- Gesellschaft, Klima, Kultur, Wissenschaft
Écologie culturelle et cultures écologiques
Une étude transdisciplinaire de la nature et de l’environnement au Luxembourg
À l’aube de l’Anthropocène, cette nouvelle ère géologique définie par l’empreinte humaine gravée pour des millions d’années dans les couches de sédiments, un petit pays se lance dans l’exploitation post-terrestre de ressources minières spatiales. Dans ce même pays, les assises culturelles ont, au cours de l’été, remis à l’ordre du jour la définition de la notion de «culture» et de son rôle au sein et au-delà des frontières du Grand-Duché. Cette association de l’actualité géologique, technologique et culturelle peut surprendre, mais force est de constater que les débats sur l’origine anthropique du changement climatique (souvent davantage idéologiques que scientifiques), la résurgence d’un sentiment de la nature de la part de citadins surmenés, ou encore le développement d’initiatives locales prônant le respect de l’environnement, (re)mettent le rapport entre nature et culture au cœur des réflexions et des actions.
Quelle «nature»?
Repenser la séparation des dimensions factuelle, politique, symbolique et esthétique est précisément l’enjeu des environmental humanities, champ de recherche transdisciplinaire qui étudie les multiples interactions (sociales, psychologiques, discursives, affectives, etc.) de l’être humain avec l’environnement physique et avec les mondes animal et végétal. Alors que la science, ses modèles et ses prévisions, ainsi que la sphère politique, ses mesures et ses engagements, semblent accaparer la question écologique, il est urgent d’appréhender la pluralité des discours culturels dans un contexte environnemental que l’on ne peut déjà plus qualifier de nouveau.
En effet, les préoccupations écologiques ont pénétré la société, la politique et l’économie pour y engendrer des transformations plus ou moins profondes. Malgré ces évolutions, les études littéraires et culturelles traînent le pas: une analyse approfondie et systématique des rapports entre écologie et culture au Luxembourg et dans la Grande Région fait encore défaut. L’écologie représente un enjeu universel qui prend racine dans des territoires différents dont les acteurs n’ont cesse de souligner les spécificités, mais également les interdépendances. Concentrer ces recherches sur un espace écoculturel précis permet dès lors d’articuler différemment le lien entre le local, le régional et le global, notamment à travers le postulat éthique incluant la terre et le non humain, habituels oubliés des sciences humaines et sociales. À l’inverse, ces dernières définissent la culture comme un ensemble dynamique et complexe, construisant différents discours et représentations des milieux, contrecarrant ainsi le mythe d’une nature unifiée et séparée de la diversité humaine.
S’interroger sur les rapports entre écologie et culture consiste à opérer un double «décloisonnement des disciplines» qui révise la séparation entre les sciences humaines et les sciences naturelles d’une part et entre les Lettres et les sciences humaines et sociales de l’autre. Il va sans dire que différents champs disciplinaires conçoivent à leur manière les interrelations entre l’humain et l’environnement: géographie, science politique, aménagement territorial, sociologie, écologie linguistique, etc. Sur le terrain, cette transversalité disciplinaire s’observe au quotidien: l’éducation, les musées d’histoire naturelle, les institutions en charge de la nature et des forêts, les différents mouvements Transition (et autres) ont recours à des formes discursives, narratives et symboliques dans leurs représentations et médiations de la nature.
Une «esthétique verte» au Luxembourg
Au fil des dernières décennies, la nature à cloisonner ou à dominer est devenue une nature à protéger. Tenant compte de ces transformations, une histoire culturelle de la nature au Luxembourg et dans la Grande Région repose, entre autres, sur l’étude des événements et des débats ayant alimenté la pensée écologique, à l’instar des réactions aux centrales nucléaires de Remerschen et de Cattenom ou, plus récemment, des séances d’informations préparant l’arrivée imminente du loup. La médiation culturelle de ces événements passe aussi par leur mise en récit ou en images, comme dans les Cartoons contra Cattenom (R. Leiner, G. Rewenig, Oeko-Fonds, 1986) ou dans les albums pour enfants tels que Ech si kee béise Wollef de Vanessa Staudt (Atelier Kannerbuch, 2015).
L’analyse de différentes formes d’expression artistique (photographie, peinture, cinéma, musique, etc.) et de divers genres textuels (roman, poésie, théâtre, essai,
mais également écriture journalistique, description touristique et discours politique) montre que le rôle imparti aux paysages et au patrimoine naturel –
catégories essentielles dans le développement d’une identité nationale ou régionale au début du XXe siècle – change en fonction de la nouvelle donne environnementale et globale, réactivant une sensibilité paysagère devenue quelque temps suspecte. L’appel à des artistes en Land art pour promouvoir une région, à l’instar de Jhemp Bastin et Gérard Claude dans Am Éislek, eng Regioun a Bewegung (T. Alesch, A. Schiltz, Naturpark Our an Uewersauer, 2007), des parcours faisant rimer lecture et promenade («Le sentier des poètes» à Lamadeleine), des projets artistiques («Antropical» dans le cadre du Kolla Festival), ainsi que des chroniques telles que «Mon paysage préféré» dans Le Jeudi, témoignent d’une nouvelle «esthétique verte» de réconciliation avec l’environnement.
La littérature fournit nombre d’exemples de textes portant la marque d’une sensibilité écologique avant l’heure – dans le dernier roman de Batty Weber, Brabanter lernt fischen (Centre culturel de Differdange, publ. posthume 2010), il est par exemple question de la pollution de la Moselle –, ainsi que des «écofictions» contemporaines, à l’instar des polars Todeswasser (Op der Lay, 2008) et Todfeind (Op der Lay, 2015) de Marco Schank. Ces œuvres permettent de comparer les représentations de l’environnent, d’étudier l’émergence de nouvelles formes esthétiques, voire de discuter de la manière dont des artistes et/ou écrivains transmettent leur engagement et leurs inquiétudes à travers leurs créations.
Les publications récentes abordant le thème de l’environnement peuvent relever de «l’éco-mainstreaming» ou bien s’inscrire dans une réflexion critique sur l’écologie. Il est communément admis que l’art, la littérature et la communication apparaissent comme des «senseurs» des préoccupations dans l’ère du temps ou comme de simples véhicules du fameux message écolo. Or, ils constituent également des espaces de réflexion et d’expérimentation qui rendent perceptibles et imaginables les nouvelles dimensions spatiales et temporelles engendrées par des transformations autrement incommensurables. Ils aident à se sentir concerné, à titre individuel et collectif, par ces bouleversements globaux qui ne semblent être que l’affaire d’une humanité abstraite. Finalement, l’étude des représentations de la nature peut mettre au jour un impensé d’un discours écologique trop souvent moralisateur et source de clivages sociaux. L’enjeu d’une nouvelle esthétique signifie alors «un renouvellement de nos modes de perception, de notre sensibilité, pour pouvoir répondre à ce qui est en train de nous arriver».
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