La société et son école
Le Grand-Duché eut sa première loi scolaire en 1843. Depuis lors, l’École publique1 s’est développée jusqu’à devenir une institution incontournable pour le développement du pays et la vie de ses habitants.
La lutte contre le malthusianisme
Dans la société profondément inégalitaire du 19e siècle, l’École publique arrivait à réunir tous les enfants, grâce à des maîtres engagés, surtout à partir de 1881 quand l’obligation scolaire fut introduite. L’École devint ainsi le « melting pot » d’un pays en devenir. De même, la loi de 1912 affranchissait les programmes scolaires des chaînes religieuses, permettait à l’École de s’inspirer de la science et faisait entrer le pays dans la modernité du 20e siècle.
Mais, d’autre part, une sélection rigoureuse ne cessait de séparer les enfants en deux catégories, surtout selon leurs origines socio-culturelles plus que leurs talents: les uns entraient rapidement dans la vie professionnelle, avec un bagage assez léger, restant à leur place toute leur vie durant, les autres s’adonnaient à des études longues et étaient destinés à être les élites. L’École publique n’arrivait pas à battre en brèche le malthusianisme qui freinait le développement vers une société plus intelligente ouverte à tous, dont les femmes. Après la Deuxième Guerre mondiale, la politique se voulait plus progressiste en «démocratisant» l’accès aux études secondaires et supérieures. Mais les réticences à ouvrir l’accès aux élites étaient fortes. Ce n’est que récemment que l’État a mis en place un système conséquent d’aide aux études supérieures, ouvrant ainsi largement la voie jusqu’au savoir le plus pointu.
Longtemps aussi, la société considérait les femmes comme une catégorie d’êtres humains à part. L’école pérennisait cette division. Après des décennies de tergiversations étaient introduits en 1968 les mêmes programmes pour filles et garçons ainsi que leur coéducation.
L’École publique a changé profondément au cours de son histoire. Des six années d’études primaires non obligatoires de 1843 on est passé à un système public qui embrasse à peu près tout le monde à partir du très jeune âge jusqu’à l’âge adulte et qui s’occupe non seulement des heures
de cours, mais aussi de la plus grande partie de la journée de l’enfant, du réveil jusqu’au sommeil.
Cette évolution, déjà inscrite dans la dénomination « éducation nationale » en 1945, au lieu d’« instruction publique » repose sur la conviction que l’École publique arrive à répondre à la plus grande partie des besoins des enfants et des adolescents, par une prise en charge non seulement dans le domaine du savoir et du savoir-faire, mais aussi pour la socialisation nécessaire pour entrer dans la vie adulte. Une bonne partie des tâches de la famille traditionnelle est ainsi transférée à l’École publique.
Cinq orientations
Étant donné le poids pris par l’École publique, on peut légitimement se demander comment elle va évoluer. Arrive-t-elle à satisfaire toutes les demandes? N’en fait-elle pas trop?
Confrontée à des tâches de plus en plus nombreuses exigées et imposées par la société, l’École publique pourra-t-elle faire face à toutes les demandes, et à quel prix? Le grand défi est de sauvegarder l’unité de l’École publique en tant qu’institution accueillant tous les enfants, selon des orientations sur lesquelles la société doit s’accorder.
On peut retenir un faisceau de cinq orientations qui permettent de délimiter l’action de l’École publique sans qu’on puisse donner la priorité à l’une ou à l’autre:
• cohésion,
• communication,
• dynamisme,
• égalité des chances,
• évaluation.
La première orientation, c’est la cohésion de la société. La première pierre en est posée à l’école où elle naît de la rencontre quotidienne d’enfants et de jeunes de toutes les couches sociales et de toutes les origines. Cette rencontre doit se passer dans le respect de l’autre et la tolérance envers la diversité. Ces attitudes ne sont pas toujours évidentes, l’École doit les enseigner, et le meilleur apprentissage, c’est de les pratiquer au jour le jour dans la salle de classe, par l’interaction entre maître et enfants et entre les enfants eux-mêmes. L’École publique est la première barrière contre tous les populismes qui exacerbent les différences et prônent la fermeture.
Ce principe comporte le refus de la ségrégation et de l’exclusion et entraîne l’obligation d’assurer l’inclusion de tous les enfants.
La cohésion de la société exige aussi l’intégration de tous dans la vie professionnelle à un niveau conforme aux capacités individuelles et aux compétences acquises à l’école. C’est ce que signifie l’affirmation que chaque carrière scolaire doit se terminer par un diplôme valorisant pour l’individu qui le décroche. Cette fin assure non seulement la promotion sociale de chacun, mais permet de lutter activement contre la marginalisation et la pauvreté. Dès à présent, on voit comment le progrès technologique, dont en particulier la digitalisation, rend problématique cette intégration et exige l’adaptation permanente tout au long de la vie professionnelle, mais aussi dans la vie courante.
La seconde orientation est la communication. Elle permet aux membres de la société de s’entendre, au sens premier du terme, c’est-à-dire de se comprendre.
Au Luxembourg, la communication est assurée par un système multilingue auquel s’ajoutent d’autres langues au gré des immigrations successives et des demandes de l’activité économique, sociale et culturelle. Il est prévisible que la communication sera encore plus complexe à mesure que la société évoluera.
La question de la communication aura donc une importance croissante, du fait de la place à assurer au luxembourgeois, langue maternelle des autochtones et des résidents de longue date, et de la large ouverture du pays. Cette coexistence est parfois conflictuelle, mais la demande de communication restera incontournable, et il faudra y répondre dès les débuts du cursus scolaire des enfants.
