- Gesellschaft
À chacun son Ipad…
et la fracture numérique n’existe plus?
Le terme de «fracture numérique» ou «digital divide» est apparu à la fin du siècle dernier pour décrire la séparation entre ceux qui possèdent la technologie et ceux qui ne l’ont pas. Dans ce sens, il n’y a presque plus de fracture numérique au Luxembourg, car quasiment tous les ménages résidents (97%) bénéficient, selon un rapport du Statec1, d’un accès Internet à domicile. Avec 81% des résidents qui se connectent tous les jours à la Toile, le Luxembourg est leader européen dans l’utilisation d’Internet, suivi par les pays scandinaves et le Royaume-Uni. Cependant, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) n’est pas répartie uniformément parmi la population.
Une fracture numérique complexe
On peut constater plusieurs types de fractures numériques qui se rapprochent d’une catégorisation faite en 2009 dans un rapport2, destiné au Parlement français, dans lequel le Centre d’études stratégiques recconaît de nouvelles formes:
1) générationnelle: la possession d’un ordinateur ou l’accès à un ordinateur ou à Internet diminue fortement avec l’âge. La fracture numérique générationnelle présente en effet un grand défi pour les personnes âgées qui n’ont jamais travaillé, surtout dans leur activité professionnelle antérieure, avec des ordinateurs. Pour eux, se retrouver dans un monde où les services bancaires en ligne remplacent la personne de contact au guichet devient de plus en plus une vie sans interaction humaine réelle. Cependant, cette fracture va diminuer de manière progressive et quasi naturelle, avec l’avancée en âge des générations qui ont grandi avec les outils technologiques.
2) sociale: les personnes à faible revenu disposent moins souvent d’un ordinateur à domicile que les personnes à revenu élevé. (Il convient de noter ici que cela n’est plus le cas dès que des enfants en âge de scolarisation font partie de la famille.)
3) culturelle: les personnes les moins diplômées ont un accès moindre à un ordinateur et à Internet, à la fois au travail et à domicile.
Les rapports annuels du Statec sur l’utilisation des TIC par les résidents3 au Luxembourg sont éclairants à tous ces égards. Ils nous apprennent que l’utilisation quasi journalière d’Internet décroit avec l’âge de l’utilisateur, mais que seulement 6% des personnes interviewées déclarent n’avoir jamais utilisé Internet. Par ailleurs, l’accès à Internet augmente fortement avec le niveau d’éducation: seulement 42% des personnes n’ayant pas dépassé le niveau de scolarité obligatoire se connectent à domicile, alors que 72% de celles qui ont achevé des études post-secondaires accèdent à la Toile en dehors de leur lieu de travail ou de leur domicile via un ordinateur ou un appareil portable. On constate le même phénomène au niveau des disparités sociales: 94% des particuliers avec un diplôme d’enseignement supérieur surfent tous les jours contre 53% parmi ceux qui n’ont pas dépassé le niveau d’enseignement inférieur.
Fracture sociale plutôt que digitale
Ces écarts certes importants, mais se réduisant d’année en année, nous montrent que la fracture ne se manifeste plus par l’accès ou le non-accès aux nouvelles technologies. L’infrastructure nationale de la télécommunication, l’accès au haut débit, la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile et la pression sociale ont fait plutôt que le téléphone mobile et l’accès à Internet sont devenus une réalité banale et à la portée de tous. Une fois l’accès aux technologies démocratisé, les enfants des familles les plus pauvres passent néanmoins considérablement plus de temps à regarder la télévision ou à utiliser leurs gadgets pour regarder des émissions et des vidéos, pour jouer ou se connecter à des réseaux sociaux que ceux de familles aisées. Ainsi, une étude4 de 2010 montre que les enfants et adolescents dont les parents n’avaient pas l’équivalent du bac, passaient 90 minutes de plus par jour à consommer passivement ces nouveaux médias que les enfants issus de familles d’un milieusocio-économique plus favorable. En 1999, la différence n’était que de 16 minutes. Même si les enfants de familles éduquées jouent aussi beaucoup, le défi s’est accru pour les parents et enfants de familles défavorisées, ceux qui étaient censés profiter de la réduction de la fracture numérique.
On voit ici poindre le nez d’un nouveau type de fracture numérique où les TIC pourraient bien accroître les inégalités sociales au lieu de contribuer à les réduire. Ce sera le cas si les jeunes de milieux défavorisés disposant d’un ordinateur se bornent aux activités essentiellement ludiques, alors que les jeunes des classes aisées acquièrent la maîtrise de logiciels sophistiqués, étoffant leur savoir et préparant leurs futures compétences professionnelles. Ce nouveau fossé, celui du «temps gaspillé» sur Internet, dépend plus, selon les chercheurs, de l’aptitude des parents à surveiller et à ajuster l’usage des technologies par leurs enfants que de l’accès même aux technologies.
Or, développer une attitude positive envers les TIC, explorer le potentiel productif et créatif des technologies et s’habituer ou amener ses enfants à une utilisation raisonnée et productive d’Internet, est d’autant plus aisé que l’on dispose d’une vision ouverte, mais critique, par rapport aux outils technologiques. Voilà pourquoi il faut une action concertée qui s’adresse aux jeunes, surtout à ceux des milieux économiquement et culturellement défavorisés. Dans le cadre de cette initiative, il faudra trouver le juste équilibre entre une sensibilisation aux effets négatifs de l’utilisation des technologies (perte de temps, exposition de données personnelles, comportements inadaptés,…) et un éveil aux potentialités créatrices et productives que procure une maîtrise des outils technologiques.
