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Le droit des victimes et la réforme du droit de la jeunesse
Beaucoup d’encre a coulé sur la réforme du droit de la jeunesse ces derniers mois, suite à l’annonce par le ministre de la Justice et le ministre de l’Education, de l’Enfance et de la Jeunesse du dépôt de trois projets de loi en avril 2022. Si les deux projets relatifs à la délinquance juvénile (projet de loi relatif au droit pénal des mineurs) et à la protection de la jeunesse (projet de loi portant aide, soutien et protection aux mineurs, aux jeunes et à la famille) ont été présentés plutôt largement au public, peu d’attention a été portée au troisième projet de loi relatif aux droits des mineurs victimes et témoins dans le cadre de la procédure pénale. Or, ce dernier projet a comme vocation de mieux protéger à l’avenir les enfants victimes ou témoins à tous les niveaux de la procédure pénale dirigée contre l’auteur d’une infraction. Toutefois, la réforme n’apporte pas vraiment d’amélioration quant au dédommagement des personnes mineures ou majeures, victimes d’infractions commises par des enfants. La question se pose dès lors de savoir si cette réforme ne devrait pas également se pencher sur leurs droits.
En effet, il faut bien distinguer deux choses, à savoir d’un côté, le droit pour chaque victime ou témoin à la protection de sa personne, sa famille, son domicile, voire son identité en cas de danger, et, de l’autre, le droit pour chaque victime à la réparation des dommages subis. Ces deux aspects seront analysés à la lumière de la nouvelle réforme.
La réforme et le droit de la victime mineure à être protégée au cours de la procédure judiciaire pénale
Actuellement, le statut de l’enfant victime ne se distingue pas fondamentalement de celui de la victime majeure. Il faut toutefois noter que l’enfant bénéficie de quelques traitements spéciaux, tels que l’enregistrement sonore et visuel de sa parole dans un environnement adapté et un accompagnement professionnel de qualité lors des auditions auprès de la police. Or, l’enfant, de par sa fragilité, doit pouvoir bénéficier d’une prise en charge adéquate s’il a été victime d’une infraction et, plus encore, s’il est appelé à témoigner.
La nouvelle réforme prévoit des changements fondamentaux qui visent clairement une meilleure protection de l’enfant victime, et ce, à tous les stades de la procédure pénale dirigée contre l’auteur présumé. Celle-ci inclut une obligation renforcée de dénoncer les infractions sur mineurs, un meilleur accompagnement de l’enfant pendant la procédure et une protection accrue de l’enfant en cas de danger. Sans pouvoir les citer toutes, voici les mesures les plus importantes parmi celles proposées :
- L’obligation pour toute personne qui aurait connaissance d’une infraction commise sur un enfant, de la dénoncer au parquet. Le défaut de dénonciation serait puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans et d’une amende.
- Le droit pour l’enfant d’être accompagné par ses représentants légaux et/ou une personne de confiance de son choix pendant toute la procédure.
- L’assistance obligatoire d’un avocat pour enfants qui serait choisi par le mineur ou, à défaut, par le bâtonnier de l’ordre des avocats sur une liste d’avocats spécialisés.
- Le droit pour l’enfant de bénéficier de mesures de protection concernant sa vie privée et son bien-être en cas de danger grave. On compte parmi ces mesures celles qui visent à anonymiser certaines données ou à interdire la divulgation de l’identité ou de l’adresse du mineur. Ou encore le droit à être auditionné par les juges dans une pièce séparée de celle où se trouve l’auteur des faits.
- Le droit pour l’enfant d’être informé d’office si la personne condamnée venait à être remise en liberté.
Une attention particulière a été portée au problème d’une éventuelle nouvelle victimisation de l’enfant au cours de la procédure. Ainsi, les auditions des enfants devraient se faire dans un court laps de temps et leur nombre devrait être limité au strict minimum. En cas de classement sans suite d’une plainte ou d’un dossier pénal ouvert à l’encontre de l’auteur présumé, le parquet devrait expliquer au mineur les raisons de cette décision afin d’éviter que ce dernier ne culpabilise ou qu’il ne pense que sa parole n’aurait pas de valeur. Pour les enfants fragiles, dont la capacité de témoigner soulèverait des doutes, des mesures de protection, d’aide et de soutien, notamment médicales ou psychologiques, pourraient être instaurées.
