L’Asie aime le bois luxembourgeois et surtout le hêtre. Le marché en profite depuis une vingtaine d’années. Pour la filière, l’arrivée de ces nouveaux acteurs est surtout l’occasion de réfléchir et travailler à la valorisation de cette ressource durable et locale.
C’est l’un des sujets avec lesquels on aime bien se faire peur : la Chine et d’autres pays asiatiques achèteraient en masse le bois luxembourgeois. Si cette affirmation est en partie vérifiée, elle n’inquiète pas outre mesure ceux qui sont chargés de la gestion des forêts nationales, qui pensent à la valorisation de la filière ou encore qui commercent avec cette matière première.
Il est vrai que Pékin est devenu, au cours de ces vingt dernières années, un acteur mondial majeur du marché du bois, aussi bien au niveau de l’importation de grumes que de celui de l’exportation de produits finis. C’est ainsi, comme le raconte volontiers Frank Wolter, directeur de l’Administration de la nature et des forêts (ANF), que la Chine a voulu au début des années 2000 acheter l’ensemble du bois luxembourgeois et notamment le hêtre, un bois d’œuvre peu valorisé, car peu utilisé par les grands consommateurs d’arbres que sont la construction et les industriels (trituration, pâte à papier, énergie). Un intérêt décuplé par la proximité des grands ports de la mer du Nord qui limite les frais de transport et permet aux navires de repartir chargés vers l’Asie.
La demande fut refusée notamment grâce à un règlement grand-ducal imposant que tous les bois d’œuvre issus d’une forêt publique soient mis sur le marché lors de ventes publiques. Quoi qu’il en soit, même si la réponse fut négative, les graines de l’inquiétude étaient plantées et la menace de voir le bois luxembourgeois pillé plane encore aujourd’hui. Il est vrai que la forêt est un sujet sensible. De par sa proximité physique avec la population : 85 % de la forêt est à moins d’un kilomètre et demi d’une agglomération. Mais aussi parce que sa fonction récréative – quand elle ne se transforme pas en cimetière – est un élément primordial de la vie quotidienne et une composante fondamentale de l’histoire nationale. Le département des Forêts qui est né avec la Première République et mort avec la chute du Premier Empire français est encore dans toutes les mémoires.
Aujourd’hui, la forêt occupe une surface d’environ 92 000 ha, soit un peu plus d’un tiers de la superficie nationale (35 %). Une petite majorité (54 %) appartient à des propriétaires privés. Ils sont à peu près 14 000 et possèdent en moyenne 3,5 ha de futaies, taillis ou pessières. Le reste fait partie du domaine public. Les communes s’y taillent la part du lion (33 %), loin devant l’Etat (11 %) et les administrations publiques (1 %). La forêt est essentiellement composée à 66 % de feuillus, chênes et hêtres. Les résineux et principalement l’épicéa – ce qui n’est pas sans conséquence au regard des ravages d’un insecte, le bostryche typographe – occupent le reste de la surface. A noter que les résineux, parce qu’ils ont un meilleur rendement, sont plutôt aux mains de propriétaires privés, tandis que les feuillus se retrouvent plus fréquemment dans le domaine public.
La présence des acteurs asiatiques sur le marché du bois
Malgré le refus de l’ANF, la Chine et d’autres pays asiatiques sont aujourd’hui des acteurs importants mais peu visibles du commerce du bois grand-ducal, puisque les transactions sont d’ordre privé. Frank Wolter estime qu’« en 2019 et 2020, la moitié du bois d’œuvre, des grumes de hêtre, a été revendue par des négociants à la Chine, soit 15 000 m3 des 30 000 m3 produits ».
L’intérêt asiatique pour le bois luxembourgeois et de toute la Grande Région est bel et bien réel, mais n’inquiète pas outre-mesure le directeur de l’ANF. « La Chine est capable de payer plus cher que la plupart des négociants. Elle remporte donc des marchés. Dévaste-t-elle pour autant nos forêts ? Non, car nous avons des plans de gestion. » En d’autres termes, « le bois n’est pas coupé pour répondre à une demande. Seules les coupes déterminées sont mises sur le marché », précise-t-il.
Winfried von Loë, ingénieur forestier du Groupement des sylviculteurs (Lëtzebuerger Privatbësch), est plutôt satisfait de cette présence. « Le marché est un peu plus ouvert », relève-t-il, tout en précisant que le bois, surtout du hêtre, est vendu à « un meilleur prix ». S’il reste discret sur le montant des ventes, il précise toutefois que « le chêne est bien payé, le hêtre moyennement, tandis que le prix de l’épicéa est à un quart de ce qu’il était il y a seulement trois ans ».
