Commerces et centres-villes

La peur du vide

Concurrence accrue, loyer trop important… le commerce de centre-ville est en difficulté. Quelques communes misent cependant sur des politiques spécifiques pour se redynamiser. Petit tour d’horizon des actions menées pour séduire le commerçant et son pendant, le chaland.

Les centres-villes n’aiment pas le vide. Rien de pire pour l’image d’une commune qu’un alignement de boutiques fermées le long d’une artère commerçante. L’avenue de la Gare à Luxembourg ou la rue de l’Alzette à Esch-sur-Alzette n’en sont que la triste illustration. Les édiles ne restent pas pour autant les bras croisés. Les plus importantes et les plus commerçantes des communes du pays ont mis sur pied des équipes afin de se doter d’outils de lutte contre la désertification de leurs centres et se projeter dans le futur, sachant qu’une ville, selon la définition la plus simple, repose sur trois piliers : le palais, le temple et le marché.

Fermetures de commerces au centre-ville

Le commerce de centre-ville est un sujet sensible. Il suffit qu’une enseigne traditionnelle disparaisse ou déménage vers la périphérie pour que l’émotion et l’indignation soient à leur comble. La Librairie française qui vient d’annoncer sa fermeture à la fin de l’été, après pratiquement un demi-siècle de présence dans la capitale, a fait ainsi les gros titres de la presse quotidienne, donnant l’impression qu’un nouveau pan de l’histoire du petit commerce de la capitale est en train de s’écrouler. Les explications de sa propriétaire, Carole Mersch, sont plus pragmatiques. Elles tiennent en peu de mots : un loyer trop cher, des chantiers – ceux du tram et du centre Hamilius – trop longs, la concurrence effrénée du e-commerce et le coup de grâce de la crise sanitaire. Sa conclusion tombe comme un couperet dans Le Quotidien : « La Ville est de moins en moins attractive. »

Une autre fermeture qui a fait sensation fut celle, en 2019, de l’entreprise Tapis Hertz qui, après 73 ans de présence dans la Grand-Rue de Luxembourg, s’est repliée sur ses locaux de la Belle Etoile et de Bertrange. « Les habitudes de consommation, le succès des ventes sur Internet, le manque d’emplacements de parking mais également un modèle de commerce multimarques et de détail devenant désuet en centre-ville, à part peut-être les concept-stores, nous ont mené à reconsidérer notre stratégie d’entreprise », expliquait, à l’époque dans un communiqué, sa gérante Nathalie Aach.

Au grand dam des responsables communaux, ces fermetures d’enseignes reconnues ébrèchent l’image de marque des villes aussi sûrement que la succession de vitrines vides dans les rues. Et pourtant, Nathalie Ney du Service des relations publiques d’Ettelbruck n’hésite pas à affirmer que « le commerce ne disparaît pas. C’est plutôt le contraire ! ». Serge Wilmes, premier échevin de la Ville de Luxembourg, renchérit d’un « Ce n’est pas alarmant. S’il n’y avait plus d’investisseurs, là, ce le serait ! ». Christian Bettendorff de la Division du développement urbain et économique de la Ville d’Esch-sur-Alzette y voit, quant à lui, « une potentialité de développement ».

Pour donner un ordre de grandeur, à Luxembourg, la ville haute compte 707 commerces, dont 13,15 % sont vides. Pour le quartier de la gare, le chiffre s’élève à 580 surfaces commerciales. La part des boutiques fermées monte à 15,69 %. A Esch, 13 % des magasins de la rue de l’Alzette et ses environs sont fermés. Christian Bettendorff explique ce taux de vacance par les ventes de commerce, des problèmes d’héritage ou de travaux, voire de projets qui ont besoin de temps pour se construire. La liste n’est pas exhaustive, mais elle illustre les difficultés classiques du renouvellement de l’offre commerciale. Ce dont les habitants et visiteurs font peu de cas face à la concentration des vitrines passées au blanc d’espagne.