Finalement, si les avocats doivent être spécialisés, le projet de loi prévoit aussi que les agents de police en charge de ces dossiers soient formés aux techniques d’audition des enfants dans le but de les protéger encore mieux.
Ce projet de loi a le mérite d’être assez complet, alors qu’il fait écho aux nombreuses doléances des professionnels travaillant avec les enfants victimes ou témoins. Il faut aussi lire ce projet de loi à la lumière de la réforme de l’assistance judiciaire, également en cours, laquelle permettrait à tout mineur de bénéficier gratuitement des services d’un avocat, quelle que soit la situation de fortune de ses parents, sans obligation pour ces derniers de rembourser les honoraires à l’Etat.
La réforme et le droit à la réparation du dommage causé par un mineur en infraction
Aujourd’hui, obtenir réparation financière d’un dommage causé par un mineur est compliqué. En effet, la victime n’a aucune place dans la procédure dont fait objet le mineur poursuivi pour des faits qui seraient qualifiés d’infraction pénale s’il était majeur. La loi sur la protection de la jeunesse, actuellement en vigueur, ne permet tout simplement pas au juge de la jeunesse d’allouer des dommages et intérêts à la victime. La personne lésée doit s’adresser aux juridictions civiles (justice de paix ou tribunal d’arrondissement selon les montants demandés) afin d’obtenir la réparation de son dommage moral et matériel. Dans certains cas, ces procès s’avèrent longs et coûteux, la victime devant non seulement prouver les faits de la cause et le dommage subi, mais également que les deux sont liés. De nombreuses victimes, mineures et majeures, s’épuisent moralement et financièrement à la tâche et revivent constamment leur calvaire initial. En plus, ce système n’est pas aligné sur celui des juridictions pénales pour adultes, devant lesquelles la victime peut demander réparation en se constituant partie civile à l’audience. Actuellement, la victime d’une infraction commise par un adulte profite d’un système de dédommagement généralement plus rapide, moins coûteux ou compliqué que la victime d’une infraction commise par un enfant.
Les victimes des enfants de plus de 14 ans dans la nouvelle réforme
La réforme prévoit d’instaurer un droit pénal des mineurs et donc une responsabilité pénale pour les enfants âgés de plus de 14 ans. Le mineur comparaîtrait devant une juridiction spécialisée, le tribunal pénal des mineurs, pour y être jugé. Il est prévu que les victimes des infractions commises par les mineurs puissent également comparaître devant cette juridiction, mais le texte n’est pas clair en ce qui concerne leur droit de se constituer partie civile à l’audience et de réclamer réparation des dommages subis. Si tel était le cas, la victime d’un auteur mineur bénéficierait exactement des mêmes droits qu’une victime d’un auteur majeur convoqué devant les juridictions pénales ordinaires.
Le projet de loi sur le droit pénal des mineurs cherche aussi à instaurer des mesures de diversion plus clémentes dont pourrait bénéficier le jeune délinquant sous certaines conditions, notamment s’il avoue les faits commis et si la peine maximale encourue ne dépasse pas les trois ans d’emprisonnement. Ces mesures alternatives à la sanction pénale auraient pour conséquence que le mineur ne comparaîtrait plus devant le tribunal pénal des mineurs et que la partie lésée se verrait alors, en théorie du moins, privée de sa chance de porter devant le juge compétent sa demande en vue d’un remboursement des dommages subis. Or, il semble que les rédacteurs du projet n’aient pas totalement oublié les victimes dans le cadre de ces mesures alternatives, en demandant au ministère public en charge de l’application de ces mesures de diversion de vérifier si les droits de la victime, et donc aussi son droit à la réparation, étaient respectés. Toutefois, la réparation des dommages subis par la victime ne serait pas une condition obligatoire préalable à l’application des mesures de diversion.
Parmi les mesures de diversion qui ne sont pas limitativement énumérées, on retrouve la médiation pénale et la mesure de justice restaurative. Il s’agit de deux méthodes alternatives de règlement de conflits déjà couramment utilisées pour fixer à l’amiable les montants de dédommagement entre victimes et délinquants adultes.
