À qui appartiennent les semences?

Les semences des plantes cultivées – un bien commun?

Contexte historique

Depuis les débuts de l’agriculture jusqu’à la première moitié du XXe siècle, les semences des plantes cultivées ont pour statut celui de bien commun par excellence: elles sont échangées librement de par le monde et considérées comme patrimoine culturel de l’humanité. Ce n’est qu’avec l’arrivée des professions spécifiques et spécialisées du semencier et du sélectionneur que les semences se transforment petit à petit en marchandise. Au cours de l’industrialisation de l’agriculture, le domaine de la production semencière voit l’introduction d’une législation contraignante supposée assurer la bonne qualité des semences ainsi que des droits de propriété intellectuelle par le biais de royalties à payer en cas de reproduction de semences par des tiers. Ainsi, à partir des années 1930, un catalogue officiel de variétés commercialisables est mis en place, interdisant la commercialisation des semences de variétés non inscrites.

Le marché des semences aujourd’hui

Lors des années 1950, les semences des variétés hybrides «F1» commencent à remplacer les variétés traditionnelles et reproductibles de façon artisanale. Les variétés «F1», présentant certains avantages commerciaux, ne peuvent être reproduites par les agriculteurs et les jardiniers: il faut acheter leurs semences chaque année à nouveau. Simultanément à l’essor de ces hybrides, les variétés traditionnelles commencent à disparaître petit à petit du catalogue officiel, car les plantes qu’elles produisent ne sont pas suffisamment homogènes pour correspondre aux règles d’inscription et leur caractère régional fait qu’elles ne génèrent pas assez d’intérêt commercial. Dans les années 1990, la privatisation des semences en tant que propriété intellectuelle franchit une étape supplémentaire suite à l’introduction des brevets sur les variétés génétiquement modifiées.

L’enjeu de l’érosion génétique

Bien que les modes de sélection modernes produisent des variétés d’une grande performance au niveau du rendement, se concentrer sur les variétés hybrides «F1» non reproductibles génère une érosion génétique par la disparition progressive des variétés régionales. Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa), approuvé en 2001 et comptant aujourd’hui 136 nations signataires, considère cette évolution comme une menace pour la sécurité alimentaire. En même temps, le traité reconnaît l’importance du travail artisanal des paysans et jardiniers qui cultivent, reproduisent et améliorent les variétés régionales, et favorisent leur utilisation sur les marchés locaux dans les différents pays. Face aux défis actuels pour l’agriculture, dont le changement climatique, l’érosion des sols surexploités et les problèmes liés à la malnutrition, la culture et la reproduction des variétés traditionnelles permettent d’entretenir et de faire évoluer la diversité génétique de nos plantes cultivées – un facteur important pour la durabilité et la résilience de nos systèmes agricoles.

Bien que jouant un rôle important, les banques de graines ne peuvent qu’aider à sauvegarder la diversité des plantes cultivées et la conservation ex situ dans les chambres froides constitue seulement une des facettes du travail avec les semences.

Le début d’une approche équilibrée

Depuis bien des décennies, les initiatives de sauvegarde de la diversité cultivée se voient marginalisées à la limite de l’illégalité, malgré la signification sociale, politique et économique importante de leur travail. Le dernier projet de standardisation de la législation sur la commercialisation de semences par l’introduction d’un règlement européen a été rejeté par le Parlement européen en 2014 suite à la pression des campagnes d’information concertées, reprochant aux textes de lois de défavoriser les démarches pour la diversité cultivée plutôt que de les promouvoir. Cette soi-disant victoire pour la diversité cultivée ne peut cacher le fait que la législation en vigueur n’est pas satisfaisante. L’introduction d’un catalogue alternatif en 2009 regroupant les variétés de conservation est certainement un pas dans la bonne direction. Toutefois, en ce qui concerne la mise en application des objectifs du Tirpaa, une distinction plus précise entre les semences commerciales non reproductibles pour l’agriculture industrielle et les semences communes reproductibles pour la diversité cultivée semble s’imposer. L’inscription des semences dans le concept des biens communs peut être un outil efficace, non seulement pour la sauvegarde de la diversité cultivée, mais aussi pour contrer les démarches de plus en plus marquées pour la privatisation des semences. Certes, les brevets correspondent aux principes du libre marché, mais vu leur ampleur grandissante ces dernières années, elles semblent quitter le cadre de la démocratie même.

Les initiatives gardiennes de la diversité cultivée

«Contester est une chose, agir une autre.» À quoi bon s’opposer sans proposer d’alternative? Comme dans la plupart des pays, au Luxembourg aussi des initiatives existent pour la diversité cultivée comme natur&ëmwelt dans le domaine des fruits et le Kräizschouschteschgaart, le Klouschtergaart ainsi que le SEED (Som fir Erhalen an d’Entwécklung vun der Diversitéit) pour les légumes et les céréales. Bien sûr, ces structures sont bien trop faibles pour faire un véritable travail de lobbying. Toutefois, elles font avancer un mouvement de façon bien concrète et pragmatique en semant, plantant et récoltant des plantes alimentaires à «saveur locale» et en promouvant la culture de semences dans les jardins des particuliers. Leur accueil positif aussi bien dans la société que par les médias et les autorités publiques montre qu’une approche proactive et non conflictuelle peut porter des fruits dans le bon sens du terme.

Les semences en tant que bien commun

Une alternative pour équilibrer l’approche du «tout industriel» en agriculture est celle de l’agriculture familiale, entre autres promue par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Dans les pays où certains aspects de l’agriculture sont hautement mécanisés et n’emploient que peu de personnes, les citoyens-nes sont appelés-es à porter le flambeau de la diversité cultivée. Les semences en tant que bien commun s’intègrent alors dans le concept de la transition alimentaire citoyenne. Une perspective à long terme qui redonnerait aux variétés naturellement reproductibles la place qu’elles méritent, inclurait un soutien public actif dans les domaines de la sélection végétale traditionnelle pour ôter la pression économique des initiatives qui se vouent au service de la société au lieu de chercher un profit économique.

Les semences citoyennes

Les semences utilisées dans les jardins communautaires et dans les fermes soutenues par des citoyens-nes solidaires ne correspondent pas aux semences du marché protégées par des droits de propriété intellectuelle. On y privilégie plutôt des semences des variétés traditionnelles et artisanalement reproductibles comme moyen de partage et d’indépendance. L’artisanat qui consiste à faire ses propres semences, à les stocker, à les réutiliser et à les échanger est, outre un acte d’alternative à la globalisation et à la privatisation de la production alimentaire, une activité réjouissante et utile à la société.

Sans prétendre vouloir remplacer l’agriculture à grande échelle, les activités de jardinage urbain et d’agriculture paysanne de proximité vont certainement revêtir une place importante dans la société écologique et solidaire de demain. Ramener la notion des semences et du sol comme base de notre nourriture au sein de la société, au niveau de chaque famille et de chaque individu (en commençant bien sûr avec les enfants), est nécessaire si les citoyens-nes veulent se réapproprier des moyens de décision et de choix sur la production, la distribution et la consommation de leurs aliments et opter pour la souveraineté alimentaire. Dans ce sens, il faut se demander si les semences en tant que bien commun ne représentent pas seulement un choix, mais carrément une responsabilité.

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