Vers une éducation religieuse aux Droits de l’Homme

Un chemin et uns vision musulmane

Les mutations économiques, sociales et culturelles de la seconde moitié du XXe siècle ont conduit à l’émergence d’une culture des Droits de l’Homme considérée comme un enjeu majeur pour le progrès social. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 illustre l’avancée considérable des États des Nations Unies sur cette question. En l’espace de quelques siècles on a assisté à un véritable renversement copernicien de la conscience religieuse1 : l’individu n’est plus soumis aux normes par le biais d’institutions religieuses, ce qu’il faut croire et faire, mais, il construit lui-même son dispositif de sens et choisit d’adhérer librement à telle ou telle religion, en puisant à l’intérieur de lui-même les sources morales de son existence2. Loin de tout contrôle institutionnel, la pratique religieuse est devenue une pratique volontaire et personnelle, subjective et modulable, une recherche, une quête qui suit des itinéraires diversifiés dans la façon de s’approprier la vérité religieuse, selon l’adage « do it yourself »3. Donc, opposer le divin et l’humain est inopérant de nos jours, car, on assiste depuis la Renaissance, comme le théorisait Luc Ferry philosophe français à un rapprochement de l’humain et du divin à travers un double processus d’humanisation du divin, marquée par le rejet des dogmes et l’exigence d’adaptation du message religieux au temps présent ; et la divinisation de l’humain, dont témoignent l’invocation accrue des droits de l’homme, la famille, la réflexion sur la bioéthique4. En conséquence, à l’heure actuelle dans une culture globalisée, que l’on se considère comme religieux, agnostique ou athée, nous partageons pour la première fois dans l’Histoire un destin commun, des périls communs. Même, si nos approches, nos chemins, nos univers de sens sont divers et variés, il n’empêche que le destin de l’humanité est la vocation de tous les peuples. La conscience religieuse contemporaine doit relever un défi intellectuel majeur, en interrogeant la valeur heuristique des Droits de l’Homme dans la réflexion théologico-juridique. Dès lors, chaque religion, en fonction de son univers symbolique de référence doit viser cet horizon humaniste dans sa réflexion théologique.

Pour tenter de répondre à cela, il faut souligner un certain nombre de principes essentiels :

• La Religion doit être pensée comme une forme de libération de l’humain et un espace de méditation sur soi et de réflexion sur le monde qui l’entoure. Elle ne doit donc en aucun être un obstacle à l’accomplissement psychologique et social de l’individu. Une foi qui enferme la liberté de l’humain, étouffe sa pensée s’apparente plutôt à une dérive sectaire. En effet, renouer avec l’Essence de la Religion, c’est se réconcilier avec ses vertus humanistes fondamentales, qui offrent à l’humain un horizon éthique de sens pour se réaliser spirituellement et s’épanouir individuellement. En effet, les valeurs de dignité, de respect, de clémence, de tolérance et de paix, d’amour, d’hospitalité, d’égalité et de justice – entre autres – jalonnent les textes sacrés.

