Black Lives Matter et l’éducation à la citoyenneté mondiale

Les microagressions raciales comme angle d’approche privilégié pour débattre de la question du racisme

Au Luxembourg, de nombreux jeunes ont vécu ou ont été témoins du racisme structurel qui fut à l’origine des manifestations Black Lives Matter au printemps 2020 à la suite des meurtres de George Floyd, Tony McDade, Breonna Taylor ou d’Ahmaud Arbery, pour ne citer que ceux-là. Pendant le confinement, ces jeunes ont participé à la manifestation du 5 juin à l’appel de l’association Lëtz Rise Up et d’autres l’ont suivie aux informations. Le retour à l’école les jours suivants a peut-être été pour ces jeunes personnes la première occasion de parler de racisme avec leurs camarades de classe ou leurs professeurs, et de partager ainsi leurs expériences. L’un des objectifs de l’éducation à la citoyenneté mondiale est justement de donner aux jeunes les moyens de comprendre, de discuter et d’agir sur des enjeux mondiaux qui affectent leur vie. Etablir un lien entre l’antiracisme et la citoyenneté mondiale, libérer la parole des apprenant·es afin qu’ils/elles développent des valeurs, des attitudes et des compétences sociales permettant de se développer sur les plans affectif, psychosocial et physique, ceci afin de vivre avec les autres dans le respect et la paix. Il s’agit également d’accepter d’intégrer dans le débat les questions macrosociales du colonialisme, de l’impérialisme et de l’esclavage. 

Une diversité de microagressions raciales

Les ateliers sur le thème des microagressions raciales permettent de développer des compétences pour reconnaître, éviter, gérer celles-ci et apprendre à les remettre en question de manière critique, tout en valorisant l’amour de soi et la solidarité avec les personnes qui vivent le racisme et en abordant des questions liées à l’histoire de la colonisation et de l’esclavage. Les microagressions sont des actions ou des commentaires, intentionnels ou non, qui expriment des préjugés contre un groupe social marginalisé. Les microagressions raciales ont un effet désastreux sur la santé mentale, émotionnelle et physique des personnes racisées1. Avec le temps, elles créent un dilemme ainsi que du stress chronique, ce qui augmente le risque d’apparition de symptômes de stress post-traumatique et de dépression. Les microagressions raciales sont plus que de simples insultes ou commentaires indélicats, car elles jouent un rôle important dans le maintien des systèmes d’oppression raciale au-delà du contexte interpersonnel. Le terme « microagression » a été forgé dans les années 1970 par Chester Pearce, un chercheur et enseignant en psychiatrie de l’université de Harvard, pour décrire les insultes et le rejet infligés aux Afro-­Américain·es de façon régulière par des Américain·es non noir·es. Certaines microagressions peuvent perturber une vie pendant des années, et d’autres peuvent même tuer : le profilage ethnique par la police aux Etats-Unis, au Brésil ou en Europe est une forme répandue de microagression qui peut conduire aux brutalités policières. Ce type de microagression est particulier dans le sens où il présume automatiquement que les personnes racisées sont dangereuses ou représentent une menace pour la société, ceci uniquement sur la base de leur appartenance réelle ou supposée à une race. 

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Nous vivons dans l’un des pays les plus multiculturels de la planète, mais l’on y observe aussi des inégalités sociales basées sur l’appartenance raciale. L’un des exemples les plus flagrants se retrouve dans le rapport de l’étude réalisée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, « Being Black in the EU », publiée en 2018, qui montre que le risque de pauvreté au Luxembourg pour les personnes noires ayant la citoyenneté luxembourgeoise est de 56 %, contre 17 % dans la population générale. Cette disparité est encore plus grande lorsqu’il s’agit de personnes noires qui ne possèdent pas la nationalité luxembourgeoise. Si le racisme façonne la manière dont la justice est rendue et dont les groupes marginalisés sont touchés de façon disproportionnée par diverses formes d’oppression, nous voyons que les microagressions contribuent à l’établissement, au renforcement et à la perpétuation de ce système. Ce phénomène a été identifié par la psychologue expérimentale Allison Skinner-Dorkenoo2 à travers deux aspects essentiels par lesquels les microagressions contribuent au racisme systémique : tout d’abord, en établissant la supériorité des Blancs, puis en protégeant et défendant le système d’oppression raciale existant. 