Pour Jean-Marc Friederici, coordinateur général de la Nordstad, une des raisons qui expliquent la désaffection des centres-villes et la mise en place de politiques spécifiques pour les redynamiser est la concurrence des centres commerciaux. « Il est plus simple de s’installer dans un centre commercial », explique-t-il. « Les loyers sont plus chers, mais des services comme le marketing sont proposés. » Et encore, c’est sans compter leur nombre. Depuis l’ouverture du premier d’entre eux, la Belle Etoile le 3 juillet 1974, ils ont poussé comme des champignons aux abords des villes et de chaque côté des frontières. A peine un demi-siècle plus tard, on en dénombre 33 de plus de 5 000 m2. Cette explosion est principalement due à la levée, en 2005, du moratoire qui protégeait le commerce local en limitant le développement des grandes surfaces commerciales. Aujourd’hui, le Luxembourg est en tête des pays européens avec une surface commerciale de 169 m2 pour 1 000 habitants. Comme quoi, l’offre commerciale est bel et bien présente.

Des loyers trop élevés en ville

Pour attirer le commerce au cœur des villes, le problème numéro un est le montant des loyers. Beaucoup trop élevé pour un commerce qui doit vivre avec un chiffre d’affaires moindre à cause de la concurrence accrue des centres commerciaux, mais aussi des autres villes qui défendent, elles aussi, leurs centres anciens. C’est, par exemple, le cas d’Esch-sur-­Alzette qui, il y a encore trois décennies, était le pôle commercial du sud, mais doit maintenant prendre en compte la concurrence de Dudelange et de Differdange, qui mènent des politiques de revitalisation d’envergure.

« Un loyer qui augmente, alors que le chiffre d’affaires et la productivité au mètre carré baissent, c’est à ce niveau que se situe le problème », avance Christian Bettendorff pour expliquer la disparition du petit commerce traditionnel ou son remplacement par de grandes enseignes internationales. Et d’ajouter que « les charges salariales élevées sont l’autre facteur limitatif du développement de jeunes entreprises ».

Toutes les communes sont confrontées à cette problématique des loyers et toutes cherchent à intervenir en fonction de leurs moyens. Le principe de base est de négocier avec les propriétaires afin qu’ils n’augmentent pas le prix demandé au locataire à chaque renouvellement de bail. Une autre voie est que la ville loue elle-même le bien, pour le sous-louer ensuite à un prix préférentiel à un commerçant ou entrepreneur. C’est le principe des pop-up stores qui permettent à de jeunes pousses de se développer ou à des entreprises déjà installées de tester un nouveau marché à moindre coût.

La politique des pop-up stores

A Ettelbruck, l’essai s’étale sur trois mois, puis le commerçant s’acquitte d’un « loyer abordable » pendant un an. Ce n’est que par la suite que le loyer sera adapté au prix du marché. « Quand ils se lancent, les gens sont réticents à verser une caution et à s’engager sur un bail à long terme. Il faut leur donner un coup de pouce », explique Nathalie Ney. « Il s’agit d’éviter le vide », renchérit Jean-Marc Friederici.

Pour Serge Wilmes, la politique des pop-up stores fonctionne bien. Il en veut pour preuve l’évolution du nombre de personnes prêtes à se lancer dans cette aventure : « Nous comptions 38 candidats pour le premier appel d’offres en 2019, une quarantaine en 2020 et 70 en 2021. » Là aussi, il s’agit d’offrir un loyer accessible. « Nous louons aux pop-ups uniquement les locaux dont nous sommes propriétaires – une quarantaine – ou que nous louons à l’Etat. Il n’y a qu’à la gare que nous avons un accord avec un propriétaire privé », précise-t-il.

La Métropole du fer n’est pas en reste. Elle a développé un concept de gestion active des locaux vacants dénommé CLAIRE (Concept local d’activation pour la revitalisation commerciale d’Esch). Il s’agit pour la commune de se placer en interlocuteur entre les propriétaires de locaux et les utilisateurs intéressés. Ce projet comprend notamment un concept store, un grand local de la rue de l’Alzette ouvert en octobre 2020. Il regroupe sept surfaces commerciales louées chacune 75 euros la semaine pour une durée maximum de trois mois. « Nous avons une très bonne rotation », constate Christian Bettendorff pour souligner le succès de la nouvelle offre.

Mais CLAIRE, c’est aussi une politique qui vise à masquer les vitrines vides ou à les utiliser comme espaces d’exposition, à installer du mobilier urbain pour rendre le centre attrayant, à négocier des loyers abordables pour tous les types d’entreprises (start-up, entreprises établies…), à accompagner les entreprises qui s’installent pour en faire des « pionniers » et à valoriser, à terme, l’offre commerciale de la ville. Laquelle compte bien sûr sur Esch 2022 pour compléter son action en faveur du centre-ville.