Dans ce contexte, l’école a un rôle important à jouer. Tout d’abord parce qu’une éducation aux technologies à l’école permet de faire d’une pierre deux coups: l’école a un accès direct à tous les jeunes (du moins jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire) et la communauté scolaire peut mettre en place des partenariats avec les parents dans le cadre de l’accès aux outils technologiques. Cela éviterait de véhiculer des messages contradictoires entre école et noyau familial et permettrait en même temps de transmettre des informations et attitudes aux adultes pour accroître leurs compétences digitales.
Les étapes d’une éducation aux TIC
Toutefois, si l’école, et surtout l’enseignement secondaire, est destinée à être le vecteur principal de cette démarche vers une maîtrise raisonnée des outils technologiques, il faudra plusieurs étapes pour y arriver:
Introduire la maîtrise des TIC comme objectif d’apprentissage transversal commun à toutes les disciplines scolaires. Pour vivre (et survivre) dans une société où la technologie est omniprésente, il importe de disposer à la fin de la scolarité d’une culture numérique qui passe par la maîtrise concrète des outils. Mais il importe aussi d’avoir un rapport critique à ce que ces outils nous permettent de faire. Il en résulte ainsi un nouvel objectif pour l’école luxembourgeoise: préparer les jeunes à vivre dans une société dont le fonctionnement et les règles qui la gouvernent découlent non seulement des traditions millénaires, mais aussi des plus récentes avancées technologiques. Pour cela il est nécessaire que l’école se fixe comme finalité d’apprentissage un ensemble de compétences transversales nécessaires aux jeunes du 21e siècle5. De plus en plus de pays commencent à développer de tels référentiels qui sont le point de départ d’une remise en question des finalités du curriculum actuel.
Réviser en profondeur le curriculum pour tenir compte des finalités technologiques. Pour faire place aux compétences du 21e siècle, les curricula doivent être modifiés en profondeur. Il faudra abattre les cloisons entre les différentes matières enseignées à l’école, créer des ponts entre les différentes disciplines, éviter le double emploi, il faudra créer des plages destinées à l’enseignement interdisciplinaire. Finalement, la question s’impose si l’école doit transmettre un savoir minimum en TIC avant la fin de la scolarité obligatoire.
Adapter en conséquence les méthodes d’apprentissage et d’enseignement. La majorité des enseignants en place ne fait pas partie des «digital natives» et n’a donc pas «vécu» dans l’environnement collaboratif et communicatif du Web 2.0. Pour eux, il faudra prévoir un effort de formation6 afin de les aider à utiliser différentes méthodes d’enseignement et à savoir choisir les outils offerts par les TIC pour créer des environnements de formation appropriés aux apprentissages du 21e siècle. L’apprentissage basé sur la résolution de problèmes7, sur la coopération et la collaboration8 à travers la démarche expérimentale ainsi que le suivi et le support de l’élève à travers l’évaluation formative comptent parmi les meilleures techniques pédagogiques pour favoriser l’intégration des TIC dans l’enseignement. Il faudra aussi changer de paradigme en délaissant la formation individuelle au profit d’un engagement dans des activités de développement professionnel sur une longue durée continue et d’une intégration à des communautés professionnelles locales.
Développer de nouveaux contenus et supports d’apprentissage mettant en valeur le potentiel des TIC. Les contenus ne seront plus uniquement mis à disposition dans des manuels officiels, mais l’Internet permet d’accéder à une multitude de sources et de formes d’information qu’il faudra parfois retravailler avant de les assimiler. L’accès à l’information, la recherche de sources d’information fiables et une démarche d’analyse critique sont autant de prérequis dans une société de la «sur»-information. Les mesures du «adaptive learning9» telles que la différentiation ou voire l’individualisation de l’apprentissage, promettent une valeur ajoutée au niveau pédagogique. Les nouveaux outils technologiques devraient permettre de la mise en place de chemins d’apprentissage personnalisés tout en assurant un suivi plus facile des progrès de l’élève. En cas de difficultés, un retour automatique ou une intervention ciblée de l’enseignant pourrait éviter des blocages contreproductifs.
Au vu des conséquences inhérentes à un tel chamboulement de l’existant scolaire, un changement véritable et durable n’est cependant possible et réalisable que si tous les acteurs du monde scolaire en reconnaissent l’urgence et la nécessité. Il faudrait qu’ils acceptent les conséquences sur leurs conditions de travail actuelles et collaborent pour élaborer des solutions viables et acceptables. En espérant qu’il n’y a pas un bug dans l’algorithme…
1 STATEC, Regards sur l’utilisation des TIC par les par- ticuliers, N° 14/2015, 2015. http://www.statistiques. public.lu/fr/publications/series/regards/2015/14- 15-tic-particuliers/index.html
2 Centre d’analyse stratégique, La Société et l’économie à l’aune de la révolution numérique, La Documentation française, Paris, 2009.
3 À consulter sous http://statistiques.public.lu sous la rubrique « Publications ».
4 Kaiser Family Foundation, Generation M2, 2010. http://www.kff.org/entmedia/upload/8010.pdf
5 Partnership for 21st century learning (http://www. p21.org)
6 Beggs, P., Un paysage en évolution: pédagogie, technologie et nouveau terrain d’innovation dans le monde numérique, 2015. http://www.edu.gov.on.ca/ fre/research/Shifting_LandscapeF.pdf
7 Partoune, C., La pédagogie par situations-prob- lème, 2002. http://www.lmg.ulg.ac.be/articles/situa- tion_probleme.html
8 http://www.thirteen.org/edonline/concept2class/ coopcollab/
9 https://food4learning.com/2016/05/29/ adaptive-learning-a-clarification-and-two-approaches/
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