3 questions relatives à la démocratie participative
Alex Bodry
1) Les réticences des parlementaires à l’égard des formes de démocratie directe sont bien connues. Ces réticences s’appliquent-elles aussi, à votre avis, aux formes de démocratie participative (conseils citoyens, parlements citoyens, assemblées citoyennes) ?
Il ne faut pas généraliser, même en politique. L’attitude des députés et des partis politiques diffère évidemment sur le poids à accorder à la démocratie directe dans un régime politique représentatif, la Chambre des députés étant censée représenter le pays. Force est de constater que l’instrument du référendum introduit dans notre Constitution par la révision de 1919 n’a été utilisée qu’à quatre reprises en cent ans. Au niveau communal, la consultation des électeurs ancrée dans la loi communale a été plus souvent utilisée, notamment dans le cadre des fusions de communes, le droit international recommandant fortement de consulter la population sur de tels sujets.
Plus récemment, c’est l’imminence d’un référendum à l’issue toujours incertaine et la perspective d’une campagne nationale alliant la majorité et une partie de l’opposition qui a contribué à faire tomber le joli projet d’une nouvelle Constitution, projet finalement scindé en quatre parties soumises au seul assentiment de la Chambre des députés.
Mais c’est précisément la procédure de révision globale de la Constitution qui montre que le monde politique n’est pas nécessairement hermétiquement fermé à l’idée d’une démocratie plus participative, qui réduit la participation des citoyens aux décisions politiques à des élections tous les cinq ou six ans.
En 2015/2016, le Parlement a lancé un appel aux idées pour la future Constitution, idées qui ont été discutées en commission et lors d’un hearing public qui a permis un échange direct entre les citoyens et les parlementaires en charge de la révision constitutionnelle. En collaboration avec l’Université, une assemblée de citoyens constituée en panels représentatifs a passé au crible les premiers textes proposés et a réagi aux propositions. Les conclusions de cette phase de participation ont impacté tant le contenu du projet que la procédure à suivre. Il s’agit là d’une forme de participation citoyenne à la genèse d’une loi qui respecte le caractère représentatif de notre régime tout en faisant des ouvertures permettant aux citoyens de faire partie du processus de décision. À mon avis, c’est exactement la voie à suivre pour tous les projets de loi importants : prévoir systématiquement une fenêtre réservée au débat public en plein milieu d’une procédure législative avant que le texte final soit arrêté par le Parlement. Je plaide pour une réforme en profondeur des procédures parlementaires, notre système étant usé, fatigué et nécessitant un bol d’air frais qui peut venir d’une part plus large réservée à la participation citoyenne.
L’exemple de l’extension du droit de pétition des citoyens au cours des dix dernières années est prometteur. Il montre l’esprit novateur dont a su faire preuve la Chambre des députés en matière de participation citoyenne.
Par contre, je suis plus sceptique par rapport à l’utilité de mettre en place des structures permanentes quasi délibératives à côté et éventuellement en concurrence avec le Parlement élu. Souvent de telles structures sont lancées pour répondre à la question de la légitimité des institutions politiques et de leurs décisions. Les députés tirent leur légitimité de leur élection. Quelle est la légitimité de telles « assemblées citoyennes » ? Le tirage au sort ? Le tri d’un institut de sondage ? Elles sont responsables devant qui ou quoi ? Et ces enceintes participatives ont généralement un défaut majeur : elles sont imposées d’en haut, elles naissent rarement d’un mouvement social, d’une demande concrète formulée par les citoyens eux-mêmes.
Il faut veiller à ce que ces nouvelles formes de participation créées par décision politique ne servent ni à légitimer après coup des décisions déjà prises ou, cas contraire, à court-circuiter une opposition parlementaire.
Pourquoi tout vouloir réinventer ? Regardons et développons ce qui existe déjà : le modèle du Parlement des Jeunes (PJ) ne poursuit pas des ambitions révolutionnaires, mais il a tout de même permis de rapprocher le monde politique et une partie de la jeunesse. L’échange est généralement intense, et les travaux des jeunes sont pris au sérieux, leurs motions débattues en commission parlementaire. Une nouvelle fois, je privilégie une rénovation du régime représentatif des élus par rapport à la mise en place de structures participatives concurrentes et une éventuelle guerre des légitimités.
2) Y a-t-il, à vos yeux, des arguments en faveur de l’utilité des conseils citoyens au Luxembourg ?
