Des écoquartiers en réponse à Belval
Interview avec Hélène Bisaga et Jean-Christophe Courtin, responsables de l’Établissement public d’aménagement d’Alzette-Belval, sur les projets fonciers de l’État français de l’autre côté de la frontière
L’État français investit dans de nouveaux quartiers à la limite de son territoire, au fin fond de la France. Qu’est-ce qui le motive?
Jean-Christophe Courtin: Il y a deux raisons qui ont décidé l’État français à investir dans cette région. La première, c’est que c’est un territoire industriel sur lequel les usines sidérurgiques ont fermé, en tout cas côté français. C’est un territoire qui souffre et qui a beaucoup souffert. Donc il y a une obligation d’accompagner la reconversion d’un certain nombre de sites.
La deuxième raison, c’est que le Grand-Duché de Luxembourg a, lui, décidé de faire une opération majeure d’aménagement du territoire sur le site de Belval et le gouvernement français s’est posé la question: «Mais comment, de notre côté, réagissons-nous face à cette opération majeure qui, en plus, s’appuie sur la frontière?». Et de ce côté-ci, jusqu’à présent, il n’y avait rien de particulier. Donc, puisqu’aujourd’hui l’État a décidé de mettre en place des moyens d’action particuliers, nous devons faire quelque chose qui soit, si ce n’est à la hauteur, en tout cas à la dimension de ce qui se fait de l’autre côté de la frontière.
Votre projet ne se construit pas vraiment vis-à-vis de Belval, mais il est éparpillé sur beaucoup de communes. Qu’est-ce qui va lui donner de la cohérence?
Hélène Bisaga: Ce territoire a eu, au travers de son histoire, une urbanisation très rapide qui a ensuite été mitée. Les usines qui ont été fermées étaient au cœur des villes. On s’est retrouvé avec de grandes friches insérées dans le tissu urbain. La cohérence est donc justement dans le fait de retisser ce tissu urbain, et dans certains cas, de recréer des centralités.
Plutôt que de répondre à Belval par un projet juste en face sur des terres agricoles, nous répondons avec plusieurs sites, majoritairement industriels.
Le fait qu’il s’agisse de friches industrielles est-il une contrainte ou plutôt une chance?
Jean-Christophe Courtin: Les deux. Avoir des friches n’est jamais une chance. On préfèrerait avoir encore une activité économique importante. Mais c’est aussi une chance parce que cela évite justement de prélever uniquement des terrains agricoles. En revanche, c’est une contrainte quand on considère la manière de les réinvestir. Parce qu’un ancien terrain industriel, c’est un terrain qui peut être pollué. C’est un terrain dans lequel on va retrouver des obstacles, toutes les fondations des bâtiments sont encore dans le sol. Et il faut être capable de recréer le continuum urbain sans avoir l’impression de plaquer quelque chose hors sol. C’est un atout, mais dans la mise en œuvre, il faut faire attention à ce que les contraintes ne prennent pas le dessus.
Les terrains appartiennent-ils à l’État?
Jean-Christophe Courtin: Non, tous les terrains n’appartiennent pas à l’État. En revanche, le plus grand, celui de Micheville, lui appartient. Micheville représente 50 hectares. Donc, il reste quand même encore 150 hectares qui n’appartiennent pas à l’État. Certains terrains ont déjà été achetés et d’autres seront achetés plus tard. Sur ces 200 hectares, 130 sont des friches industrielles.
Vous planifiez donc sur des terrains qui ne vous appartiennent pas encore?
Jean-Christophe Courtin: Oui.
Parce que l’État français a les moyens d’exproprier?
Jean-Christophe Courtin: Pas uniquement. Concrètement, l’État va créer sur ce territoire plus de 8000 logements neufs qui permettront de répondre aux besoins engendrés par l’essor du Luxembourg. Il ne faut pas que la hausse des prix que l’on constate incite les gens qui ont moins d’argent à s’éloigner de la frontière parce qu’ils n’arrivent plus à se loger.
L’État veut aussi que ce territoire soit un terrain de démonstration de la ville de demain. C’est un démonstrateur des modes de construction innovants. Un aménagement de qualité qui intègre aussi les évolutions climatiques. Par exemple, sur le site de Micheville, nous sommes en train de travailler sur la manière dont l’aménagement paysager du site permet de lutter contre les phénomènes des îlots de chaleurs.
Sur quel principe les quartiers vont-ils se construire? Quelles est votre ambition urbanistique?
Jean-Christophe Courtin: Toutes nos opérations doivent répondre au label «Eco quartier» porté par le ministère de la Cohésion des Territoires français. C’est un label national, délivré par l’État. Ce qui est intéressant dans ce label-là, c’est qu’il joue évidemment beaucoup sur la qualité des aménagements et des constructions, mais pas seulement. Les thèmes du bien-vivre ensemble, de la santé, de la qualité environnementale, de la mobilité, de la performance économique du quartier sont également pris en compte.