• Le respect des droits de l’Homme, en tout temps et en tous lieux, relève pleinement de la responsabilité humaine. Les religions peuvent être prises en otage par des idéologues extrêmes dénaturent son essence. Et par conséquent, le discours religieux sur la dignité de l’humain s’est atrophié et annihilé. En effet, à un moment de l’histoire ancienne et moderne, les religions, comme tant d’autres idéologies et philosophies ont servi de combustible pour des conflits politiques ou confessionnels. Toute société porte en elle-même – de façon intrinsèque – les germes ou les risques d’un enfermement idéologique. L’histoire nous a montré qu’il suffit parfois d’un faisceau de situations douloureuses ou socialement, économiquement, politiquement compliquées pour basculer vers le pire. N’oublions pas l’Histoire : le nazisme, le fascisme, les guerres confessionnelles, le terrorisme, l’esclavagisme… … Nous avons donc plus que jamais un devoir de mémoire, pour tirer toutes les leçons de l’Histoire. Au cœur même de l’Europe, la période Andalouse nous a offert un modèle de société plurielle, de cohabitation spécifique, un havre de savoir, de partage et de vivre ensemble5. Cet héritage civilisationnel, très méconnu est arrivé jusqu’à l’Europe médiévale, qui inspira plus tard toute une période de la Renaissance Européenne6. La situation actuelle déplorable des Droits de l’Homme dans certains pays arabo-musulmans ne peut être liée au seul facteur religieux, mais s’explique avant tout par les crises politiques et économiques profondes de ces pays.
Il n’existe pas de culture religieusement neutre, ni de religion culturellement pure. Dès lors, la réflexion sur les Droits de l’Homme ne peut être déconnectée des différents contextes historiques et sociaux dans lesquels ils sont formulés et qui déterminent son contenu. A cet égard, pour comprendre la situation des Droits de l’Homme dans certains pays arabo-musulmans, il faut se garder de faire l’amalgame entre l’Islam – en tant qu’une religion disposant d’un système de principes moraux et valeurs spirituelles – et la religiosité, en tant que fait humain subjectif, déterminé socialement et culturellement, qui peut soit refléter le sens de l’Islam, soit dévoyer et trahir son essence. Beaucoup de gens confondent souvent « arabe » et « musulman », amalgamant ainsi une religion avec une langue et une culture. Pour rappel, même si l’Islam est né en Arabie, les Arabes ne représentent aujourd’hui que 22% des Musulmans. De plus, une personne arabe peut être chrétienne, copte, juive ou musulmane. Par ailleurs, contrairement à ce que pensent beaucoup le nom « Allah » ou « Ellah » est un mot sémitique. Il a la même racine étymologique que « El » ou « Elohim » en hébreu, « Elah » en araméen – la langue de Jésus – ou encore « Alâhâ » en syriaque. Ce nom déjà utilisé par les juifs et les chrétiens et les païens arabes antéIslamiques pour qualifier Dieu n’est pas le Dieu des arabes7.

• Il est dérisoire et délétère de parler d’une identité musulmane substantielle et unique. L’Islam est loin d’être une religion monolithique, inflexible et imperméable dont la morale serait ethnocentrique et communautariste. En effet, tout en appartenant à la même communauté spirituelle, les groupes et les individus musulmans construisent leur identité respective en référence à leur pays de résidence, au sein d’un réseau d’appartenances et d’allégeances multiples (culturelles, politiques, ethniques…) et non uniquement religieuses et communautaires. L’Islam – depuis ses origines – a toujours su intégrer dans son métabolisme civilisationnel toute la diversité confessionnelle (musulmans, juifs et chrétiens) et culturelle (arabes, perses, égyptiens, berbères, turques, européens, indiens…) des différents continents du Globe. Dans notre contexte occidental, les Musulmans qui sont à la fois de culture européenne et de confession musulmane ont un rôle capital à jouer pour proposer un modèle alternatif réconciliant l’Islam avec sa vocation essentielle qui se veut universelle.

Comment donc formuler une doctrine des Droits de l’Homme dans le paysage religieux musulman ?

Sur le plan théologique, les érudits musulmans ont approfondi les valeurs des Droits de l’Homme dans une conception holistique de l’humain (être social, spirituel, biologique et psychologique…). Ce travail de catégorisation des finalités transversales et des objectifs supérieurs de la Religion a permis de dégager un socle commun universel des droits humains. Ce paradigme théologique émane de plusieurs maximes’ :

Tout d’abord, la Religion dans son Essence est conçue comme un moyen de servir l’humain et non de l’asservir (cf. premier principe). Selon cette conception, la foi ne doit être en aucun cas vécue sous la contrainte et/ou la culpabilité ; elle acquiert la responsabilité de l’individu, sa liberté et sa réflexivité : « Nulle contrainte en Religion »8 ; « Dis que la vérité vient de Dieu ; quiconque veut croire, qu’il croît, et quiconque ne veut pas croire qu’il ne croît pas »9 ; « …. Mais tu n’as pas mission d’exercer sur eux une quelconque contrainte10». La Religion requiert donc la capacité de discernement et offre un chemin à l’intelligence (cf. second principe).

