L’architecture institutionnelle de l’Union européenne (UE), difficile à décrypter pour le citoyen-électeur, ne facilite pas le suivi des dossiers en cours.
Un des législateurs européens, élu par le corps électoral des 28 États membres, travaille en toute transparence et si les élus de ce Parlement européen sont en principe facilement abordables et atteignables, il en est tout autrement du deuxième législateur, à savoir les membres des différents Conseils des ministres. Ils ont
29 adresses, dont toutes, sauf deux, ailleurs qu’à Bruxelles. Dans certains domaines, le Conseil est colégislateur, dans d’autres
— dont la politique étrangère de l’UE — il est seul décideur. Si d’aucuns contestent la légitimité de ces Conseils, c’est faire peu de cas des liens entre un ministre et son Parlement national. Théoriquement, chaque ministre défend les intérêts de son pays et c’est de ses élus nationaux qu’il tient sa légitimité.
Nous voilà arrivés aux 28 dimensions «intérieures».
Lorsque la Commission européenne lance une initiative législative, elle la soumet aux parlements nationaux qui ont huit semaines pour se prononcer. Au cas où ils estimeraient que d’après le principe de subsidiarité, la matière en question relève exclusivement des compétences des États membres, ils peuvent émettre un avis motivé. Si un nombre requis de parlements nationaux partage cet avis, la Commission européenne doit revoir sa copie, voire la retirer.
Le contrôle de subsidiarité confère donc aux parlements nationaux un pouvoir propre. Il leur permet, d’une part, de s’assurer que les compétences des échelons local, régional et national sont préservées et, d’autre part, d’intervenir dans le processus législatif de l’Union européenne, directement auprès des institutions européennes. La Chambre des députés a fait valoir à deux reprises des oppositions qui ont abouti à un retrait d’une initiative législative de la Commission européenne, p.ex. en 2012 le projet concernant le détachement des travailleurs. Le période de huit semaines étant très courte pour permettre un examen approfondi, les parlements nationaux apprécieraient sans doute des délais
moins courts.
De brefs échanges avec les parlementaires luxembourgeois Marc Angel, Viviane Loschetter, Franz Fayot, Simone Beissel et Claude Adam ont permis de noter que la Chambre s’est dotée de moyens pour suivre les travaux législatifs en cours «à Bruxelles», notamment d’un fonctionnaire installé dans les locaux du Parlement européen à Bruxelles.
Un ministre mandaté?
À partir du moment où le projet de directive ou de règlement européen a surmonté le «test» de subsidiarité, il sera soumis au Conseil et au Parlement européens pour discussion et adoption. Passons sur la suite du chemin — parfois tortueux — de l’initiative au sein du Parlement et du Conseil et, entre les deux, quelque part, ils seront obligés de trouver un compromis. Venons-en aux relations entre le membre du Conseil, donc de la ou du ministre, et respectivement la Chambre des députés et sa commission compétente. Dans de rares États membres (Pays-Bas, Danemark), le Parlement donne un mandat à son ministre avant une réunion du Conseil. Il n’en est rien au Grand-Duché. Le rapport mandataire-mandaté est-il pour autant structurel et conséquent?
La commission des Affaires étrangères de la Chambre se réunit tous les lundis et y invite, le cas échéant, le ministre des Affaires étrangères. Les membres luxembourgeois du Parlement européen y sont invités systématiquement avec des échos divers. Il n’y a donc pas de saisine automatique de la Chambre par le gouvernement, ce qui lui fournirait un appui supplémentaire et permettrait un feedback à l’opinion publique. À noter que le ministre des Affaires étrangères répond systématiquement aux invitations de la Chambre.
La Commission juridique aurait une pratique semblable avec son ministre, sa présidente Viviane Loschetter ayant déjà été invitée à accompagner le ministre à certaines conférences de haut niveau. Il y aurait des briefings/débriefings réguliers avec le ministre de la Justice pour ce qui est de ses dossiers «européens».
Sur le blog de Jan Philipp Albrecht, membre du Parlement européen pour les Verts allemands et rapporteur de la réforme de la protection des données, on a pu lire ceci à la mi-mai:
«Mitte Juni steht die Einigung unter den EU-Mitgliedsstaaten zur Datenschutzreform an, und kurz danach sollen die finalen Verhandlungen der drei EU-Institutionen Parlament, Rat und Kommission beginnen. Einen öffentlichen Vorgeschmack wird es am 28. Mai in der Bayerischen Landesvertretung in Brüssel geben: Im Rahmen der Podiumsdiskussion “Europäische Datenschutzreform auf der Zielgeraden” wird Jan Philipp Albrecht mit Bundesinnenminister Thomas de Maizière, der französischen Justizministerin Christiane Taubira, dem luxemburgischen Justizminister Félix Braz, der EU-Justizkommissarin Jourová und dem CDU-Europaabgeordneten Axel Voss diskutieren.»
