De l’exécution des peines au Luxembourg

Si l’exécution des peines implique tant les décisions concernant les modalités des peines de prison prononcées que les décisions concernant la vie carcérale des prisonniers, le présent article, en se référant à l’exécution des peines, se limite au premier volet. En l’espèce, l’exécution des peines se rapporte à la phase postérieure au jugement ayant prononcé une peine de prison. Cela implique aujourd’hui les différentes modalités d’aménagement des peines, telles que le congé pénal, le régime de la semi-liberté, la libération conditionnelle ou encore la surveillance électronique, pour n’en citer que quelques-unes.

L’exécution des peines à partir des années 1960

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 21 mai 1964 portant sur la réorganisation des établissements pénitentiaires et des maisons d’éducation ainsi que sur la création d’un service de défense sociale, l’exécution des peines était, au moins partiellement, attribuée au ministère de la Justice1.

L’article 2 de cette loi attribue cette tâche exclusivement au procureur général d’Etat, tout en prévoyant la possibilité pour celui-ci de déléguer plusieurs de ses fonctions à un autre magistrat du Parquet général ou d’un des parquets. Il convient de noter qu’à cette époque, les condamnés ne disposaient d’aucun recours contre les décisions du Parquet général, qui n’étaient attaquables devant les juridictions ni judiciaires ni administratives. Si deux réformes sont intervenues respectivement en 1984 et en 1997, la structure de l’exécution des peines est restée inchangée2, en ce que cette tâche était toujours attribuée au Parquet général.

Sous l’impulsion du ministre Robert Krieps, la loi du 26 juillet 1986 relative à certains modes d’exécution des peines privatives de liberté introduit plusieurs nouvelles modalités, telles que l’exécution fractionnée, la semi-liberté, le congé pénal ainsi que la suspension de la peine et la libération anticipée. L’objectif initial de l’introduction de différents aménagements de la peine était la réinsertion sociale du condamné. Selon cette logique, il ne suffit pas d’assurer l’exécution matérielle de la peine d’emprisonnement, mais il convient de prendre en compte des facteurs divers tels que la personnalité ou la situation privée du condamné en fixant les différents aménagements de la peine.

Vers une réforme attendue : la loi du 20 juillet 2018

C’est avec la loi du 20 juillet 2018, basée sur le projet de loi n° 6381 déposé en janvier 2012 ainsi que le projet n° 7041 déposé en 2016, portant réforme de l’administration pénitentiaire et modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale, que l’ancien système a été réformé. En effet, la loi de 2018 visait à renforcer davantage les chances de réinsertion des condamnés, ayant comme objectif principal d’« améliorer la situation du détenu en ce qui concerne ses chances d’insertion sociale et sa situation juridique, tout en gardant au maximum possible les avantages de flexibilité du système antérieur3 ». A cet effet, la réforme a introduit plusieurs nouveautés, telles que la création de la chambre de l’application des peines (CHAP) auprès de la Cour d’appel, l’utilisation du bracelet électronique en phase d’instruction ou encore l’exigence d’une motivation spéciale en cas de refus du sursis.

Les critiques et observations majeures à propos de la réforme de 2018

L’exécution des peines toujours attribuée au Parquet général

Alors que la loi de 2018 a effectivement réformé l’ancien système de l’exécution des peines en créant une CHAP, l’exécution des peines reste néanmoins attribuée au Parquet général, qui prendra les décisions sur les recours formés par des condamnés. Il convient de souligner que le Parquet général ne peut pas être assimilé à une juridiction, vu qu’il a un rôle fondamentalement différent, qui consiste dans la représentation des intérêts de la société lors d’une affaire en justice.

Ceci a été vivement critiqué par différents acteurs, notamment par la Commission consultative des droits de l’Homme lors des travaux parlementaires, mais n’a malheureusement pas été pris en compte. A titre d’exemple, en France, il existe depuis de nombreuses années un juge de l’application des peines, qui exerce ses fonctions auprès des tribunaux de grandes instances4. Un second degré de juridiction, connaissant des recours contre les décisions du juge de l’application des peines, est garanti par la mise en place d’une CHAP auprès de la Cour d’appel5.

Un tel système semble plus cohérent et équitable que le système luxembourgeois actuel, où le Parquet général et les différents parquets en charge de la poursuite de la personne condamnée lors de son instance en justice initiale pourront par la suite décider des modalités d’exécution de la peine de cette même personne. Ainsi, un détenu souhaitant par exemple exécuter sa peine d’emprisonnement en semi-­liberté doit adresser sa demande au Parquet général, qui constitue la même autorité du pouvoir exécutif représentant le ministère public qui exerçait déjà l’accusation lors du procès conduisant à la condamnation.