Ensuite, l’Islam reconnait une égalité ontologique entre les êtres quels que soient leurs origines, leurs langues, leur sexe et leur couleur. (Cf. troisième principe). L’Islam considère l’humanité comme une seule famille : « Ô gens, vous avez tous le même Dieu et vous avez les mêmes parents : Adam et Eve ; l’arabe n’a pas de supériorité sur un non arabe, ni un blanc sur un noir, si ce n’est par la vertu ». C’est dans ce sens que l’Islam appelle à la reconnaissance de cette diversité religieuse, linguistique et culturelle ainsi qu’à la connaissance mutuelle : « Ô gens, on vous a créés d’un mâle et d’une femelle et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus afin que vous vous entre-connaissiez »11. Or, si tous les gens appartiennent à une même famille, ont la même appartenance humaine et descendent d’une même personne, ils deviennent naturellement égaux en termes de valeur humaine. Pour appuyer ce fort message d’égalité humaine, l’Islam a ordonné d’affranchir tous les esclaves de l’époque. D’ailleurs, le premier Muézin (personne faisant l’appel à la prière) fut un esclave noir affranchi. L’Islam a lutté également pour la liberté et le respect des femmes, la reconnaissance de leurs droits à une époque où elles étaient sans aucun droit social, civique ou même filial et familial. En effet, l’Islam à son avènement a été confronté à un esprit patriarcal et tribal privant la femme de tous ces droits : « Quant aux femmes, elles ont les mêmes droits équivalents et devoirs que les hommes, conformément à la bienséance. »12

Selon les théologiens13, la Religion Musulmane est venue pour préserver ou renforcer plusieurs droits et protéger l’être humain, par exemple :
La dignité humaine
L’intégrité psychologique, physique et morale.
La famille (entretien et renforcement des liens affectifs et filiaux)
La paix (recommandation de la non-violence)
La liberté de pensée et de conscience
L’environnement et la nature dans son exploitation et sa préservation
L’enseignement et l’éducation (pour tous et toutes)
La santé (prévention, préservation et soin)
La conscience et la raison (esprit critique)
La protection des biens (droit à la propriété individuelle et système économique)
…etc.
Nous pensons fondamental pour l’avenir que la religion ait un rôle essentiel dans la transmission et le développement d’une culture religieuse de respect, de dignité et de tolérance aux générations futures. En effet, dans un monde dominé par la peur, marqué par la méfiance et menacé par le rejet de l’autre et le repli sur soi, nous avons impérativement besoin d’une culture du dialogue, d’apaisement et de respect de la dignité humaine.

En occident, les religions ont cette opportunité de cohabiter dans un espace démocratique qui offre à chacun(e) le droit d’exercer et d’exprimer sa foi dignement. Dans ce contexte, notre responsabilité est double : allons-nous léguer à nos enfants une société déchirée par des conflits, pervertie par les rumeurs et les préjugés ou allons-nous plutôt laisser aux générations futures un espace serein pour construire une société plus juste, qui donne à chacun(e) sa place ?

Le risque d’enfermement, l’esprit dogmatique, l’exclusion de l’autre sont autant d’obstacles qui guettent l’esprit humain. Ni les aprioris, ni la peur, encore moins le pessimisme et la confusion ou l’amalgame n’apportent protection et ouverture. Donc, le dialogue interreligieux et interculturel entre citoyens d’un même pays ne peut être réduit à un choix passager, une pensée éphémère. C’est un engagement profond, durable. C’est la conviction d’une nécessité. Un véritable dialogue, sincère, qui respecte avec loyauté et bienveillance les différences de chacun.

1 F. Lenoir, Les Métamorphoses de Dieu. La nouvelle spiritualité occidentale, Plon, 2003.
2 Charles Taylor, Les Sources du moi, Paris, Seuil, 1998.
3 J.L. Schlegel, Religions à la carte, Hachette livre, 1995.
4 Luc Féry, L’Homme-Dieu ou le sens de la vie, Paris, Grasset, 1997.
5 Pierre Guichard : « Al-Andalus : 711-1492 : une histoire de l’Espagne musulmane », 2011
6 André Clot : « L’Espagne musulmane : VIIIe-XIe siècle », 2004
7 Tariq Oubrou, « Ce que vous ne savez pas sur l’Islam ». Fayard, 2016 ;
8 Coran (Sourate 2 : verset 256)
9 Coran (sourate 18 : verset 29)
10 Coran ( sourate 50 : verset 45)
11 Coran (Sourate 49 : verset 13)
12 Coran (Sourate 2˚: verset 228)
13 Al-shaykh al-Tāhir ibn`Āshūr, Les buts du droit musulman [Texte imprimé], [Paris] : Albouraq, impr. 2018.

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