L’École publique reste actuellement centrée sur un modèle de communication marqué par une approche très normative des langues du système linguistique dominant. Cette approche nuit à la communication et provoque trop souvent l’échec scolaire qui se répercute sur toute la scolarité et même la carrière professionnelle de nombreux enfants. L’École publique devra faire preuve de plus de flexibilité et considérer enfin les langues comme des moyens de communication plutôt que du savoir abstrait servant à évaluer et à sélectionner.
L’École publique doit contribuer au dynamisme de la société en poussant les individus à déployer leurs talents.
Souvent, on affirme que ce dynamisme est d’abord et surtout impulsé par le développement économique. S’il est vrai que sans progrès économique rien n’est possible, l’avancement d’une société tient à de nombreux facteurs dont l’économie en est un, mais pas forcément le plus important.
C’est tout un faisceau d’éléments qui crée le dynamisme. En premier lieu, un niveau d’éducation aussi élevé que possible pour chacun, complété par l’éducation permanente, puis par une activité culturelle largement accessible à toute la population grâce à des infrastructures sans cesse adaptées et développées comme les bibliothèques, les archives, les salles de théâtre et de concert. Enfin une université et un secteur de recherches pour la réflexion et l’innovation.
L’École publique ne peut pas être réduite à un économisme qui entend la régenter pour les besoins exclusifs des entreprises ou du pays. Ce qui compte en tout premier lieu pour l’École, c’est l’épanouissement de la personnalité de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte. Voilà pourquoi l’École publique doit se rappeler sans cesse que son objectif essentiel est de former des esprits critiques, des citoyens avertis, des individus cultivés.
Les entreprises et les services publics exigent de plus en plus de main-d’œuvre spécialisée prête à fonctionner immédiatement. Mais la spécialisation à outrance empêche la formation générale indispensable aux individus puisqu’on leur demande d’être prêts à s’adapter en permanence aux nouveaux développements.
La quatrième orientation est l’égalité des chances. Elle consiste à permettre à chaque enfant d’acquérir les compétences qui correspondent le mieux à ses aptitudes, si possible indépendamment du milieu socioculturel dont il provient. Pendant longtemps, les clivages sociaux à l’intérieur de la société traditionnelle étaient difficiles à dépasser. Ensuite l’immigration des dernières décennies a changé le paysage social du pays. L’immigration d’expatriés temporaires souvent hautement spécialisés côtoie celle d’une main-d’œuvre nécessaire à tous les secteurs de l’économie. Enfin, l’immigration venant des continents asiatiques et africains exige des adaptations culturelles et sociales autrement plus complexes et plus longues.
L’École publique doit réussir à prendre en charge les enfants de toutes les origines. La réussite sociale du pays se mesure aussi à la réussite individuelle des enfants immigrés venus d’horizons très divers et de milieux socioculturels difficiles. C’est une tâche ardue pour l’École et les maîtres. Les problèmes qui sont apparus dans la scolarisation des enfants immigrés, trop souvent victimes de l’échec scolaire, risquent de conduire à multiplier les offres scolaires. Il ne faudra pas que l’hétérogénéité de la population scolaire conduise à atomiser l’École publique.
Car l’avantage essentiel de l’École publique est d’être partout au même niveau, assurant sur tout le territoire les mêmes chances à tous les enfants, ce qui signifie que l’enseignement offert doit être partout de la même qualité.
Alors que l’autonomie des établissements semble reconnue comme un moyen pour tenir compte autant que possible des demandes scolaires individuelles, il faut que l’institution continue d’assurer la mobilité à l’intérieur du système, l’équivalence des évaluations et la cohérence des programmes.
Un dernier principe qui aura de plus en plus de poids à mesure que l’École publique s’agrandit et devient plus complexe, c’est l’évaluation, fondement d’une innovation permanente.
Cette évaluation a comme principal objectif d’améliorer sans cesse le système en fonction des principes qui sont censés le régir. Pour que ce système fonctionne au mieux, il faut s’assurer que la formation des maîtres soit la plus adéquate, que les programmes et les méthodes soient adaptés aux objectifs à atteindre. Les maîtres, souvent réticents à cette évaluation, devraient être les premiers à la demander. Il y va de l’excellence de l’École publique, aussi face à la concurrence d’entreprises privées qui apparaissent parfois quand l’École publique hésite à prendre en compte de nouveaux besoins.
Cette évaluation doit comporter une réflexion interne à l’École publique, déjà prévue dans les lois existantes, une recherche permanente des enseignants de terrain et des projets pilotes pour explorer de nouvelles perspectives didactiques à l’intérieur de l’École publique.
Dans cette recherche de l’innovation, il ne faut pas oublier qu’une certaine modestie des programmes, une certaine lenteur dans les méthodes, permettant la répétition, la maturation, la réflexion personnelle des apprenants, restent plus que jamais nécessaires pour l’éducation.
Pourquoi évoquer de telles orientations générales? C’est qu’elles posent des jalons pour l’avenir. Alors que la politique prend souvent des mesures à brève échéance ou dans l’urgence, il est toujours utile de confronter l’action présente à une vision cohérente de l’Ecole publique à moyen terme dans laquelle la société se retrouve dans sa grande majorité.
(1) Nous utilisons dans cet article les termes génériques d’École publique et de maîtres pour désigner le service public de l’enseignement dans toute sa complexité.
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