, il reste néanmoins assez vague quant à la question de savoir comment s’y prendre concrètement pour changer l’ordre mondial. Demander aux chrétiens qu’ils ne cessent pas « de demander à Dieu qu’il y ait des avancées positives dans
les discussions actuelles » relatives au climat (169) est bien beau, mais n’est-ce pas une manière implicite d’avouer que les États vraiment désireux d’aboutir à des résultats n’ont pas les moyens d’influencer la politique de grands États comme la Chine ou les États-Unis ? Et que penser de l’affirmation qu’étant donné que Dieu a produit l’univers à partir de rien – une affirmation qui me semble pour le moins théologiquement discutable – « il peut aussi intervenir dans ce monde et vaincre toute forme de mal » (68 – je souligne) – même le mal métaphysique qu’évoque Leibniz, serais-je tenté de demander ? Certes, le pape ne demande pas aux chrétiens de se contenter de prier, mais il n’est pas en mesure de leur dire concrètement comment convaincre les grands États pollueurs.
Une encyclique s’adressant à tous ?
L’encyclique du pape veut « entrer en dialogue avec tous », entendons avec les hommes de bonne volonté, quelle que soit par ailleurs leur croyance. Qu’un tel dialogue fasse entrer en jeu des références bibliques ne le disqualifie pas encore en tant que dialogue universel. Tous peuvent tomber d’accord sur
les mêmes résultats ou thèses, la voie chrétienne ou religieuse n’étant qu’une des multiples voies possibles pour y parvenir. Le pape s’interroge d’ailleurs lui même: « Pourquoi inclure dans ce texte, adressé à toutes les personnes de bonne volonté, un chapitre qui fait référence à des convictions de foi ? » (62). Ce n’est pas ce chapitre qui m’a irrité dans ma lecture, mais certains passages qui montrent que l’Église catholique, malgré tous les efforts qu’elle a déjà entrepris, n’a toujours pas renoncé à son idée que seule la religion, voire seule une religion monothéiste, peut nous sauver.
Ainsi, lorsque le pape écrit que sans « la figure d’un Père créateur et unique maître du monde », « l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts » (75). Ou encore: « [O]n ne peut pas envisager une relation avec l’environnement isolée de la relation avec les autres personnes et avec Dieu (119 – je souligne). Et continuons: « Il n’est pas facile de développer cette saine humilité ni une sobriété heureuse si nous nous rendons autonomes, si nous excluons Dieu de notre vie et que notre moi prend sa place, si nous croyons que c’est notre propre subjectivité qui détermine ce qui est bien ou ce qui est mauvais » (224).
Si le dernier passage cité a au moins le mérite d’en rester à un « il n’est pas facile », alors que les deux autres passages semblent envisager l’impossibilité, il montre que le pape François n’est pas vraiment au fait des débats philosophiques de ces dernières décennies, et notamment de ceux qui tournent autour
de la notion de subjectivité. Dans son livre L’ère de l’individu, Alain Renaut a clairement montré qu’il ne faut pas confondre l’individu et le sujet. Si le premier se perd dans l’immanence de ses désirs, le second permet à l’individu de maintenir une distance critique vis-à-vis de lui-même, sans que cette distance
critique soit médiatisée par Dieu. Par ailleurs, on est en droit de demander au pape qui, si ce n’est le moi, détermine en dernier instance ce qui doit être la bonne ou mauvaise interprétation du message divin. Même si Dieu nous parle, c’est nous qui devons interpréter son message, et même si Dieu nous livrait, avec son message, une interprétation de celui-ci, ce serait toujours à nous de l’interpréter. Qu’on le veuille ou non, l’absolutisme que le pape veut opposer au relativisme ne traduit qu’une interprétation humaine du message divin et renvoie ainsi au caractère faillible des êtres humains.
On notera aussi l’affirmation du pape selon laquelle pour les communautés aborigènes, la terre est « un don de Dieu et des ancêtres qui y reposent » (146). Ne serait-ce pas plus exact et plus honnête de dire « des dieux », les communautés aborigènes ayant souvent des religions polythéistes et naturalistes, c’est-àdire avec des dieux qui sont présents dans la nature. Mais il faut avouer que l’utilisation du pluriel n’aurait pas fait bonne impression.
Conclusion
L’encyclique Laudato si’ a le mérite de montrer du doigt les forces qu’il importe de combattre aujourd’hui, des forces qui font plus de morts que Daech, Al-Qaida et bien d’autres organisations terroristes réunies et qui, accessoirement, provoquent la misère et le désespoir dont ces organisations profitent. Nous vivons effectivement dans le cadre d’« un système de relations commerciales et de propriété structurellement pervers » (52). Et il est bien que l’Église condamne ce système et qu’elle appelle les États à le restructurer de fond en comble. Le pape a aussi raison de rappeler la dignité absolue de la personne humaine et d’exhorter à son respect. Mais qu’il s’abstienne de suggérer que le respect de cette dignité n’est que possible dans le cadre d’une pensée religieuse.
La pensée chrétienne est une source de résistance, et plutôt que de vouloir la détruire ou de vouloir la confiner dans l’espace strictement privé, il est important de la laisser s’exprimer dans l’espace publique. Elle est une source de sens et de motivation. Mais elle doit cesser de se considérer comme la seule et
unique source de résistance, de sens et de motivation. La lutte contre le système structurellement pervers dont parle le pape doit être une lutte dans laquelle s’engagent tous les hommes de bonne volonté, chacun à partir des prémisses philosophiques ou religieuses qui sont les siennes et sans prétendre de manière dogmatique avoir les seules vraies prémisses. On peut croire en la valeur absolue de la justice et de l’être humain, sans croire en Dieu. Et si les chrétiens s’estiment « appelés à être les instruments de Dieu le Père pour que notre planète soit ce qu’il a rêvé en la créant » (53) – un Dieu qui rêve, soit dit en passant, ne doit pas être au goût de tous les théologiens –, libre à eux de le faire. Je veux bien combattre avec eux pour réaliser ce qu’ils estiment être le contenu du rêve divin, mais je refuse d’être considéré comme un instrument de Dieu.
Note
Je me suis servi du texte suivant: Lettre encyclique du Pape François. Laudato si’, Éditions Parole et Silence, Paris, 2015. Pour les renvois au texte, j’indique les numéros des paragraphes – 246 en tout.
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