- Geschichte, Gesellschaft, Kultur
La culture, c’est quoi?
Editorial
L’école – un lieu de transmission culturelle? Telle fut la question débattue par le premier des quatre panels lors des premières Assises culturelles organisées les 1er et 2 juillet 2016 par le ministère de la Culture et préparées par huit ateliers réunis au printemps pour discuter des secteurs musée, danse, culture en région, arts visuels, la musique classique, théâtre, musique amplifiée et livre. Quand le micro fut enfin passé à la salle, un jeune danseur français prit la parole pour dire qu’il ne comprenait pas cette question, qu’à ses yeux, culture et école ne faisaient pas deux, qu’il n’était donc pas possible de parler d’une transmission de la culture via l’école. Il pointa implicitement du doigt le problème fondamental de ces Assises: les organisateurs n’avaient pas donné de définition du terme de culture. Et chacun y allait de sa propre définition, en général tacite, implicite, non discutée.
Un autre intervenant précisa que la culture c’est tout. Il avait raison lui aussi. Alors que les organisateurs, agissant en critères de compétence ministérielle, considéraient que la culture est un secteur de la vie ou des activités publiques ou du budget de l’État, ils ignoraient le fait que la culture est une valeur transversale, qui concerne tout être humain, à tout moment, dans toute activité, comme l’expliqua au dernier panel Serge Tonnar. «Notre manière de faire du business», dit-il à juste titre, «fait partie de notre culture.» La culture ne peut donc être une activité ou un domaine du savoir à transmettre dans un cours en organisant p. ex. une visite scolaire dans un musée ou en montant une pièce de théâtre. C’était partant une grave erreur de n’inviter au premier panel qu’un professeur d’éducation artistique et un instituteur, tous les deux par ailleurs actifs l’un au MUDAM et l’autre comme auteur et organisateur de stages de théâtre, et d’oublier d’inviter aussi des élèves et des enseignants d’autres disciplines. (Dans d’autres panels, on avait oublié d’inviter les architectes et les protecteurs du patrimoine historique et les créateurs de bijoux et les modistes…)
Si on considère par contre la culture comme ce qui différencie l’homme des autres êtres vivants, tout est culture et la réflexion culturelle, la réflexion sur le geste culturel, ses implications, ses motivations, ses traditions, ne peut qu’être transversale, comme le précisa vers la fin Raymond Weber. Et alors, la culture est une valeur en soi et la soutenir ne doit plus être justifié par son apport au nation branding, comme l’ont critiqué les membres de Richtung 22, ni par son attrait pour le secteur touristique, ni pour sa création d’emplois, ni parce qu’elle permet à des hommes et femmes politiques de se construire un profil populaire. Au ministère de la Culture, cette façon de penser la culture semble plutôt inhabituelle, ce qui étonne peu puisque les fonctionnaires, trop peu nombreux, y ont tous un secteur bien défini à couvrir.
Dans cette perspective, la culture n’est pas seulement un ciment pour la cohésion nationale, comme l’exprima le Premier ministre et ministre de la Culture dans son mot de la clôture. Il faut alors se rendre compte aussi que la culture est constitutive de la construction du moi, d’une identité personnelle, individuelle et collective, que ce soit du groupe de jeunes ou d’une nation en passant par la fanfare du village et le corporate identity d’une entreprise. S’en rendre compte voudra dire aussi que l’école ne pourra plus se limiter à transmettre des savoirs, mais devra assumer sa contribution – jusqu’ici inconsciente et souvent destructrice – à la formation de jeunes personnalités. Dans ce contexte, la culture est un formidable agent pour permettre à l’adolescent et au jeune de prendre confiance, de s’affirmer, et donc de ne plus avoir peur de l’autre, de l’inconnu.
Ceci dit, la culture dite nationale, collective, qui imprègne les habitants de l’espace grand-ducal, avec toutes ses traditions, autochtones et importées, donc transversale dans l’espace donné, doit absolument faire partie de la formation des jeunes si on veut éviter chez les uns qu’ils ne vivent avec des sentiments d’infériorité – la culture luxembourgeoise ne vaut pas celle des Français ou des Allemands, car elle ne figure pas au programme de nos écoles, ni en apprentissage des langues, ni en littérature, ni en arts visuels ou musicaux, ni en histoire – et chez les autres qu’ils ne se méfient de la culture de leur pays d’accueil et ne cherchent pas à se l’approprier. Pourquoi ne saurait-on apprendre les mécanismes de la production littéraire et la réflexion sur les thématiques de notre temps (ou d’un autre âge) qu’en étudiant un Émile Zola ou une Simone de Beauvoir, Max Frisch ou Ingeborg Bachmann, et non avec Jean Portante, Guy Rewenig ou Anise Koltz? Pourquoi faut-il connaître les raisons de l’arrivée au pouvoir des Staufen dans l’empire germanique et ignorer les raisons de la formation d’un Grand-duché de Luxembourg ainsi que les crises que son indépendance a traversées au 19e siècle?
Le Luxembourg prête autant d’accès à la littérature universelle ou à l’histoire humaine que celles de nos voisins. Tous ces apports font partie de notre culture et se valent. Or, seul l’homme et la femme qui a conscience de sa propre valeur, individuelle et comme membre d’un collectif (national), pourra aborder sans peur et sans complexe l’autre et s’enrichir de ses échanges avec l’inconnu. Connaissant la culture luxembourgeoise comme ayant même valeur que la culture allemande ou portugaise ou arabe, il ou elle ne tombera pas dans le piège du nationalisme parce qu’il/elle sait que toutes les cultures se valent et sont influencées au cours des temps et continuent à le faire et sont créatrices grâce à l’échange interculturel.
Qu’est-ce qui restera finalement de ces premières Assises culturelles? Un événement culturel certes mémorable, mais sans lendemain et sans vraies conséquences politiques et opérationnelles? Ou une restructuration du Fonds culturel national qui deviendrait une sorte d’Arts Council à la luxembourgeoise? Ou – ce qui semble être le vœu largement partagé par la plupart des intervenants – un plan de développement culturel, précisant où nous en sommes aujourd’hui, approfondissant un certain nombre de problèmes qui n’ont guère été abordés aux Assises, tels que le rapprochement, voire l’interaction des «cultures parallèles», les implications des migrations, du numérique et du développement durable sur nos pratiques culturelles etc., et développant une stratégie/politique culturelle à moyen terme, en coopération étroite avec les artistes et autres acteurs culturels?
Il serait en tout cas souhaitable que la réponse à cette question ne revienne pas seulement au ministère de la Culture, mais aussi à toutes celles et à tous ceux qui se sont impliqués dans la préparation et le déroulement des Assises culturelles et qui attendent de cette «prise de parole» non seulement une considération nouvelle pour la culture dans notre société, mais aussi un «changement paradigmatique» (Jérôme Konen) concernant les contenus et la gouvernance de la politique culturelle.
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