Le Luxembourg dans la course aux talents – un défi qui n’en est pas un ?
Le Luxembourg est une petite économie ouverte qui dépend largement d’une main d’œuvre étrangère. 45,5% des travailleurs traversent tous les jours les frontières du pays tandis que 27,8% de la main d’œuvre est composée de résidents non-luxembourgeois.1 Au vu de sa taille et de la composition de son tissu économique, l’économie du pays ne pourrait guère fonctionner sans la contribution de ces travailleurs venant de l’étranger. Par ailleurs, l’évolution et la digitalisation croissante des différents secteurs économiques majeurs du pays génèrent une demande grandissante pour des profils de plus en plus spécialisés. Ainsi, les cinq métiers les plus recherchés par les employeurs auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi (ADEM) au Luxembourg en juillet 2018 comprenaient les activités liées à la « Comptabilité », les « Etudes et développement informatique » et le « Front office marchés financiers ».2
Attractivité avérée…
Au vu du nombre relativement élevé de travailleurs non-luxembourgeois dans le pays, une réflexion sur les stratégies de recrutement et de rétention des talents étrangers peut à première vue sembler inutile. En fin de compte, le marché du travail semble bien fonctionner, caractérisé par un chômage contenu et une attractivité dont le succès est reflété par le nombre important de travailleurs recrutés à l’étranger. Cette attractivité est également soulignée par différents classements internationaux tel que le Global Talent Competitiveness Index 2017, dans lequel le Luxembourg occupe la 8e position sur 119 pays analysés.
Le pays se classe 8e au niveau de l’attractivité pour les travailleurs qualifiés mais n’arrive qu’en 11e position au niveau de la capacité à retenir ces talents. Selon une enquête menée par Morgan Philips Executive Search auprès de 172 dirigeants d’entreprises établies au Luxembourg en mai 2018, la qualité de vie et les niveaux de salaires représentent les principaux atouts du Luxembourg (avec 20% des réponses chacun), tandis que « les atouts d’une capitale européenne » ne convainquent que 12% des répondants.3
… accompagnée de défis toujours importants
Malgré ce positionnement international relativement favorable, le recrutement de travailleurs hautement qualifiés semble représenter un obstacle majeur au développement des affaires d’après les dirigeants d’entreprises interrogés. Ainsi, « l’éducation inadéquate des travailleurs » figure en haut de la liste des facteurs les plus problématiques pour faire des affaires au Luxembourg dans le Global Talent Competitiveness Index 2017. Dans l’enquête Morgan Philips Executive Search, près de 42% des entreprises interrogées mentionnent avoir des difficultés à attirer des talents au Luxembourg. Pour 62% des employeurs interviewés, une méconnaissance du pays et de ses atouts reste la raison principale qui limite le recrutement des profils recherchés. 29% des employeurs interviewés considèrent même que des « a priori négatifs bien ancrés chez les candidats » constituent le principal problème. Pour 51% des employeurs, le coût de la vie (et plus spécifiquement du logement) est l’un des principaux freins à l’essor du pays, suivi des problématiques de mobilité. La difficulté à trouver des talents, mentionnée par 18% des employeurs questionnés, constitue le troisième frein majeur au développement du Luxembourg.
Cette difficulté de recrutement se reflète également dans l’absence d’assignation de candidats potentiels aux postes vacants déclarés auprès de l’ADEM. Bien qu’en baisse par rapport à 2015, 28% des offres d’emploi auprès de l’ADEM n’ont eu aucun candidat adéquat assigné en 2017.4 La proportion d’offres sans assignation est la plus élevée dans les métiers de l’informatique, de la banque et de la finance. L’enquête relative aux pratiques de recrutement des entreprises au Luxembourg réalisée au cours du premier semestre 2007 par le LISER illustre par ailleurs le fait que ces difficultés de recrutement perdurent depuis de nombreuses années.5 Ainsi, 43% des recrutements pour des postes de professions intellectuelles et scientifiques, de dirigeants et de cadres de direction étaient jugés difficiles contre seulement 9% de ceux concernant des postes d’ouvriers et d’employés non qualifiés. En 2013, une enquête menée par le LISER auprès de 1.500 entreprises trouvait que plus de 52% d’entre elles ont eu des difficultés à recruter des employés hautement qualifiés au cours des deux années précédentes.6 À peine 13% des entreprises interviewées ont en revanche eu des difficultés à pourvoir des postes moins qualifiés. De plus, 15% des entreprises ont mentionné avoir des difficultés à retenir des travailleurs qualifiés tandis que seules 6% des entreprises mentionnent ce même problème pour des travailleurs moins qualifiés.