La véritable épine dans le pied du forestier, c’est, en effet, la crise des scolytes, famille d’insectes à laquelle appartient le typographe. Ce dernier pond ses œufs sous l’écorce de l’épicéa, dans le cambium, où les larves se développent, creusent des galeries qui ne sont pas sans rappeler les lettres typographiques – d’où son épithète spécifique – et condamnent l’arbre. Celui-ci sèche quasiment sur pied. Si l’épicéa a des défenses naturelles, les trois étés secs de 2018, 2019 et 2020 l’ont affaibli, le rendant vulnérable aux attaques de ce coléoptère. Les forestiers n’ont d’autre moyen de lutte que d’effectuer des coupes sanitaires. Lesquelles provoquent un afflux de résineux sur le marché qui se sature et s’accompagne donc d’une importante baisse des prix, tandis que les coupes de feuillus connaissent, elles, une baisse draconienne (-30 % en 2020 et -50 % en 2021) toujours à cause de la sécheresse.
Si la filière est suspendue à l’évolution du marché et de la crise sanitaire qu’elle traverse elle aussi, elle observe avec intérêt les réactions des acteurs asiatiques du marché du bois. Philippe Genot, directeur du cluster bois qui est la plateforme d’échange gérée par Luxinnovation de tous les acteurs allant de la production du bois en forêt jusqu’au consommateur final de produits bois, est l’un de ces observateurs (cf. l’article de Philippe Genot dans le présent numéro). Il remarque des changements d’attitude : « De plus en plus, les acteurs asiatiques du bois tendent et tentent d’acheter des scieries locales en difficulté pour une première transformation sur place. » Les grumes partent ainsi débitées. Une première valorisation qui n’est cependant pas suffisante à ses yeux et qui, surtout, ne répond pas aux attentes en matière de développement durable. Et qui plus est, n’écarte pas l’épée de Damoclès suspendue sur le commerce du bois : c’est le marché et donc le prix du bois qui dicte sa loi. Les négociants asiatiques peuvent se détourner aussi vite du Luxembourg qu’ils sont venus. Comme c’est le cas pour le sable nécessaire au secteur de la construction, qui est devenu trop cher en Europe du fait de sa rareté, fait-il valoir en substance.
Le hêtre : la principale essence nationale
Face à cette situation, une des raisons qui ont poussé à la création du cluster bois est la valorisation des ressources durables locales et en particulier la principale essence nationale : le hêtre. Les échanges commerciaux entre l’Europe et l’Asie peuvent apporter des satisfactions en termes économiques aux uns et aux autres, mais en termes d’écologie et de création de valeur ajoutée, ce n’est pas la panacée. Loin de là.
« Notre volonté est de recréer des chaînes de valeur régionales et nous cherchons à développer des pistes en matière de construction », fait-il valoir, et ce, même si le hêtre est un bois nerveux qui n’est pas adapté aux travaux de charpente et ne supporte guère d’être exposé à l’extérieur. De fait, il est peu utilisé dans le bâtiment, sauf pour les escaliers ou les parquets. L’enjeu est donc de le valoriser afin de lui ouvrir des débouchés dans ce secteur, à l’image des structures d’hébergement d’urgence du Findel dont l’objectif affiché en 2018 par le ministre François Bausch était « d’acquérir les expériences nécessaires pour promouvoir l’utilisation du bois régional », une référence explicite au bois de hêtre en tant que bois de construction.
La start-up LEKO Labs de Foetz œuvre en ce sens avec un système breveté de pièces en bois de hêtre qui s’emboîtent à la manière du célèbre jeu de construction. Ou encore Scidus à Etalle (Belgique), qui produit du bois torréfié, c’est-à-dire modifié thermiquement afin de le rendre plus résistant en usage extérieur. Les exemples comme ceux-ci sont nombreux au sein de la Grande Région et laissent entrevoir de nouvelles perspectives à Philippe Genot.
L’avenir de la forêt luxembourgeoise
Si l’arrivée de négociants asiatiques sur le marché du bois national a défrayé la chronique, elle n’a pas mis en péril la forêt. D’après Frank Wolter, la forêt d’aujourd’hui correspond à peu près à l’inventaire forestier national de 2011. Quant au nouvel inventaire, prévu pour 2021, il a pris du retard à cause de différentes études et plans qu’il a fallu élaborer afin de mieux déterminer le potentiel de cette matière première ou l’adaptation de la forêt au changement climatique. Il devrait être possible d’avoir en main cette nouvelle photographie de l’évolution de la forêt vers 2025.
Mais, en attendant, si le marché a peut-être été chamboulé, la nouvelle donne a surtout offert un cadre à une réflexion globale sur la valorisation du bois comme ressource durable locale. Un travail de longue haleine qui repose sur une volonté politique se traduisant par le soutien de l’Etat à l’innovation ou d’aides à la replantation plus conséquentes pour les feuillus que pour les résineux. Le prix à payer pour l’avenir de la forêt luxembourgeoise, dont les fruits sont attendus avec espoir dans quelques années.
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