Pour tout étranger qui regarde le Luxembourg, il est une chose qui force son admiration : le fait qu’on y parle tant de langues et si bien. Une situation unique, dont les Luxembourgeois n’ont pas totalement conscience. Même la situation linguistique en Suisse ou en Belgique, pays plurilingues, n’est pas comparable, chacun y parlant sa langue mais ne connaissant pas forcément les autres. La plupart des Luxembourgeois grandissent avec trois langues, une langue maternelle qu’ils parlent dans leur intimité et deux autres langues avec lesquelles ils co-construisent leur univers et leurs références culturelles, appartenant à la fois aux mondes germanophone et francophone qui coexistent dans le pays depuis le traité des Pyrénées en 1659. L’identité luxembourgeoise est indissociable de ces univers linguistiques. C’est ce qu’on appelle le transculturalisme, cette faculté de comprendre une culture, bien au-delà de la langue.
D’un atout inouï, la question des langues est récemment devenue un handicap, une crispation permanente au sein de notre société. Le luxembourgeois doit-il être la langue d’intégration (pour les enfants cela fonctionne mais les autres, avec qui peuvent-ils parler ?). Doit-il être utilisé systématiquement dans la communication écrite officielle ? (on note déjà une pénurie de traducteurs). Quel niveau de langue alors utiliser (langue usuelle ou langue formelle ?). Doit-il devenir la langue administrative ? (il ne se prête malheureusement pas à la complexité et la précision des lois). Le désamour des jeunes vis-à-vis du français (dont les causes sont multiples mais que l’on pourrait essentiellement attribuer à la manière dont les professeurs ont assommé leurs élèves avec des exigences anachroniques) ne va-t-il pas avoir comme funeste résultat que, pour une partie de la population, la maitrise de cette langue ne sera plus suffisante pour comprendre les lois ? Y aura-t-il assez de personnes capables de rédiger ces lois en français de manière suffisamment précise, dans toutes les finesses nécessaires ? Mais alors dans quelle langue les écrire ? L’allemand est en perdition. L’anglais a le vent en poupe, mais c’est vraiment une langue étrangère.
Réseaux de neurones
Le débat va bientôt changer de nature et de dimension. Il y a déjà un Google Translate en luxembourgeois qui permet de traduire instantanément des textes dans plus de 100 langues. La technologie fait des progrès considérables, que l’IA accélère notamment grâce à l’utilisation de systèmes d’apprentissage automatique basés sur des réseaux de neurones. Bientôt, chacun ici pourra parler sa langue, que ce soit le luxembourgeois, le chinois ou le basque, et son interlocuteur pourra entendre directement la traduction (c’est déjà possible aux Etats-Unis dans 40 langues avec les écouteurs Pixel buds lancés par Google il y a près d’un an). Le premier pas vers un monde où l’on pourra avoir une conversation très naturelle dans deux langues différentes. Oui mais… quelle conséquence pour les Luxembourgeois ? Ne risquent-ils pas de perdre leur incomparable avantage comparatif, en tant qu’individus et en tant que nation ? Leur transculturalisme va disparaitre peu à peu pour être remplacé par un simple cosmopolitisme. D’ailleurs, dans quelques années, sera-t-il encore nécessaire d’apprendre des langues ?
@f_lavabre
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