- Geschichte, Gesellschaft, Politik
De la soumission à l’émancipation
Les débuts de l’éducation des adultes au Luxembourg
Les débuts de l’éducation des adultes au Luxembourg
En 1820, la Ville de Luxembourg organisa une école du soir pour adultes 1. C’était sans doute la première initiative de ce genre qui s’explique par l’enthousiasme suscité alors par la «Société pour l’encouragement de l’enseignement élémentaire» en vue de l’amélioration du niveau d’instruction au Grand-Duché. Mais le chemin sera long pour imposer l’idée qu’il ne suffit pas de six années d’école primaire pour émanciper des individus et pour construire un pays.
Deux attitudes se côtoyaient au début du XIXe siècle: à la ville comme à la campagne, on se contentait d’une instruction élémentaire de six années. Seule la bourgeoisie acceptait une scolarité plus longue. Pas mal de chefs de famille trouvaient l’école inutile; ils avaient besoin de leurs enfants à la ferme ou à l’atelier. Lors de l’inspection d’été en 1847, l’inspecteur constata l’absence à l’école de 13312 enfants sur 20458. ¾ des enfants étaient constamment absents.
Mais certains parents trouvaient l’instruction primaire insuffisante. À Ettelbrück, se créa ainsi en 1848 une association de parents qui organisa à ses frais une école privée moyenne de trois années destinée aux enfants ayant quitté l’école primaire. Cette association réunissait 12 familles de la petite et moyenne bourgeoisie 2. Dans la capitale, l’instituteur en chef de l’école primaire de la ville, Godart, déplora le 16 novembre 1854 que «les moyens d’instruction pour la classe ouvrière laissent encore à désirer chez nous 3». À Echternach, en 1854, des artisans se proposèrent d’organiser des expositions et d’ouvrir une école professionnelle 4.
Vers l’école primaire supérieure
À Ettelbrück, l’école moyenne de trois années fonctionna jusqu’en 1855, quand le conseil communal décida de créer une école primaire supérieure5. Dans la capitale, Godart proposa de faire de la dernière année de l’école primaire «une espèce d’école qu’on appelle ordinairement en Allemagne ‹höhere Bürgerschule›» où on enseignerait surtout «les connaissances nécessaires aux jeunes ouvriers dans les deux langues, l’arithmétique, la géométrie élémentaire, l’histoire et la géographie, l’explication des phénomènes naturels, la tenue des livres et un cours de religion». Le 4 février 1855, les deux inspecteurs de la ville s’y opposèrent cependant, car, disaient-ils, «les élèves qui ne se proposent pas de continuer leurs études trouvent aujourd’hui le moyen de se perfectionner en doublant la classe du degré supérieur (donc de la sixième année), ou en fréquentant les classes inférieures de l’école industrielle 6». Vue d’aujourd’hui, c’était une curieuse attitude de pédagogues qui voyaient dans le redoublement d’une classe primaire et la fréquentation de la première classe de l’école industrielle une solution pour la formation des jeunes ouvriers et artisans.
Le 24 avril 1855, l’administrateur général de la Justice, François-Xavier Würth-Paquet, releva que les garçons ayant fini leur scolarité à 12 ans «n’ont pas encore les forces nécessaires pour apprendre une profession et (…) ne sont d’ailleurs pas non plus assez instruits pour n’avoir plus besoin de suivre l’école 7».
Mais ce ne fut finalement que le 1er août 1860 que le conseil communal de Luxembourg décida une école primaire supérieure. Comme à Ettelbrück, l’école de la capitale était payante et seulement pour les garçons. Or, la loi de l’école primaire supérieure, qui avait été déposée en 1864, n’entra en vigueur que le 23 avril 1878. Il avait fallu une trentaine d’années pour donner à quelques centaines d’enfants intelligents, garçons et filles, une chance d’améliorer leur formation.
Les écoles d’adultes
L’école d’adultes de la capitale évoquée au début de cet article devait servir à faire «acquérir des éléments de connaissances dont l’exercice d’aucun art mécanique et d’aucune profession quelconque ne peut se passer» et s’adressait à des jeunes gens de 15 ans et plus ainsi qu’à des hommes «de tout âge» 8. L’école se tenait chaque soir excepté samedi et dimanche. Cependant, après un succès fulgurant, elle périclitait rapidement. Rares étaient en effet les ouvriers qui pouvaient tenir ce rythme après dix à douze heures de travail. Dès 1825, l’instituteur en charge, Jean Gillen, était licencié et l’école fermée suite au peu d’assiduité des élèves.
Une vingtaine d’années plus tard, au moment où la loi scolaire de 1843 était mise en œuvre, Nicolas Wies (1817-1879), un abbé fringant, selon le vicaire apostolique Jean-Théodore Laurent «une des meilleures têtes du jeune clergé9»et aumônier de l’Athénée, réunissait treize jeunes gens de l’artisanat âgés de 15 à 18 ans pour prier et apprendre à lire et à écrire le dimanche soir, pendant trois années de suite10. On y enseignait aussi le chant, la tenue des livres et l’histoire de la bible. En 1846, Wies créa la Sodalité mariale11 avec 13 hommes et 58 jeunes gens, devenus 1250 en 1871, et fit fonctionner son école dominicale sous ce patronage. Le 11 août 1913, lors du 70e anniversaire, le Luxemburger Wort rapporta que 4000 jeunes gens y étaient passés. Les enseignants étaient des étudiants jusqu’en 1898, puis des instituteurs bénévoles. Depuis 1864, une caisse d’épargne y était rattachée à laquelle cotisaient les élèves en vue de leur installation.
