Des jeunesses si diverses…

Une critique du livre « Générations. ASSOSS-UNEL : 1912-2022 »

L’ouvrage historique sur l’Association générale des étudiants luxembourgeois (ASSOSS) de 1912 à 1969 et sur l’Union nationale des étudiant-e-s du Luxembourg (UNEL) de 1920 à nos jours est intéressant à double titre : par le sujet, la jeunesse étudiante, et les auteurs, dans leurs jeunes années acteurs de ces associations, donc témoins privilégiés. 

Une question surgit d’emblée. Ces auteurs ont-ils assez de recul pour une histoire qui ne soit ni sectaire ni autosatisfaite ? La lecture attentive de l’ouvrage révèle des historiens sérieux. Dans l’introduction, l’un des auteurs, Adrien Thomas, insiste sur l’importance du recours aux sources. Un autre, Henri Wehenkel, avoue manquer de recul pour le dernier chapitre de son histoire de l’ASSOSS de 1965 à 1969. Le texte de Frédéric Krier est un mémoire de maîtrise présenté à l’université de Strasbourg. Et les trente dernières années ne sont « historisées » qu’en partie, mais soumises à un exercice d’« introspection collective » qui n’est cependant pas toujours sans complaisance. 

Naissance et déclin de l’ASSOSS

Un demi-siècle après sa disparition en 1969, l’ASSOSS n’est aujourd’hui plus qu’un mythe dont on se rappelle tout au plus le fameux bal de la mi-carême. Elle naquit en 1912 dans la foulée du bloc de centre-gauche, pour damer le pion au cléricalisme. Au cours de son histoire, elle navigua entre l’anticléricalisme, l’antimilitarisme, l’appétence pour la révolution et la volonté de démocratisation de l’école. Wehenkel en raconte les temps forts en sept chapitres et d’une plume précise, d’où naissent aussi l’ironie, voire la dérision : « Le Luxembourg n’avait pas d’université, mais possédait deux mouvements étudiants. Ces mouvements d’étudiants avaient grandi hors des murs d’une université, en période de vacances. » (p. 22). L’auteur connaît à fond le petit monde des notables de gauche du pays, dont l’ASSOSS fut longtemps la source et le miroir. Lui-même y a milité dans les années 1960, lu toutes les Voix et assisté à toutes les assemblées générales. Il sait dresser des portraits parfois ravageurs des meneurs de l’époque.

Chaque génération d’« assossards » a eu son histoire : ainsi, celle de 1917 à 1921 fut marquée par la révolution soviétique, la fin de la guerre et la volonté de renouveau internationaliste ; celle de 1933 à 1940 par la montée nazie, la loi d’ordre et le référendum de 1937 ; et celle de 1965 à 1969 par Mai 68, qui chamboula l’université et balaya en passant la collation des grades. L’ASSOSS festive y sombra sous les coups de rigides sectaires.

La longévité de l’UNEL

L’UNEL, par contre, continue d’exister cahin-caha depuis un siècle. Elle a servi à pas mal de desseins. Elle a été la porte d’entrée dans la vie politique et sociale pour plusieurs personnalités, de Gaston Thorn à Frank Engel, en passant par David Wagner, Raymond Kirsch et Frédéric Krier. Celui-ci, ancien président de l’union, aujourd’hui cadre dirigeant de l’OGBL, a étudié le syndicalisme étudiant dans un mémoire de maîtrise présenté en 2000. Il commence par un rappel de l’ancien monde estudiantin luxembourgeois, mis en place par la loi de 1848 sur l’enseignement supérieur, avec les cercles d’étudiants et leur vie intérieure. La première UNEL naquit en 1920 suite au compromis entre l’Association luxembourgeoise des universitaires catholiques (ALUC) et l’ASSOSS pour représenter les étudiants luxembourgeois à la Conférence internationale des étudiants (CIE). Elle fut insignifiante jusqu’en 1940 et ne se reconstituera qu’en 1951, à l’ombre, pour ainsi dire, de la charte de Grenoble de 1946, qui définit l’étudiant comme jeune travailleur intellectuel. 

L’auteur suit attentivement les arcanes du débat sur le syndicalisme étudiant. Les générations successives ont consacré beaucoup (trop ?) d’énergie à des débats internes sur ce que devait être l’UNEL, sur l’influence respective de l’ASSOSS et de l’ALUC, sur la représentation des intérêts facultaires et sur le rôle des cercles d’étudiants. La partie la plus intéressante du travail de Krier est sans doute l’analyse des idées de réforme nées à l’ASSOSS et à l’UNEL. 

L’influence des mouvements de jeunesse sur
les réformes sociétales

Dans les années 1920, la gauche avait revendiqué un fonds des mieux dotés. Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement était sous la pression du mouvement de démocratisation des études secondaires et supérieures. Il y avait alors un système de subventions destiné aux élèves de lycée, relevant de l’appréciation des directeurs, et de subsides aux étudiants, à condition qu’ils fussent pauvres, mais intelligents et travailleurs. Cette méritocratie fut battue en brèche par la notion de présalaire, appelé aussi allocation d’études, qui considérait l’étudiant comme travailleur autonome, abstraction faite de son origine sociale. En 1977, il en naquit un système de bourses et de prêts.