Pour ce qui est de la mobilité, nous souhaitons accompagner le changement des usages. Nous allons d’abord essayer de limiter l’accès des véhicules dans les aménagements urbains pour délimiter des espaces dédiés aux piétons et aux cyclistes. Nous allons plutôt essayer de conserver les véhicules en périphérie des espaces. Mais nous allons quand même proposer aux gens qui souhaitent habiter dans ces zones une place de parking par logement ainsi qu’une autre place de parking sur le site. L’idée étant de dire, certes, l’objectif est la limitation, mais on tient quand même compte de la réalité. Nous essayons d’être pragmatiques et d’accompagner progressivement le changement.
La deuxième chose, c’est que nous essayons autant que possible de favoriser la mise en œuvre des transports collectifs. Ce n’est pas toujours simple. Sur Micheville, nous allons réussir à proposer, en partenariat avec le ministère du Développement durable et des Infrastructures du Luxembourg, l’accès à un transport public à haut niveau de service Nord-Sud, qui ira de Luxembourg à la Cloche d’Or et Belval et va poursuivre jusqu’à Micheville, sa gare terminus.
Puis, il y a une très grande prise en compte des espaces verts dans la ville. Des corridors de biodiversité vont être mis en place dans nos aménagements. Cheminements piétons pour les habitants, ces corridors offriront aussi la possibilité pour la faune et la flore que nos zones d’habitation ne soient pas infranchissables, et que des mouvements naturels se fassent. Evidemment, toutes les constructions qui seront réalisées vont répondre à des standards de qualité importants, notamment thermiques.
Dernier exemple: nous avons mis en place un living lab, en français on dirait un laboratoire d’usage. Des gens venant de tous les horizons, de toutes compétences, ainsi que les futurs usagers, qui ont tous des attentes différentes, vont discuter ensemble et essayer d’avoir à la fin, une attente et un usage partagé sur, par exemple, la réalisation d’un parc.
Pour quelqu’un de l’extérieur cette manière de procéder semble plutôt évidente…
Hélène Bisaga: Nous allons au-delà de nos obligations en matière de concertation. Par exemple, ce parc va-t-il avoir plutôt une tonalité sportive ou est-ce que ce sera un parc de mémoire? Va-t-on y mettre en valeur l’histoire du territoire, va-t-on en faire un parc sensoriel? Le fait d’avoir des endroits où l’on va mettre en valeur le renouveau de ces friches est aussi fort en matière de sens. Quelles interactions va-t-il y avoir entre ce parc et le pôle culturel qui sera un outil très fort d’animation, de cohésion sociale? Est-il important d’imaginer par exemple des zones appropriables, c’est-à-dire des lieux où il n’y a rien, pour que les associations locales puissent développer là des projets en lien avec le pôle culturel?
Et vous trouvez des habitants, des voisins pour en discuter?
Hélène Bisaga: C’est vrai que les habitants sont parfois difficiles à mobiliser. Je pense que cela va changer quand nous commencerons réellement à construire. Les gens vont s’y intéresser et voudront s’approprier le lieu. Au début, nous réunissions péniblement 10-15 personnes lors de nos réunions de concertation. Aujourd’hui, c’est plutôt 70-80 personnes. Cela commence à avoir un certain poids.
Jean-Christophe Courtin: On peut aussi utiliser des corps intermédiaires comme des associations par exemple. Mais il est vrai que les habitants sont les plus difficiles à mobiliser. Et puis, certaines personnes qui sont déjà sur place n’ont pas forcément les mêmes attentes que celles qui vont venir y habiter. Nous réfléchissons donc aussi de manière «théorique» pour reconstituer le profil des futurs habitants, que ce soit de jeunes étudiants, des couples avec enfants, etc.
Qu’en est-il de l’économie de proximité?
Jean-Christophe Courtin: Tout d’abord l’infrastructure publique: Nous allons constituer ce que l’on appelle un hub de mobilité avec, autour, des activités de santé, un espace commercial, une cité scolaire… Il y aura des bureaux pour le secteur tertiaire et tout ce qui tourne autour de la petite économie résidentielle.
Hélène Bisaga: En fait, quand on maîtrise l’aménagement, on peut concevoir des espaces qui sont propices au développement économique local. Par exemple, on peut apporter de la densité et favoriser les mobilités douces, ce qui est propice aux petits commerces qui, aujourd’hui, sont un peu en difficulté sur le territoire. En apportant de la population, des espaces qui sont agréables, accueillants, on cherche à permettre ce développement endogène. Un autre aspect est également important dans notre démarche qui est liée au concept d’éco-cité et aussi d’une certaine manière à celui d’écoquartier. Nous allons chercher à avoir un impact positif non seulement sur le développement de notre périmètre mais aussi à une échelle élargie. À l’échelle de la région, dans les Vosges et même d’autres départements, il y a des entreprises qui ont un savoir-faire en matière de construction durable, d’éco-conception du bâtiment, de construction en bois. Nous cherchons aussi à être un territoire de démonstration pour ces entreprises-là, pour les aider dans leur développement.
