Des incapables capables
Mineur émancipé, droit de vote mérité!
Ils auront grandi trop vite… ces jeunes qui n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité, ce sésame qui rime pour certains au droit de passer l’examen du permis de conduire. Ces jeunes ne sont pas pour autant des incapables juridiquement parlant.
Ce constat, les groupes politiques de la majorité semblent l’avoir reconnu.
À présent, la société luxembourgeoise se voit saisie de la question formulée de la manière suivante:
«Approuvez-vous l’idée que les Luxembourgeois âgés entre seize et dix-huit ans aient le droit de s’inscrire de manière facultative sur les listes électorales en vue de participer comme électeurs aux élections à la Chambre des députés, aux élections européennes et communales ainsi qu’aux référendums?»1
Il est ainsi proposé d’accorder le droit au jeune de seize ans de s’inscrire, s’il le désire,sur une liste électorale. Cette proposition se fonde sur le constat que d’autres pays2 ont déjà emboîté le pas et permettraient déjà aujourd’hui à la catégorie des jeunes de 16 à 18 ans de participer à des élections.
Cette question a priori anodine consiste en fait à vouloir donner à une catégorie de personnes juridiquement incapables le droit d’aller voter, en d’autres termes un droit réservé jusqu’à présent à des personnes juridiquement capables et bénéficiant de tous leurs droits civils et politiques3.
Revenons à l’incapacité juridique. D’aucuns utiliseront un argument simpliste et diront que cette incapacité juridique devrait être préservée au regard des textes en vigueur. D’autres diront que la faculté de voter du mineur est inconciliable avec l’obligation de voter du majeur.
Or, n’est-ce pas méconnaître une réalité?
Le mineur un être protégé,
un incapable juridique
Il est certes vrai que le mineur doit être protégé. Le Code civil sert de pilier généraliste pour garantir cette protection. L’article 388 du Code civil définit le mineur comme l’individu de l’un et de l’autre sexe qui n’a pas encore l’âge de dix-huit ans accomplis. Le Code civil protège ce mineur en inscrivant à l’article 1124 que sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi, les mineurs non émancipés.
Le mineur est ainsi enveloppé d’une incapacité, incapacité d’exercice qui se traduit par une diminution de son pouvoir d’agir. C’est une incapacité naturelle, chez le jeune enfant, artificielle chez le grand adolescent, proche de la majorité.4
Le Code civil, qui remonte à Napoléon et précède la première Constitution luxembourgeoise, savait déjà distinguer entre «l’enfant qui ne sait pas ce qu’il fait et l’enfant qui le sait5». Par exemple, le Code civil requiert le consentement personnel de l’enfant adopté de plus de 15 ans6. À l’instance de cet exemple, il ressort que le Code civil s’est approprié un référentiel d’âge pour concéder au mineur un certain discernement.
Autre exemple, en permettant au mineur dès 1887 (soit 32 ans avant d’accorder le droit de vote aux femmes) «à se faire ouvrir des livrets sans l’intervention de leur représentant légal»7, le législateur luxembourgeois a concédé un discernement au mineur qui est libéré de tout référentiel d’âge. En revanche, la permission accordée au mineur de retirer de l’argent était à nouveau associée à un référentiel d’âge fixe. Il était accordé au mineur de «retirer, sans cette intervention, mais seulement après l’âge de seize ans révolus, les sommes figurant sur les livrets ainsi ouverts, sauf opposition de la part de leur représentant légal8».
D’un point de vue juridique, il peut être constaté que le législateur s’approprie un référentiel d’âge ce qui justifierait le choix d’offrir la faculté du droit de vote au mineur de 16 ans. Or, ce serait méconnaître le principe de l’émancipation du mineur.
L’émancipation: un concept fluide adapté au rythme d’évolution du mineur
En effet, le concept de l’émancipation permet au mineur de devenir capable, comme un majeur, et de poser tous les actes de la vie civile. Il ne peut cependant pas faire le commerce9. Il cesse aussi d’être sous l’autorité de ses père et mère10.
Ce concept n’est pas associé à un référentiel d’âge prédéterminé. Selon le législateur, il suffirait au mineur d’âge de posséder le discernement nécessaire pour être élevé sur un pied d’égalité avec le majeur capable11.
Ce mécanisme a l’avantage d’être plus souple que le système rigide proposé par la majorité parlementaire actuelle. Si l’idée est de rajeunir l’électorat luxembourgeois qui ferait partie des plus âgés en Europe12, il est probablement faux d’espérer que tous les mineurs de 16 ans se sentiront aptes à s’inscrire sur une liste électorale. Il est également difficile de comprendre comment le système envisagé par la majorité parlementaire fonctionnerait, alors que pareil acte nécessiterait, à législation constante, l’accord parental.
En fixant la faculté du droit de vote à l’âge de 16 ans, le législateur amène de la rigidité dans le système électoral qui ne tient nullement compte du discernement du mineur ou des modalités pratiques. Il n’appréhende pas non plus la question de la possible déchéance des droits civils et politiques13 inscrite comme peine accessoire en droit pénal général14.