Bien sûr, il en existe. Surtout si la création de tels conseils citoyens n’est pas le résultat d’un calcul politique stratégique, mais la réponse à une demande directe émanant de la société civile.
Pour que de telles enceintes participatives entrent dans notre culture politique, il faudrait d’abord en faire l’expérience au niveau local voire régional avant de passer au niveau national. C’est d’ailleurs de cette manière que le système des référendums a été au fil du temps installé en Suisse.
L’expérience de la fameuse Convention citoyenne sur le climat instaurée en France à la demande du président Macron, en partie pour répondre au mouvement des « gilets jaunes », montre toutefois les risques et les limites d’une telle opération. Si l’opération a certainement été une expérience personnelle enrichissante pour les participants (les déceptions finales mises à part), j’ai des doutes sur l’impact des travaux de cette convention sur l’opinion publique et sur le contenu des lois finalement votées. Y a-t-il eu des idées nouvelles qui ont émergé des discussions entre citoyens ou a-t-on simplement fait un tri entre des idées qui étaient déjà sur la table ? Les réformes sont-elles mieux acceptées si elles reçoivent le soutien d’une assemblée citoyenne ? Je n’en suis pas tout à fait convaincu.
D’autres modèles comme celui en cours à Eupen au sein de la Communauté germanophone de Belgique paraissent intéressants à première vue, mais quel en est l’impact sur la politique, son contenu et son fonctionnement ? Pour véritablement s’engager à fond dans cette voie, nous avons urgemment besoin d’une évaluation objective et neutre de ces expériences chez nous et à l’étranger. On ne peut pas s’attendre à ce que ceux qui ont initié un tel projet, ceux qui l’ont décidé et ceux qui y ont activement participé, aient une vue tout à fait objective sur le bilan d’une telle expérience.
En attendant, je ne peux qu’inciter les responsables politiques à avoir davantage recours aux réunions publiques classiques, aux workshops autour d’un projet précis et aux rencontres plus informelles avec les citoyens pour définir la marche à suivre et réaliser les projets publics, en tenant compte des souhaits et critiques recueillies. Ces moyens participatifs plus anciens sont peut-être moins spectaculaires que les grandes assemblées ou conseils citoyens, mais sont-ils également moins efficaces ?
3) Pensez-vous que les partis politiques luxembourgeois – après la réforme constitutionnelle bientôt achevée – ont toujours la force et l’envie d’innover sur le plan démocratique ?
Impliquer davantage les citoyens dans le processus de décision législatif, cela signifie du travail supplémentaire au niveau du gouvernement, du Parlement comme institution et des députés. Cet élément participatif va nécessairement se greffer sur la procédure législative traditionnelle. Se pose évidemment l’épineuse question du député à plein temps et la fin du cumul des mandats de député avec celui de bourgmestre ou échevin. Se pose aussi la question des moyens dont dispose la Chambre pour accompagner ce processus participatif. Finalement, j’ose soulever le problème du nombre somme toute relativement modeste des députés au Luxembourg, dont la confection des lois n’est pas moins abondante que dans des Etats qui comptent des parlements de plusieurs centaines de députés. Même si cela n’est pas populaire, il faudra se pencher un jour sur la question du nombre des députés et de l’intensité du travail législatif.
Avec le vote de la révision constitutionnelle, notre régime traditionnel de l’initiative de la loi va connaître un bouleversement profond. En effet, il est prévu d’introduire un droit d’initiative législative citoyenne. Avec le soutien de 12.500 électeurs, une proposition de loi émanant de citoyens doit être débattue et délibérée en séance publique de la Chambre des députés. Cette réforme du droit d’initiative va beaucoup plus loin que le droit de pétition puisqu’elle peut aboutir au vote d’une proposition de loi dont ni le gouvernement, ni les députés ne seraient l’auteur, mais un groupe d’électeurs. Le règlement de la Chambre devra être adapté, une loi d’exécution votée. On verra si ce nouvel outil participatif connaîtra un beau succès ou s’il restera lettre morte. En tout cas, il pourrait bien provoquer un sursaut démocratique fort souhaitable. Il combine de façon équilibrée participation citoyenne et représentation par les élus, une condition indispensable à l’émergence d’une démocratie délibérative et participative rénovée qui ne soit pas le fruit d’un antiparlementarisme.
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