L’absence d’un double degré de juridiction

Une deuxième grande critique de la loi de 2018 est l’absence d’un double degré de juridiction en matière d’exécution des peines. En effet, les décisions prises dans un premier temps concernant l’exécution des peines relèvent du Parquet général ou de son délégué et ne constituent ainsi pas de véritables décisions de justice.

Si la loi de 2018 a introduit la CHAP auprès de la Cour d’appel, compétente pour connaître des recours contre les décisions prises par le procureur général d’Etat ou son délégué6, aucun recours n’est possible contre les décisions de la CHAP7. Une fois que le recours portant sur l’aménagement de la peine a été déclaré irrecevable ou non fondé par la CHAP, le condamné ne dispose plus d’aucune possibilité de recours.

Ceci est déplorable, car cette disposition empêche également un contrôle en droit par la Cour de cassation, qui serait pourtant nécessaire, alors qu’en pratique, bon nombre de recours auprès de la CHAP ont été déclarés irrecevables8 ou non fondés. En effet, sur 159 recours traités par la CHAP en 2019, 128 ont été déclarés non fondés ou irrecevables9.

Cette impossibilité de recours imposée par la loi est d’autant plus déplorable que les décisions rendues en matière d’exécution des peines ont des effets significatifs sur la vie quotidienne et privée des condamnés. Les sujets des recours déposés auprès de la CHAP sont variés et peuvent porter, à titre d’exemple, sur la demande d’un détenu pour être transféré à la prison semi-­ouverte de Givenich10, sur la demande pour un congé pénal pour le réveillon de Noël11, ou encore sur la demande d’aménagement dans le cadre d’une interdiction de conduire pour pouvoir bénéficier d’une exception pour trajets professionnels12.

Il peut néanmoins être constaté que la CHAP se limite actuellement à trancher les recours qui concernent strictement les modalités de l’aménagement de la peine telles qu’énoncées par la loi, comme la libération conditionnelle, la libération anticipée ou encore la semi-liberté. La loi prévoit pourtant que la CHAP est compétente pour connaître « des recours contre les décisions prises par le procureur général d’Etat dans le cadre de l’exécution des peines ». En se déclarant incompétente pour connaître, à titre d’exemple, des demandes de transfèrement vers un centre pénitentiaire étranger13 ou encore des demandes concernant des mariages en prison, la CHAP prive de nombreux condamnés de tout moyen d’action.

La non-comparution des parties

Contrairement à la pratique belge, les décisions de la CHAP au Luxembourg sont, conformément à l’article 699 (2) du Code de procédure pénale, en principe rendues sans avoir auditionné le requérant. En effet, l’article 700 du même Code confère un pouvoir discrétionnaire à la CHAP d’auditionner le requérant, mais en pratique, de telles auditions sont tenues à titre exceptionnel. La CHAP base ainsi, dans la majorité des cas, sa décision uniquement sur la requête écrite du condamné et les réquisitions écrites du ministère public.

Les peines étant individuelles, il se pose dès lors la question si respectivement cette pratique de défaut de présence et de procédure écrite est appropriée au vu des multiples profils des détenus (différences d’âge, diverses situations familiales et professionnelles, différents caractères) et des multiples peines alternatives. Cette pratique de non-comparution du requérant est également contraire au principe du contradictoire, alors que les avocats et les personnes condamnées n’ont pas accès ni au dossier ni aux conclusions du ministère public et sont ainsi dans l’impossibilité de se défendre.

La surveillance électronique

Si la surveillance électronique par le biais du bracelet existait bien avant la réforme de 2018, cette modalité d’exécution de la peine la plus innovatrice était réservée aux personnes condamnées.

Lors de la rédaction de la loi du 20 juillet 2018 a été envisagé par le législateur d’introduire la surveillance électronique en tant que modalité du contrôle judiciaire pendant la phase d’instruction, sans néanmoins remplacer la détention préventive traditionnelle en incarcération. Cette idée a été retenue par la loi de 2018, et c’est aujourd’hui l’article 107 du Code de procédure pénale qui prévoit la possibilité pour le juge d’instruction de placer une personne sous surveillance électronique dans le cadre d’un contrôle judiciaire dans la phase de l’instruction de son affaire.

En effet, le placement sous surveillance électronique permet de surveiller et de contrôler à distance les déplacements d’une personne. Le Luxembourg dispose pour l’instant du bracelet électronique RFID (radio frequency identification) qui permet de vérifier si à un moment précis, la personne surveillée se trouve effectivement à l’endroit prédéterminé, ce qui ouvre la possibilité d’une détention à un domicile fixe14.

