Les quotas d’embauche pour salariés handicapés auprès des entreprises luxembourgeoises (très) loin d’être respectés
Dans la réponse conjointe du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, Dan Kersch, et du ministre de la Fonction publique, Marc Hansen, à la question parlementaire du député Sven Clement concernant le nombre d’entreprises au Luxembourg qui remplissent les quotas d’embauche pour salariés handicapés prévus par la loi, il ressort que la fonction publique ne peut pas déterminer exactement le nombre de salariés handicapés dans ses rangs. Mais, sur base des chiffres existants, il est à supposer qu’elle remplit « probablement » son obligation de 5 %.
Dans le privé, la situation est cependant sans équivoque :
- 81 % des entreprises avec un effectif de 25 à 49 salariés ne remplissent pas leur obligation de quota (cela représente 932 entreprises) ;
- 80 % des entreprises avec un effectif de 20 à 299 salariés ne remplissent pas leur obligation de quota (cela représente 842 entreprises) ;
- 98 % des entreprises de plus de 300 salariés ne remplissent pas leur obligation de quota (cela représente 154 entreprises).
Ce qui revient à dire qu’au total, 1 928 entreprises ne remplissent pas leur obligation d’embauche de salariés en situation de handicap, tel que prévu par la loi ! Ce nombre n’est sûrement pas anodin et en dit long sur l’intégration des personnes en situation de handicap dans le monde du travail au Luxembourg.
A noter qu’une sanction est prévue par la loi, mais seulement si l’employeur refuse d’embaucher le nombre requis de personnes handicapées… et non s’il ne remplit pas le quota fixé par ladite loi ; ceci constitue une nuance de taille. L’application de la loi remonte à l’année 2003. Depuis lors, le Luxembourg se trouve dans une situation où un très grand nombre d’entreprises ne remplissent (toujours) pas les quotas fixés par celle-ci. En d’autres termes, l’accès des personnes en situation de handicap à un emploi n’a pas vraiment évolué depuis l’entrée en vigueur de la loi.
Un coup d’œil sur le nombre de personnes inscrites à l’Agence pour le développement de l’emploi (ADEM) bénéficiant soit du statut de salarié handicapé, soit d’un reclassement externe, montre clairement que la situation reste difficile, voire « dramatique », pour les personnes concernées : on dénombre quand même 3 200 personnes à la recherche d’un emploi sur environ 20 000 personnes inscrites à l’ADEM (salariés en situation de handicap et salariés à capacité de travail réduite – chiffres ADEM de janvier 2021) ; cela fait presque une personne sur six ! Et on ne parle ici que des personnes en situation de handicap « recensées » ; combien de personnes en situation de handicap sont à la recherche d’un emploi sans être inscrites à l’ADEM ?
Concernant les moyens que l’Etat se donne pour que les entreprises respectent leurs quotas, la réponse des ministres renvoie aux mesures existantes (participation aux salaires, participation à l’aménagement du poste de travail, prise en charge des frais de formation, etc.). Ces aides sont certes utiles et constituent un levier auprès des entreprises qui souhaitent embaucher des personnes en situation de handicap. Cependant, force est de constater que ces mesures existent depuis un bon nombre d’années, beaucoup d’entre elles déjà avant l’entrée en vigueur de la loi sur les quotas, et qu’elles n’ont pas eu comme effet d’atteindre ces quotas.
Hormis les mesures évoquées ci-devant, le gouvernement mise également sur la sensibilisation des entreprises ainsi que sur la possibilité pour celles-ci de profiter des aides financières prévues dans le cadre du Fonds social européen (FSE). Là aussi, force est de constater que cette politique ne constitue pas davantage une motivation efficace. Tant que les entreprises auront le choix d’embaucher une personne en situation de handicap ou non, il est clair qu’elles n’atteindront pas leurs quotas, car elles continueront, à quelques exceptions près, d’appliquer la politique d’embauche qui leur est familière et qu’elles ont toujours appliquée, ce qui, d’un point de vue managérial, est compréhensible.
Soyons réalistes : ce n’est qu’en rendant les quotas contraignants pour les entreprises que ce but pourra être atteint. Ce n’est qu’à cette condition que les entreprises entameront un véritable questionnement par rapport à l’embauche de personnes en situation de handicap et qu’elles auront tout intérêt à utiliser les mesures existantes, dont entre autres la fonction nouvellement créée d’assistant à l’inclusion dans l’emploi. Pour rappel : « Cette assistance vise à inciter les entreprises à engager plus de salariés handicapés ou en reclassement externe en leur offrant la possibilité de recourir à un expert externe agréé pour accompagner le processus d’inclusion professionnelle dans l’entreprise. En identifiant les besoins particuliers et en formant l’entourage professionnel aux spécificités du handicap du salarié, cette nouvelle activité permet de faciliter l’inclusion professionnelle durable et surtout le maintien dans l’emploi des personnes bénéficiant du statut de salarié handicapé ainsi que des salariés en reclassement externe sur le marché ordinaire de l’emploi. »
Il ne faut pas oublier qu’il existe déjà une loi dans ce domaine, à savoir celle organisant le reclassement professionnel. Cette loi est contraignante pour les entreprises et elle est tout à fait acceptée par ces dernières. Dans cette procédure, les entreprises peuvent bénéficier du soutien de la médecine du travail et d’aides spécifiques pour aménager les postes de travail. De plus, si une entreprise peut prouver qu’elle ne peut pas aménager un poste de travail ou que cela lui causerait un préjudice financier appréciable, cette dernière est exemptée de l’obligation d’effectuer un reclassement interne. Pourquoi ne pas s’inspirer de cette loi pour « améliorer » la loi sur les quotas ? Il est en outre surprenant de constater que le législateur, en ce qui concerne le reclassement professionnel, a pu opter pour la contrainte envers les employeurs, mais ne l’a pas fait en ce qui concerne les quotas !
Dans le Plan d’action national de mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées 2019-2024, chapitre 7 « Travail et emploi », on peut lire : « Le travail constitue un vecteur fondamental pour l’intégration dans notre société et personne ne doit en être privé. Le marché d’emploi inclusif devra devenir réalité. » Dans ce contexte, le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire s’est engagé à favoriser l’inclusion des personnes handicapées dans le marché du travail, en concentrant ses efforts sur les quatre points suivants : accès au travail, maintien à l’emploi, suivi et qualité des mesures et, last but not least, adaptation du cadre législatif, c’est-à-dire « évaluer et adapter les modalités d’application des quotas d’emploi relatives à l’embauche des salariés handicapés ».
En conclusion : une politique plus ambitieuse dans le domaine de l’inclusion dans le monde du travail des personnes en situation de handicap serait la bienvenue et marquerait une véritable volonté politique de faire (enfin) évoluer la situation. Car, en fin de compte, tout dépend du nombre de personnes en situation de handicap auxquelles nos responsables politiques veulent vraiment permettre de (ré)intégrer le marché du travail. Ne miser que sur la sensibilisation des entreprises ne suffit pas ; les 18 dernières années l’ont clairement démontré.
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