Mesures mises en œuvre pour l’attraction et la rétention de talents
Les initiatives pour faciliter le recrutement de travailleurs internationaux et renforcer l’attractivité du pays se sont démultipliées au cours des années récentes. Du côté législatif, l’Union européenne a adopté en 2009 la « carte bleue européenne » afin d’encourager l’immigration de travailleurs hautement qualifiés venant de pays tiers (non-européens). Ce titre de séjour permet à certaines catégories de travailleurs qualifiés possédant une offre d’emploi venant d’un employeur d’un pays émetteur d’y immigrer. Ce type de titre de séjour a eu un succès varié dans les différents pays émetteurs. L’Allemagne est de loin le pays qui émet le plus de « cartes bleues » : ses 17.630 émissions ont représenté 84% des cartes bleues émises en 2016.7 Le Luxembourg se retrouve à la 4e place dans le classement européen (en nombre absolu) avec 636 émissions, derrière la France et la Pologne. En 2017, le nombre total de cartes bleues émises au Luxembourg a encore augmenté pour atteindre 885 titres (dont 494 premières émissions).
Depuis sa mise en place, plusieurs modifications ont été apportées au titre de séjour européen « carte bleue européenne » pour le rendre plus souple et attrayant au Luxembourg. La période de validité de ce type de titre de séjour est ainsi passée de 2 à 4 ans. Les seuils de salaire pour l’obtention d’une carte bleue européenne en tant que travailleur hautement qualifié sont fixés à au moins 1,5 fois le salaire brut moyen au Luxembourg. Pour un certain nombre de professions pour lesquelles un besoin particulier de travailleurs est constaté (dont notamment les mathématiciens, les actuaires et statisticiens, les analystes systèmes, les programmeurs d’applications et les développeurs de logiciels et d’applications), un seuil réduit équivalent à au moins 1,2 fois le salaire annuel moyen s’applique.
Les étudiants ressortissants de pays tiers bénéficient également d’une législation assouplie qui leur permet de demander une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié ou travailleur indépendant à la fin de leurs études, sans quitter le territoire luxembourgeois. Le candidat doit passer le test du marché du travail et remplir les conditions d’autorisation de séjour en tant que « travailleur salarié ». Le premier titre de séjour en tant que travailleur salarié est délivré pour une durée maximale d’un an, et l’autorisation est limitée à un seul secteur et une seule profession. Après renouvellement du titre de séjour, cette limite est abolie. Ces dispositions visent à faciliter l’intégration des étudiants étrangers sur le marché local et ainsi permettre de retenir un nombre plus élevés de travailleurs formés sur place. De plus, un « titre de séjour pour indépendant », d’une durée initiale maximale de trois ans (renouvelable), s’adresse aux ressortissants de pays tiers qui souhaitent s’établir au Luxembourg en tant qu’indépendant dans une activité qui sert les « intérêts du pays en termes d’intérêt social ou culturel, ou en termes d’utilité économique ».
À côté des aspects légaux, des initiatives récentes visent également à promouvoir la visibilité et l’image du Luxembourg à l’étranger. De plus, certaines infrastructures nouvelles sont développées pour faciliter le séjour des ressortissants étrangers. L’exemple le plus visible est probablement la hausse récente de l’offre de classes internationales (germanophones, francophones ou anglophones) dans certaines écoles et lycées, dont notamment les écoles internationales de Differdange, Esch-sur-Alzette, Mondorf-les-Bains et Clervaux. L’offre de cours de langues est également un facteur facilitant l’intégration des immigrants dans l’environnement multilingue luxembourgeois. Les travailleurs étrangers font néanmoins également face aux mêmes contraintes que les résidents autochtones. Les problèmes de congestion des infrastructures ou encore les prix élevés du logement sont ainsi des éléments décourageants que les autorités publiques doivent essayer de maitriser pour garantir une qualité de vie à l’ensemble de la population.
1) STATEC 2018 – Emploi salarié intérieur par lieu de résidence et nationalité 1995 – 2018, chiffres pour le deuxième trimestre 2018.
2) ADEM (2018), Chiffres-clés juillet 2018. Les deux autres métiers étaient « Secrétariat » et « Personnel de cuisine ».
3) Morgan Philips (2018), Luxembourg Employment Branding – Enquête exclusive sur l’attractivité du Luxembourg pour attirer les meilleurs talents.
4) ADEM (2017), Rapport d’activité 2017.
5) Genevois, Anne-Sopie (2011), Difficultés de recrutement dans les entreprises implantées au Grand-Duché, Les Cahiers du CEPS/INSTEAD, LISER, Cahier N°2011-05.
6) LISER (2013), Survey POME 2013: Enterprises’ organizational and managerial practices.
7) Eurostat (2018), Base de données : Asile et gestion des migrations http://ec.europa.eu/eurostat/web/asylum-and-managed-migration/data/database.
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!