Pour l’abbé Wies, l’école dominicale était une réponse à la question sociale. Un reportage du Luxemburger Wort du 7 janvier 1871 se réjouit que les artisans et les ouvriers qui étaient passés par l’école dominicale ne fussent pas tentés par la Commune de Paris (1871) et par l’Internationale ouvrière (fondée en 1864) parce qu’ils étaient satisfaits de leur sort; la pratique religieuse, l’enseignement et l’épargne étaient les moyens d’y arriver 12. Il faut ajouter que, depuis le milieu du siècle, des bibliothèques catholiques essaimaient sur le pays 13.
Paternalisme et affairisme
L’école d’adultes était à la mode au milieu du siècle dans tout le pays. Elle était toujours payante, ce qui peut expliquer que des particuliers s’y mettaient. En 1847, le secrétaire de la commune de Beckerich, Schroeder, demanda la permission d’ouvrir une école du soir à son domicile 14. En 1846, un nommé Bisdorff, employé des douanes à Pétange, réunissait des jeunes gens dans sa maison pour une école du soir. L’inspecteur du canton d’Esch Wurth-Paquet signala qu’on y vendait à boire et que les élèves y restaient quelquefois jusqu’à minuit et une heure du matin 15.
En 1850, des dames bienfaitrices de la bonne société de la capitale soutenaient l’«Œuvre des Jeunes Économes» afin de former des jeunes filles des classes ouvrières «livrées à elles-mêmes après les écoles primaires16». Parmi les fondatrices figurait Joséphine Wurth (1819-1857), tante d’Anne Neumann qui allait fonder en 1891 l’école ménagère de la rue du Nord, une des rares initiatives à faire concurrence au pensionnat des religieuses de Notre-Dame. Cette école prit un essor remarquable à la fin du siècle 17.
Le Gesellenverein fut créé en 1864 par l’abbé Bernard Haal selon le modèle de l’évêque Kolping en Allemagne. C’était un internat pour jeunes artisans et ouvriers qui proposait des cours du soir.
Nombreuses furent aussi les écoles de dessin à travers le pays, destinées aux jeunes dans les métiers les plus divers. Dès 1821, les bourguemaîtres de la Ville de Luxembourg attiraient l’attention du public sur l’école de dessin linéaire et d’architecture «gratuitement ouverte aux ouvriers et aux artistes», dirigée par le peintre Jean-Baptiste Fresez (1800-1867). Dans un rapport de 1846, le lien entre l’école et l’activité professionnelle apparaît clairement: «L’on sait combien l’ébénisterie, par exemple, a fait des progrès dans notre ville pendant les dernières années, il est vivement à souhaiter que nos jeunes artisans trouvent à l’école tous les bons dessins de meubles et qu’ils soient exercés à les copier sur de plus grandes échelles et à en copier par la suite 18». Arrivé à Grevenmacher en 1848, le pharmacien Franz Heldenstein, féru de musique et de peinture, organisa dans cette ville lui aussi, avec l’ingénieur Housse et l’architecte Charles Arendt, une école du soir pour le dessin 19.
L’émancipation ouvrière
Mais qu’en était-il des ouvriers eux-mêmes? Jusqu’ici, les initiatives étaient venues de la bourgeoisie, des pouvoirs publics, de l’Église. Mais dès les années trente du XIXe siècle, la révolution industrielle avait suscité dans les pays alentour un prolétariat au sein duquel des hommes et des femmes trouvaient la force de s’émanciper. Rien de tel au Luxembourg. Il y eut certes des mutualités professionnelles destinées à protéger l’ouvrier et sa famille comme l’Arbeiter-Unterstützungsverein créé en 1849. Les premiers syndicats, comme celui des typographes né en 1864, permettaient à leurs adhérents d’aller se former à l’étranger. Mais ce n’étaient pas des entreprises d’émancipation culturelle ni de mise en question d’un ordre social qui n’avait pas intérêt à émanciper l’ouvrier.
Sans doute, l’Appel aux ouvriers du Luxembourg de 1848, rédigé par le notable Charles-Théodore André, constitua une première prise de conscience politique de certains ouvriers de la capitale. Mais ce n’est qu’en 1876 qu’y apparut une association d’ouvriers avec un journal hebdomadaire Der Arbeiter, qui se définit comme la réunion de quelques ouvriers de l’artisanat20. Elle se défendait cependant d’être «un organe socialiste» comme en 1878, la social-démocratie fut interdite en Prusse et qu’à Luxembourg aussi la bourgeoisie veillait. Un des membres du comité (N.S. Pierret alias Nicolas Steffen) qui était aussi l’éditeur du journal Der Arbeiter, organisa un cabinet de lecture dans son café (Lese-Cabinet). L’association évoqua à maintes reprises la question de la formation et la création de bibliothèques. Elle essaya de toucher le prolétariat industriel lors de réunions publiques à travers le pays et surtout dans le canton d’Esch, mais sans grand succès.
Dans la deuxième moitié du siècle, le développement économique du Grand-Duché exigeait une main-d’œuvre mieux formée. Les lois scolaires de 1881 et 1912 imposaient par exemple l’obligation scolaire et allongeaient la scolarité. La création de l’école agricole (1883, 1892) et de l’école d’artisans (1896) fournissait le cadre d’une formation continue professionnelle. Ainsi, au paternalisme bourgeois comme à la tutelle de l’Église succédait l’initiative publique. De la sorte fut jeté le fondement sur lequel pouvaient s’épanouir des mouvements d’émancipation comme par exemple les associations d’éducation populaire qui se fédéraient en 1908 sous l’impulsion d’intellectuels et d’hommes politiques de gauche. Si, dans un premier temps, le XIXe siècle avait poussé à la formation d’adultes, ce n’était que rarement par une volonté d’émancipation, mais le plus souvent par le souci d’amener l’ouvrier à mieux produire, à respecter l’ordre social et religieux, donc à se soumettre.
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