Au-delà des profits, au-delà de la pandémie

Faut-il taxer les profiteur.se.s de la crise Covid, comme l’a proposé Dan Kersch lors du récent congrès du LSAP ? Réclamer un tel « impôt Covid » se réduit-il à du « populisme de gauche », comme l’ont suggéré les lobbyistes du patronat ? En vérité, une telle mesure, surtout sur le plan national, rapporterait peu, alors que le débat sur la prochaine réforme fiscale aura lieu sous le signe de la très lourde addition de la crise Covid. Et, de toute façon, les grand.e.s profiteur.se.s sont ailleurs.

« Pas de profit sur la pandémie », c’est le mot d’ordre d’une Initiative citoyenne européenne (ICE) lancée fin de l’année dernière. Elle vise les grandes multinationales pharmaceutiques, non pas pour les taxer, mais pour les obliger à partager leurs brevets. Elle a déjà recueilli près de 125 000 signatures – pour obliger la Commission européenne d’étudier la question, elle doit arriver à un million, tout en atteignant un quota dans sept États membres. Face à l’actuelle pénurie de vaccins, l’ICE revendique le droit à « la santé pour tous » et constate que : « Les brevets donnent à une seule entreprise le monopole sur des médicaments essentiels. Cela en limite la disponibilité et augmente le coût pour ceux qui en ont besoin. » Elle demande donc à l’UE de « veiller à ce que les droits de propriété intellectuelle, brevets compris, n’entravent pas l’accessibilité ou la disponibilité de tout vaccin ou traitement futur contre la Covid-19 ».

Vaccins : Cercle vicieux

Sans surprise, les chantres du capitalisme de marché nous mettent en garde contre de telles mesures « communistes » : il faut que les investissements dans la recherche de vaccins rapportent des dividendes, sinon il n’y aura plus de capitaux privés et donc plus de médicaments nouveaux. Que ce recours à la marchandisation de la propriété intellectuelle rende les vaccins chers et ralentisse leur production serait un mal nécessaire… D’autres, tel le ministre de l’Économie luxembourgeois Franz Fayot, avancent des arguments techniques : les brevets ne seraient pas le problème principal, le vrai défi se situerait au niveau de la production et de la distribution des vaccins. Le défi logistique est bien réel, mais le cercle vicieux par lequel la rareté des vaccins conduit aux restrictions d’exportation et à plus de rareté encore ne l’est pas moins. Il y a bien le projet Covax pour distribuer plus équitablement les vaccins, mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que ces vaccins sont produits en Corée du Sud et en Inde, et seulement parce que les brevets AstraZeneca, au contraire des autres, ont été partagés. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur de l’OMS, est même allé jusqu’à demander la suspension temporaire des brevets (avec compensation) afin de faire face à la situation exceptionnelle.

Justice universelle

Quelques pays sont en train de vacciner leur population jeune et à faible risque aux dépens des professionnel.le.s de la santé et des personnes âgées dans d’autres pays. Pour Tedros Adhanom, ce constat ne représente pas seulement un scandale moral, mais aussi une approche contre-productive : si le virus se maintient longtemps dans d’autres pays, il développera de nouvelles variantes et deviendra résistant aux vaccins déjà administrés. Un argument utilitariste, techniquement correct, qui devrait convaincre même les égoïstes de partager les brevets et les vaccins.

Faut-il s’en contenter ? Non, car les inégalités sont multiples entre les habitant.e.s de la Terre, par exemple en matière de logistique médicale. Et contre la plupart de ces inégalités, il n’y a pas d’argument utilitariste à faire valoir, du moins à court terme. Partager les vaccins, en produire plus grâce à une approche solidaire, cela ne devrait être qu’un aspect d’une approche plus générale. Au fil des siècles, on est passé de la solidarité au sein d’un clan à celle au sein d’une région, puis d’une nation. Aujourd’hui, l’humanité est interconnectée et fait face à des défis planétaires – il est temps de raisonner à l’échelle supranationale et de mettre en pratique le principe d’égalité et de justice universel.

Enfin, le débat autour du partage des brevets remet en question le dogme du marché comme unique principe organisateur de l’économie. Face au réchauffement planétaire, l’idée de considérer le climat comme un bien commun fait son chemin. D’autres domaines liés à et impactés par l’économie pourraient aussi être considérés comme trop importants pour les organiser selon une logique purement marchande : la recherche pharmaceutique par exemple, mais aussi la santé publique dans son ensemble, au niveau national et international.

Actuellement, l’ICE « No profit on pandemic » a recueilli moins de cinq pour cent du quota luxembourgeois. Néanmoins, en rassemblant la modeste quantité de 4 230 signatures, le Luxembourg deviendrait un des sept pays contribuant à ce que la demande aboutisse et que le partage des brevets soit débattu au niveau européen.

www.noprofitonpandemic.eu/fr/

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