Mais le texte du projet de loi, dans sa rédaction actuelle, pose encore un autre problème. En effet, le mineur, même fortuné, n’a pas le droit de disposer seul de ses biens et toute demande de réparation doit être adressée à ses représentants légaux. Il faudrait donc prévoir dans la future loi la possibilité pour la victime de demander réparation aux parents, même si c’est l’enfant de ces derniers et non pas eux-mêmes qui feraient l’objet d’une sanction pénale ou d’une mesure de diversion.
En conclusion, le législateur devra clarifier la question du dédommagement des victimes dans le cadre de ces nouvelles procédures et il serait souhaitable que toute réparation soit rapidement réglée, plutôt que de renvoyer les victimes devant les juges civils comme c’est le cas actuellement.
Les victimes des enfants de moins de 14 ans dans la nouvelle réforme
Le projet de loi sur le droit pénal des mineurs exclut l’enfant de moins de 14 ans de toute responsabilité pénale. Ceci ne veut pas dire que ce mineur ne serait pas pris en charge dans le futur système. En effet, c’est alors la future loi « portant aide, soutien et protection aux mineurs, aux jeunes et aux familles » qui serait d’application. Ce projet de loi prévoit la mise en place de mesures d’aide, de soutien et de protection administratives et judiciaires pour les mineurs qui en auraient besoin. Tout enfant mineur de moins de 14 ans ayant commis des faits graves tomberait certainement sous la qualification de « mineur dont la santé ou sa sécurité sont en danger ou dont les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, sentimental, intellectuel et social sont gravement compromis » retenue dans le projet de loi. La panoplie des mesures serait assez complète, incluant à titre d’exemple tant des mesures thérapeutiques que des mesures d’accueil en journée ou stationnaire en dehors de la famille.
Pourtant, ce projet de loi ne donne aucune compétence ni à l’Etat par le biais de l’Office national de l’enfance, ni aux juridictions de jeunesse pour régler les demandes de réparation du dommage subi par les victimes des mineurs de moins de 14 ans. Ces dernières devraient donc se tourner vers les juridictions civiles pour obtenir réparation. Comme déjà expliqué, ce serait à la victime de prouver les faits à l’origine de son dommage. Or le projet de loi ne règle pas l’accès des victimes aux preuves contenues dans le dossier administratif ou judiciaire du mineur. Au contraire, vu l’âge de l’agresseur et donc sa minorité, ses données personnelles bénéficieraient d’une protection particulièrement renforcée. A titre d’exemple, dans le cadre d’une agression d’un mineur de moins de 14 ans sur une autre personne, le procès-verbal dressé par la police contenant le nom de l’auteur, celui de ses parents, le nom de témoins éventuels et leurs déclarations ne serait pas directement accessible à la victime. Dans ce cas de figure, la victime serait non seulement obligée de saisir à ses frais les juridictions civiles de sa demande de réparation, de rapporter la preuve des faits et du dommage qui en aura résulté pour elle, mais elle serait en plus confrontée à la difficulté additionnelle de demander au juge civil d’ordonner la communication du dossier administratif ou judiciaire du mineur, si toutefois cette dernière était possible dans le cadre de la réforme et si le juge l’estimait utile.
En conclusion, si cette réforme ambitieuse sur le droit de l’enfance en trois chapitres – mineur protégé, mineur délinquant et mineur victime – passe, elle entraînera des changements profonds à la fois sur le plan de la prise en charge des plus fragiles d’entre nous et de la manière de travailler de tous les professionnels de l’enfance. Les débats viennent à peine de commencer et s’annoncent passionnants, pour ne pas dire passionnés.
Si la partie de la réforme concernant la protection des enfants victimes semble plutôt réussie, les auteurs des projets de loi ne semblent pas s’être suffisamment penchés sur les difficultés des victimes des mineurs délinquants à obtenir réparation des dommages subis. Il est encore temps de revoir la copie.
Spécialisée en droit familial et patrimonial, Valérie Dupong, avocat à la cour, s’intéresse à tous les domaines de la vie familiale. Elle représente et assiste les enfants devant tous les tribunaux en tant qu’avocat pour enfants ou administratrice ad hoc. Son domaine d’activités couvre également le droit médical et plus particulièrement la responsabilité des médecins. Elle traite régulièrement des dossiers de responsabilité civile et pénale professionnelle. Elle représente les victimes en justice (au civil et au pénal).
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