Aussi au Luxembourg?
Hélène Bisaga: Notre priorité est quand même la France, mais cela n’exclut pas les entreprises luxembourgeoises bien sûr.
Avez-vous été contactés par les métiers de la construction du Luxembourg?
Jean-Christophe Courtin: Non, pas encore.
Quelle place pour la culture dans votre projet?
Hélène Bisaga: Quand nous avons commencé à réfléchir sur ce territoire, nous nous sommes posé la question de savoir quels en sont les atouts et quels sont ses facteurs de développement. On voit bien, en passant la frontière avec le Luxembourg, que les données fiscales et sociales sont très différentes entre ces deux territoires. Entrer en concurrence avec ce qui se passe au Luxembourg n’a pas de sens. Mais notre mixité sociale et la culture sont des atouts. En particulier, le festival du film italien qui est issu de l’histoire de ce territoire et qui fait quand même venir 40000 personnes. La culture est un outil de développement et de valorisation. C’est aussi un outil de cohésion sociale. Quand on s’apprête à accueillir autant de nouveaux habitants, il faut leur permettre de s’intégrer, leur faire connaître le territoire, leur donner à voir de belles choses. Ce festival a un potentiel de développement énorme.
Ce qui vous a amenés à prévoir un vrai centre culturel sur un lieu stratégique…
Hélène Bisaga: Et on ne l’a pas pensé comme un bâtiment seul. Il est préfiguré, c’est-à-dire qu’il y a toute une stratégie de développement culturel du territoire qui est mise en place par la Communauté de communes du Pays Haut Val d’Alzette. Quand le bâtiment sera là, on ne se posera pas la question «Qu’est-ce qu’on va y faire dans ce bâtiment?». Au contraire, on va l’accueillir avec soulagement, parce qu’on aura enfin la place de faire tout ce que l’on veut faire.
Comment doit-on s’imaginer la vie dans vos quartiers? Comment présenteriez-vous votre vision à un futur habitant?
Jean-Christophe Courtin: J’habite dans des logements agréables à vivre, lumineux, situés dans un environnement apaisé où je peux sortir sans risquer de me faire écraser, où je peux laisser mes enfants jouer, où je peux aller d’un bout à l’autre du quartier sans quasiment croiser une voiture, où je peux rencontrer mes voisins, avoir des espaces de convivialité. En plus, je suis dans un espace qui est un écrin de verdure. Ça tombe bien, j’aime bien aller courir le matin. J’ai un espace de 300 hectares juste à côté, qui est accessible et sur lequel je peux faire mes 10 km. Je trouve toutes les commodités que je recherche, les commerces de proximité. Je peux aller prendre mon bus pour aller travailler, si j’exerce au Luxembourg.
Vous allez mettre beaucoup de logements à courte échéance sur le marché.
Jean-Christophe Courtin: Nous en commercialiserons 350 à 400 par an. Ce qui est nouveau et beaucoup pour le secteur.
C’est-à-dire, c’est un projet à 10 ans?
Jean-Christophe Courtin: Micheville est un projet à 10/15 ans. Le tout prendra 25 ans. Mais Belval est aussi un projet à 25 ans.
Partez-vous de zéro ou bien vous inspirez-vous d’un modèle?
Jean-Christophe Courtin: Le modèle, enfin, l’idée de référence quand on parle d’écoquartier, c’est le quartier Vauban à Fribourg.
Toujours?
Jean-Christophe Courtin: Ça reste toujours le modèle, oui. Mais ce n’est pas reproductible. L’Allemagne n’est pas la France.
Qu’est-ce qui fait la différence?
Jean-Christophe Courtin: Culturellement, beaucoup de choses sont différentes. Le rapport à la maison n’est pas tout à fait le même. La façon dont les gens vivent, l’approche collective qui est très forte dans les pays du Nord. Aussi au Luxembourg, mais peut-être dans une moindre mesure. C’est beaucoup moins vrai en France. Les immeubles qui ont des jardins partagés, en France, ça existe mais c’est quand même plutôt rare.
Pour terminer: dans quel domaine collaborez-vous avec le Luxembourg? Sur quel sujet essayez-vous de trouver des synergies?
Jean-Christophe Courtin: Le thème principal sur lequel nous trouvons des synergies est celui de la mobilité.
Dans l’analyse des besoins en termes de logement, travaillez-vous ensemble?
Jean-Christophe Courtin: Non, pas encore.
Vous ne discutez pas sur ce sujet?
Jean-Christophe Courtin: On discute, on apprend à se connaitre mais on ne travaille pas ensemble. Sur certains thèmes, avoir des approches un tant soit peu concertées ou partagées pourrait être intéressant et finiront par être mises sur la table.
Merci pour cet entretien!
L’interview a été enregistrée le 20 juin 2017 à Villerupt (JST).
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