La revitalisation urbaine

Le deuxième axe spécifique pour redynamiser le commerce est la revitalisation urbaine. Cela va du mobilier urbain aux grandes opérations immobilières, en passant par l’aménagement de parcs et de places ou la réhabilitation de rues. Il s’agit de créer un cadre agréable invitant à flâner et donc à jouer sur la corde sensible des centres-villes.

Fernand Ernster, patron des librairies du même nom, est à même de mesurer la capacité d’attraction des centres urbains, puisqu’il possède des établissements au cœur de villes aussi différentes que Luxembourg et Ettelbruck, mais également au sein de centres commerciaux. « L’écosystème commercial favorise clairement les villes qui ont une offre culturelle et proposent des agréments comme la restauration ou des terrasses », explique-t-il, tout en reconnaissant que les centres commerciaux ont la capacité de maîtriser l’offre commerciale, car ils appartiennent généralement à un seul propriétaire. Et, en plus, le consommateur y va clairement pour consommer. »

Ce n’est donc pas sans raison que Serge Wilmes mise sur la réouverture de la place de Paris, dont le réaménagement s’appuie sur les desiderata des habitants pour redonner du pep à un quartier dont les commerces ont souffert des travaux du tram. Il base ses espoirs sur l’expérience du Royal Hamilius et du marché bi-hebdomadaire qui y a été transposé. « Nous avons pu remarquer les effets positifs en mesurant le flux des piétons grâce aux bornes wifi et dans le respect des règles de confidentialité. »

« La situation n’est pas désespérée. La Ville offre un bel écrin », fait valoir Nicolas Henckes, le directeur de la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC). A condition de saisir la balle au bond. Luxembourg peut se targuer d’être une ville dont l’aire d’attraction commerciale s’étend à l’ensemble de la Grande Région, voire au-delà. Le développement d’un centre du luxe n’y est pas étranger. Une marque d’horlogerie suisse vient d’y ouvrir un flagship store. Trois nouvelles enseignes sont attendues d’ici l’été d’après Paperjam. Il ne faut cependant pas que ces ouvertures soient l’arbre qui cache la forêt. D’une part, parce qu’elle conforte les propriétaires à maintenir des loyers élevés et, d’autre part, parce que d’autres enseignes internationales sont sur le point de quitter Luxembourg.

Une stratégie nationale pour redynamiser le commerce

Nicolas Henckes mise sur une stratégie nationale pour redynamiser le commerce au centre-ville. Il imagine un cadastre commercial et n’hésite pas à proposer ses services aux communes et à l’Etat afin d’apporter « la connaissance du terrain et des métiers » de la CLC. Il rejoint ainsi Christian Bettendorff, qui verrait bien un plan sectoriel Commerce comme il existe un plan sectoriel Logement par exemple, mais aussi des « études de déviations de chiffres d’affaires » pour mesurer les effets de l’implantation de centres commerciaux sur les commerces urbains.

En attendant, chaque commune joue sur ses spécificités pour attirer les commerces. Il y a pratiquement autant de plans de revitalisation que de communes. La plupart essaie d’avoir une influence sur les loyers, mène des actions marketing, propose de nouveaux aménagements urbains et se projette dans le futur.

La Nordstad, par exemple, défend son cadre de vie et ses deux centres piétons, les magasins de détail à Ettelbruck et les loisirs, c’est-à-dire principalement l’horeca à Diekirch, pour attirer les visiteurs. Jean-Marie Friederici prend fait et cause pour la fusion des communes de la Nordstad – pour celles qui la souhaitent, bien évidemment –, qui pourrait donner plus de force aux projets qu’il a dans ses cartons, comme celui de créer des espaces pour accueillir les jeunes entrepreneurs lesquels, après leur scolarité à Diekirch ou Ettelbruck, partent à l’étranger, mais reviennent s’installer à Luxembourg ou dans le sud du pays.

Fernand Ernster, avec cette fois sa casquette de président de la CLC, relève « une prise de conscience de la responsabilité des élus pour ce dossier », tout en notant cependant « le manque de stratégie nationale » dans ce domaine. Quoiqu’il en soit, les communes se prennent en charge, quitte à se concurrencer. Les commerces et les enseignes changent, mais l’attrait du consommateur, aux yeux de tous, reste bel et bien vivace, car un centre-ville est un lieu de convivialité extraordinaire. Le potentiel est là, les communes s’attèlent au développement, même si elles savent finalement que, comme le dit Christian Bettendorff, « il est plus facile de garder un commerce que d’en attirer de nouveaux ». 

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