Je me suis posé la question si tous les membres de la Commission juridique de notre Chambre connaissent la position du gouvernement luxembourgeois en la matière et n’auraient donc appris rien de nouveau si jamais ils avaient assisté à cette conférence-débat. Il serait intéressant de voir de près le suivi fait par d’autres commissions parlementaires, comme celle de l’Agriculture ou des Finances.
Une autre question d’actualité, et ce particulièrement au Luxembourg, est celle du roaming en matière de téléphonie mobile. Sachant qu’il y a blocage au sein du Conseil, quelle est la position du gouvernement luxembourgeois dans ce dossier? Dans quelle mesure la Chambre est-elle au courant? Les électeurs savent-ils ce que leur ministre y défend? Le Premier
ministre assume le volet roaming en sa qualité de ministre des Médias. Il en aurait été question à la commission des Affaires étrangères avec la députée européenne Viviane Reding. En revanche, le dossier n’a pas été abordé au sein de la commission de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, des Médias, des Communications et de l’Espace, selon sa présidente Simone Beissel.
Et la société civile?
Après avoir abordé l’attitude de la Chambre des députés en matière de suivi des politiques de l’UE et les moyens qu’elle se donne, la même question vaut pour la société civile. La Chambre de commerce et les syndicats sont bien organisés à ce sujet. Je me suis donc adressé à d’autres organisations de la société civile. Trois ont bien voulu fournir des éléments de réponse: Action Luxembourg ouvert et solidaire — Ligue des droits de l’homme, Association de soutien aux travailleurs immigrés et Caritas… le Mouvement écologique n’était pas en mesure de répondre endéans la semaine, Amnesty International et le réseau luxembourgeois d’European Network Against Racism n’ont pas réagi.
Partant du fait que ces organisations savent s’y prendre au niveau du suivi de la législation nationale, je voulais savoir comment elles s’organisent pour suivre le decision-making des 70% des travaux découlant de la législation UE, si un réseau européen dont elles font partie, le cas échéant, essaie d’influer, d’inclure les constituants nationaux dans le processus.
D’aucuns sont membre d’un réseau européen dont le secrétariat suit les dossiers à Bruxelles et essaie de faire du lobbying, surtout auprès du Parlement européen. Faute de moyens, le même suivi ne peut se faire à Luxembourg pendant la gestion d’un acte législatif européen auprès du gouvernement et de la Chambre. Tous ne (re-)deviennent actifs qu’au moment de la transposition d’une directive en droit luxembourgeois. On entend des commentaires du genre: «Nous préférons concentrer nos efforts sur des sujets relevant de la politique nationale et travailler en produisant nos propres analyses, plutôt que d’agir en simples “réémetteurs” de positions élaborées par notre réseau européen.»
Relevons l’action de l’Action Luxembourg ouvert et solidaire — Ligue des droits de l’homme en matière de casier judiciaire. Elle avait rendu attentif le législateur luxembourgeois au fait que la transposition relative à l’accord-cadre concernant le casier judiciaire allait créer des distorsions par rapport aux législations étrangères et aboutir à une discrimination des résidents au Grand-Duché. En 2013, la Chambre n’avait pas tenu compte de ces remarques. Récemment, le gouvernement a lancé une réforme de la loi en question pour répondre au souci formulé par l’Action Luxembourg ouvert et solidaire — Ligue des droits de l’homme. La vigilance au stade de la transposition s’impose donc aussi!
Il y a quelques années, les organisations luxembourgeoises citées ici — et d’autres —
avaient essayé de se concerter et d’obtenir des moyens de l’État pour permettre un suivi des législations communautaires. L’initiative n’a pas abouti.
Ma propre expérience des réseaux européens d’ONG m’amène à conclure que ceux-ci sont très actifs sur la scène bruxelloise, mais qu’ils y agissent sans vraiment impliquer leurs constituants basés dans les États membres. Or ceux-ci sont indispensables pour agir sur les parlements et gouvernements nationaux. Cette absence de souci à l’égard du national rejoint quelque part le constat fait sur les relations entre ministres du Conseil et parlements nationaux.
Il faut parier que la Chambre se mettra à mieux suivre encore (et à influencer?) les positions que ses «ministres émissaires» défendent dans les Conseils de l’UE. Si la même Chambre s’ouvre au niveau national à la société civile, elle devrait permettre aux big players institutionnels que sont les chambres professionnelles et aux «petits» du monde associatif d’être informés et impliqués d’office… et pas seulement pour les 30% des lois relevant de ce qui reste comme souveraineté nationale. Au gouvernement de saisir les chambres professionnelles d’un avis sur un projet de directive ou de règlement plutôt que de le faire (trop tard) au moment de la transposition. u
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