En revanche, le système de l’émancipation du mineur permettrait de contourner le problème à législation constante, puisque le mineur cesse d’être sous l’autorité parentale15. Le système de l’émancipation serait également plus facilement associable à la définition de l’adolescent, qui est un mineur âgé «d’au moins 12 ans accomplis et de moins de dix-huit ans16».
Pendant cette période de l’adolescence, le discernement progresse et bascule d’un l’enfant qui ne sait pas vers celui d’un enfant qui le sait17, donc d’un mineur naturellement incapable vers un mineur artificiellement incapable, qui possède la faculté de s’émanciper. L’emancipation servirait ainsi d’échelle mobile fluide adaptée à l’évolution du jeune. En laissant pleinement mûrir le système de l’émancipation, il serait possible de conférer à cette catégorie de mineurs une triple majorité: civile, pénale et politique entraînant ainsi de plein droit leur soumission aux règles de droit commun applicables à l’adulte.
La preuve de cette émancipation côtoie la société luxembourgeoise au jour le jour. Il suffit de se rendre dans les établissements scolaires du secondaire pour découvrir des comités d’élèves qui se mobilisent et interagissent avec leurs pairs adultes18 ou d’aller à la rencontre des associations travaillant dans le domaine de la jeunesse pour réaliser la belle réussite du projet «Jugendparlament».
Ces projets connaissent des systèmes de votation avec un électorat en partie constitué de mineurs. Ces projets qui responsabilisent les mineurs et les font participer, ne connaissent pas de limite d’âge artificielle, mais s’approprient le concept fluide du discernement menant à l’émancipation.
Conclusion
Alors pourquoi cultiver la situation paradoxale et n’offrir la faculté de voter qu’à partir du 16e anniversaire, alors que le mineur capable de discernement et capable de s’émanciper a la faculté de grandir et de participer à son rythme dans la société?
1. Commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle, procès-verbal de la réunion du 13 octobre 2014, P.V. IR 29, p. 2/8.
2. Commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle, procès-verbal de la réunion du 13 octobre 2014, P.V. IR 29, p. 2/8, citant: Land du Brandebourg (pour les élections législatives régionales («Landtagswahlen»), l’Autriche (pour tous les types d’élections) et l’Écosse (pour le référendum de l’indépendance de l’Écosse de septembre 2014).
3. Ibidem.
4. Cf. Droit civil, Jean Carbonnier, Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, volume 1,1re édition «quadrige», 2004, PUF, n°426, p. 878.
5. Ibidem, p. 879.
6. Cf. article 356 du Code civil: «S’il a plus de quinze ans, l’adopté doit consentir personnellement à son adoption». — L’auteur tient à préciser que l’illustration tirée de cet article n’est pas à confondre avec l’issue d’un récent arrêt de la Cour constitutionnelle du13 décembre 2013, arrêt n°105/13, lequel a déclaré l’article 356 du Code civil contraire au principe d’égalité inscrit à l’article 10 bis § 1er de la Constitution, mais uniquement pour ne pas prévoir la possibilité pour un tribunal de faire abstraction de la nécessité de consentement personnel de l’enfant de 15 ans et de prononcer néanmoins une adoption conforme à l’intérêt de l’adopté, ainsi qu’il est possible de le faire un adopté de moins de quinze ans sous le contrôle du juge des tutelles.
7.Loi du 14 décembre 1887 portant dispositions additionnelles à loi organique sur la Caisse d’Epargne, Mémorial A N° 64 du 21 décembre 1887, article 1er
8.Ibidem.
9.Cf. article 481 du Code civil: «Le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile. Il ne peut cependant pas faire le commerce».
10. Cf. article 482 du Code civil: «Le mineur émancipé cesse d’être sous l’autorité de ses père et mère».
11.Cf. article 488 du Code civil: «La majorité est fixée à dix-huit ans accomplis; à cet âge, on est capable de tous les actes de la vie civile».
12.Commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle, procès-verbal de la réunion du13 octobre 2014, P.V. IR 29, p. 2/8.
13.Cf. articles 11 2) et 14 4) du Code pénal.
14.Cf. loi modifiée du 10 août 1992 relative à la protection de la Jeunesse. Il est indiqué dans ce contexte que la loi relative à la protection de la jeunesse, alors qu’elle prévoit des sanctions spécifiques d’ordre éducatives, n’appréhende pas la question de la déchéance d’éventuels droits civils et politiques.
15.Cf. article 482 du Code civil: «Le mineur émancipé cesse d’être sous l’autorité de ses père et mère».
16.Loi du 4 juillet 2008 sur la jeunesse, art. 3. intitulé «définitions», Mémorial A — n° 109 du 25 juillet 2008.
17.Cf. Droit civil, Jean Carbonnier, Introduction, les personnes, la famille, l’enfant, le couple, volume 1, 1re édition «quadrige», 2004, PUF, n° 426, p. 879.
18.Cf. loi modifiée du 25 juin 2004 portant organisation des lycées et lycées techniques, art. 34.
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!