En 1958, face à la pression exercée par l’ASSOSS, mais également par des mouvements de jeunes des partis de gauche et des syndicats, le ministre Pierre Frieden (CSV) présenta peu avant son décès un vaste projet de loi omnibus n° 920, qui allait aboutir aux lois de 1963 sur l’enseignement primaire, de 1965 sur l’enseignement moyen, de 1968 sur l’enseignement secondaire et de 1969 sur la collation des grades. Dans l’entrelacs de positions exprimées par l’UNEL, les enseignants et les mouvements de jeunesse, émergeaient peu à peu les idées qui faisaient consensus dans la politique de l’éducation et qui ont réformé – lentement, certes – l’école luxembourgeoise : l’extension de l’obligation scolaire à 16 ans, la gratuité de l’enseignement primaire et secondaire, la mise en place d’un cours de morale laïque, la co-éducation des filles et garçons, le passage un peu mieux aménagé du primaire au secondaire, à défaut du tronc commun. Le chapitre sur la place de l’UNEL dans les débats politiques montre bien qu’elle était une source importante pour les débats à la Chambre de l’époque. Source d’autant plus importante que les partis ne s’intéressèrent guère à l’enseignement jusque dans les années 1980. 

Au-delà de l’école, il y avait le monde où s’indigner contre l’URSS (Hongrie, 1956), la France (Algérie, 1962), les Etats-Unis (Vietnam, 1966), la Tchécoslovaquie (1968), l’Espagne de Franco, et s’enthousiasmer pour la Chine de Mao. Ni l’ASSOSS, ni l’UNEL, ni tous les autres mouvements de jeunesse ne sont restés neutres face au service militaire, aboli en 1967 suite à leurs pressions massives.

Puis vint Mai 68. Frédéric Krier et Adrien Thomas ont revisité les mouvements de jeunes après cette tourmente. Les deux auteurs ont beaucoup de mérite à avoir rendu compréhensibles les luttes internes du gauchisme luxembourgeois. L’ASSOSS devint en 1969 la Gauche socialiste et révolutionnaire (GSR), qui se mua en Kommunistischer Bund Luxemburg (KBL), dont s’en allèrent en 1970 les trotskistes pour fonder la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Il y eut également quelques maoïstes. L’UNEL fut ballottée jusqu’à risquer de disparaître au début des années 1980. Elle fut concurrencée avec succès par l’Association des cercles d’étudiants (ACEL) à partir de 1984, à laquelle elle s’oppose traditionnellement et qu’elle accuse de s’être inféodée au système capitaliste.

L’engagement sans faille de l’UNEL

Une dernière partie, rédigée par Pol Reuter, journaliste de Reporter, lui aussi ancien cadre de l’UNEL, raconte les 30 dernières années en deux temps : un essai d’histoire pour les années 1990, une introspection collective à travers deux entretiens avec les cadres dirigeants de l’UNEL de 1990 à 2020. C’est une « radiographie » intéressante de la jeunesse engagée de notre temps.

Pendant ces décennies, l’UNEL s’est mobilisée pour les intérêts corporatistes des élèves et des étudiants. Elle a poussé à l’implication des jeunes dans le fonctionnement de l’école sous le slogan Mär sinn d’Schoul. Elle a présenté des idées intéressantes de réforme (p. 289). Elle s’est en même temps engagée à fond pour le « non » au référendum sur la Constitution européenne en 2005. Et on se met à rêver ce qu’aurait pu apporter un engagement aussi massif pour un projet de réforme de l’enseignement luxembourgeois qui en a bien besoin.

Pourquoi rejoint-on aujourd’hui l’UNEL ? 

C’est le cas de certains jeunes qui sont intéressés par la politique et parce que l’UNEL n’est pas un parti et qu’on peut s’y exprimer librement. Ils n’aiment ni les « politiciens » ni les partis – sous-entendu traditionnels – dont ils fustigent les « ambitions électorales », ce qui ne les a pas empêchés, pour certains, de rejoindre Déi Lénk ou Déi Gréng qui sont bien forcés d’en avoir, de ces ambitions. 

De nos jours, l’UNEL se voit volontiers en tant que mouvement antisystème. Est-elle syndicat ou lobby ? Faut-il avoir un bureau, des moyens financiers, s’institutionnaliser ou rester léger, sans gros moyens, et intervenir avec les moyens du bord – la grève, la manifestation, la conférence de presse ? 

On ne fige pas la jeunesse, de gauche ou pas, dans un modèle d’autrefois. Diverse, elle se réinvente sans cesse au gré des défis de la société. C’est ce qui fait sa force, mais également sa faiblesse.  

 

  1. Frédéric KRIER, Pol REUTER, Adrien THOMAS et Henri WEHENKEL, Générations. ASSOSS-UNEL : 1912-2022, Luxembourg, capybarabooks, 2021, 20 €.

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