Une dimension méconnue 

Selon Skinner-Dorkenoo, la supériorité des Blancs est maintenue par exemple quand les personnes racisées sont obligées de révéler leur identité raciale ou ethnique en répondant à la question « D’où venez-vous ? ». Cette microagression est souvent associée à la notion implicite que les personnes d’un groupe racial ou ethnique particulier sont toutes semblables les unes aux autres. Elle signale aux personnes racisées qu’elles sont perçues comme étant différentes des Blancs (puisque cette question n’est généralement pas posée aux personnes qui sont identifiées comme blanches) ; mais elle signale également aux Blancs où sont tracées les lignes raciales. Ce système est ensuite protégé et défendu par des microagressions qui masquent le racisme systémique, par exemple avec la colour-blindness, c’est-à-dire le fait d’affirmer ne pas voir les couleurs. Pour la psychologue clinicienne Monica T. Williams, la colour-blindness est un concept qui serait utilisé pour maintenir l’ignorance raciale, à savoir le fait d’être ignorant de l’existence et du fonctionnement du racisme, et de promouvoir des idées qui maintiennent les inégalités systémiques. Les microagressions ne communiquent pas seulement des messages aux personnes racisées, elles communiquent subtilement des messages à tous les membres de la société sur les frontières des groupes sociaux et sur les groupes les plus valorisés. Les microagressions présentent un message sociétal fort (bien que souvent implicite) sur l’importance de la race et la valeur de la « blanchité », et ce à tous les membres de la société. Pour combattre le racisme dans ce contexte, l’éducation reste encore la piste la plus prometteuse.

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Les microagressions ne communiquent pas seulement des messages aux personnes racisées, elles communiquent subtilement des messages à tous les membres de la société.

En effet, l’éducation des enfants et des adultes sur les événements historiques qui ont conduit aux inégalités structurelles contemporaines permet de les sensibiliser davantage au racisme systémique et de réduire les préjugés/stéréotypes raciaux qu’ils pourraient avoir. L’hypothèse de Marley3 postule qu’un manque de sensibilisation au racisme historique empêche les individus de reconnaître le racisme systémique contemporain. Par conséquent, on peut penser que l’amélioration de la compréhension historique par l’enseignement « décolonisé » de l’histoire, c.-à-d. qui prendrait en compte l’influence de l’esclavage et de la colonisation sur les sociétés occidentales, pourrait jouer un rôle important dans la sensibilisation au racisme systémique et aux microagressions qui contribuent à sa perpétuation. 

Certaines microagressions peuvent perturber une vie pendant des années, et d’autres peuvent même tuer.

L’amélioration de la compréhension de l’histoire implique une nouvelle façon d’aborder la sensibilisation aux microagressions. Cela signifie que les enseignant·es devraient consacrer d’une part plus de temps à l’éducation à la citoyenneté mondiale ainsi qu’à à la lutte antiraciste, et expliquer d’autre part que des changements systémiques beaucoup plus importants sont nécessaires pour éradiquer complètement le racisme systémique. Nous devons reconnaître les systèmes d’oppression existants et nous devons être prêt·es à aborder ces sujets difficiles avec humilité et empathie.  

1 « Racisé » désigne la condition d’une personne victime de racisation, c’est-à-dire qu’elle est assignée à une race du fait de certaines caractéristiques subjectives.

2 Allison L. SKINNER-DORKENOO, Apoorva SARMAL, Chloe J. ANDRE et Kasheena G. ROGBEER, « How Microaggressions Reinforce and Perpetuate Systemic Racism in the United States », dans Perspectives on Psychological Science, vol. 16, n° 5, 2021, p. 903-925. https://doi.org/10.1177/17456916211002543 (dernière consultation :
18 avril 2023).

3 L’hypothèse de Marley est une théorie psychologique sur la façon dont les groupes raciaux peuvent avoir des perceptions différentes du racisme actuel dans la société en raison d’une différence dans leur degré de connaissance et de conscience de l’histoire raciale.


Sandrine Gashonga est titulaire d’un master en Modern and Contemporary European Philosophy de l’Université du Luxembourg. Elle est formatrice et conseillère en matière de justice raciale, d’interculturalité et d’égalité des genres.

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