Le recours à la surveillance électronique dans la phase d’instruction a principalement comme avantage de permettre aux personnes inculpées, mais pas encore condamnées, de continuer leur vie familiale et professionnelle habituelle et d’éviter ainsi une rupture brutale avec leur vie quotidienne en les plaçant en prison. La détention provisoire doit toujours être une mesure exceptionnelle et ultime. Un contrôle judiciaire avec une surveillance électronique serait une mesure favorable, notamment pour des personnes inculpées sans antécédents judiciaires qui auront le droit de bénéficier d’un sursis dans le cas où une peine d’emprisonnement serait prononcée à leur encontre.

En analysant de plus près les conditions pour pouvoir bénéficier d’un placement sous surveillance électronique, on constate également que les conditions ne semblent pas très restrictives. En effet, le requérant doit prouver soit qu’il est inscrit en tant que demandeur d’emploi, soit qu’il poursuit activement une formation ou une activité professionnelle. La participation effective à la vie de sa famille ou encore la nécessité de suivre un traitement médical ou thérapeutique sont également des conditions justifiant un placement sous surveillance électronique15.

Malheureusement, le recours au bracelet électronique demeure toujours une exception : en 2019, uniquement 55 personnes ont bénéficié de cette mesure16. Sur ces 55 personnes, plus de la moitié ont commis ou sont poursuivies pour des infractions de faux, de toxicomanie ou de coups et blessures17. En juin 2020, seulement 15 personnes ont porté le bracelet électronique, et dans aucun de ces cas, l’affaire en justice n’était en phase d’instruction18. Ceci est regrettable, alors que la loi prévoit bien cette mesure.

Au vu de ce qui précède, on peut se poser la question si les peines privatives de liberté à exécuter en milieu carcéral ne continuent pas à être favorisées dans le système actuel, au détriment d’une insertion et d’une resocialisation de l’inculpé et du condamné.

Conclusions

L’exécution des peines au Luxembourg a manifestement évolué ces dernières années, en introduisant de nouvelles dispositions législatives qui permettent aux juges d’adapter davantage les modalités d’exécution des peines, en considérant des facteurs individuels et personnels des condamnés.

Néanmoins, en pratique, l’absence d’audition des condamnés lors de leur recours concernant l’exécution des peines, l’absence d’un double degré de juridiction ou encore le refus des juges d’instruction, jusqu’à l’heure actuelle, d’ordonner un placement sous surveillance électronique au stade de l’instruction, semblent aller à l’encontre de l’objectif de la réforme de 2018.

Il est regrettable qu’à l’heure actuelle, surtout en ce qui concerne des jeunes placés en détention provisoire ou des jeunes condamnés, l’application des différentes modalités d’exécution des peines existantes, ayant une valeur pédagogique plus importante que les peines d’emprisonnement, n’est toujours pas devenue la règle.

Une intervention rapide du législateur s’impose afin de remédier à ces irrégularités constatées en pratique.

  1. Alphonse SPIELMANN et Dean SPIELMANN, Droit pénal général luxembourgeois, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 540.
  2. Rapport de la commission juridique du 27 juin 2016 concernant le projet de loi n° 7041.
  3. Ibid.
  4. Article 712-1 du Code de procédure pénale français.
  5. Ibid.
  6. Article 696 du Code de procédure pénale.
  7. Article 703 du Code de procédure pénale.
  8. Bulletin de la chambre de l’application des peines 15.09.2018-31.07.2020 : https://justice.public.lu/dam-assets/fr/jurisprudence/resumes-de-jurisprudences/arrets-de-la-chambre-de-l-application-des-peines/Cour-superieure-de-justice-bulletin-de-la-chambre-de-l-application-des-peines-15092018-31072020.pdf (toutes les pages Internet auxquelles est fait référence dans cette contribution ont été consultées pour la dernière fois le 20 octobre 2020).
  9. La justice en chiffres 2019 : https://justice.public.lu/dam-assets/fr/publications/justice-en-chiffres/La-justice-en-chiffres-2019.pdf, p. 23.
  10. Bulletin de la chambre de l’application des peines, op. cit., p. 25.
  11. Ibid., p. 29.
  12. Ibid., p. 45.
  13. Ibid., p. 6.
  14. Projet de loi n° 7041, p. 16.
  15. Article 688 du Code de procédure pénale.
  16. Rapport d’activité du ministère de la Justice de 2019 : https://gouvernement.lu/de/publications/rapport-activite/minist-justice/mjust/2019-rapport-activite-mjust.html, p. 329.
  17. Ibid.
  18. Réponse de la ministre de la Justice à la question parlementaire n° 2198 du 13 mai 2020.

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