À l’instar d’autres pays de petite ou de moyenne dimension, le Luxembourg ne dispose pas vraiment de «narrative» susceptible d’étoffer sa politique étrangère. Sa participation en tant que membre fondateur à l’intégration européenne, à l’OTAN et dans une moindre mesure aux Nations unies tient lieu de substitut à l’agenda international qui semble cruellement faire défaut.
Cet article traite des relations extérieures, notion plus vaste et compréhensive que celles de politique étrangère ou de diplomatie. À noter d’ailleurs que dans le monde académique il existe une discipline, les relations internationales, marquée elle aussi par le souci de dépasser les vieilles théories «stato-centrées». En effet, à un moment où les antennes diplomatiques des États s’ouvrent à des activités de type «agent commercial» et à la culture, on est bien loin des relations immuables et plus ou moins statiques entre seuls États. Le «soft power», concept en vogue, suggère aussi que les cartes à l’international sont en train d’être redistribuées, que les vieilles hiérarchies sont bousculées par une multitude d’acteurs et qu’on assiste à un foisonnement de réseaux et d’initiatives.
Dans un tel environnement international en pleine mutation, un petit État devrait se sentir à l’aise, mais le Luxembourg ne s’y retrouve souvent pas. Cela explique dans une très large mesure le rôle effacé de la politique étrangère dans la vie politique du pays et son suivisme à l’extérieur. Jusqu’à récemment, le Luxembourg n’était pas connu pour prendre des initiatives sur la scène internationale ou européenne,
ni même pour faire connaître ses positions avec la détermination requise. Il préférait se terrer et cacher son jeu en attendant qu’un consensus se dégage ou que l’accalmie ne revienne. C’était la situation qui prévalait jusqu’au milieu des années 70.
Pas exactement les meilleures prémisses ou prérequis pour réussir le test ultime d’une politique étrangère à succès qui consiste précisément dans la défense des intérêts vitaux d’un pays, contre vents et marées, si nécessaire, et avec l’aplomb adéquat.
Le caractère hybride, pour ne pas dire artificiel ou hypertrophié, de l’économie luxembourgeoise rend difficile sa promotion par la politique extérieure et la diplomatie du pays, pris en porte-à-faux et en quelque sorte entre le marteau et l’enclume. En principe, les diplomates ont horreur d’être instrumentalisés à des fins mercantiles, mais il faut s’y faire.
En politique étrangère, un petit pays peut avoir de l’influence et tirer son épingle du jeu, même si les attributs traditionnels du pouvoir lui font défaut. Le Luxembourg a montré à maintes reprises que son profil diplomatique n’est pas seulement la résultante de ses petites dimensions ou de son réseau diplomatique chétif. La stricte proportionnalité ne joue pas nécessairement dans ce domaine où la qualité compte encore, à commencer par la qualité des acteurs.
Notre diplomatie a repris du poil de la bête sous l’impulsion de certains de nos dirigeants, à commencer par Gaston Thorn, Jean-Claude Juncker (pendant sa longue période comme Premier ministre, il avait déclaré «Chefsache» les relations extérieures sans jamais détenir le portefeuille idoine) et enfin le titulaire actuel, Jean Asselborn. Tous les trois ont eu/ont le bagout qui peut faire la différence, même s’il leur arrivait/arrive d’en faire parfois trop et de se disperser. Grâce à leur engagement personnel sans faille et une bonne maîtrise des dossiers, le Luxembourg a une voix qui peut parfois compter sur la scène internationale et surtout européenne.
Une des règles à observer par un petit pays est de rechercher l’excellence dans un nombre limité de niches. Il faut garder à l’esprit le dicton «Qui trop embrasse, mal étreint». Il est par conséquent indispensable de se donner des priorités et de faire preuve d’une grande flexibilité. Savoir anticiper semble être plus facile dans une petite entité politique comme le montrent les réussites indéniables que sont le système de satellites SES Astra et l’essor de l’industrie des fonds d’investissement. Dans les deux cas, le Luxembourg donnait l’impression de se lancer dans une fuite en avant, mais en réalité il s’agissait de risques calculés, car les responsables anticipaient sur une politique européenne de libéralisation des télécommunications et des organismes de placement collectif, effectivement intervenue quelques années plus tard dans les deux cas.
Reste à savoir si la politique de niches, qui nous a si bien réussi, n’a pas atteint ses limites. Pour deux raisons. Tout d’abord, la «nuisance value» des activités poursuivies au Luxembourg a dépassé le point critique. Finie l’époque où le pays pouvait invoquer la règle «de minimis» pour chercher et obtenir l’indulgence de ses partenaires. En période de crise, chacun est le plus près possible de ses sous et il va de soi que le manque à gagner du fisc en raison de l’évasion et de la fraude fiscales est devenu une cause nationale dans tous les pays européens et au-delà. Si le Luxembourg persiste, il ne faut pas s’étonner qu’il se trouve de plus en plus sur la corde raide. Ensuite, tout le monde court les mêmes lièvres, qu’il s’agisse des sciences de la vie, des TIC ou des télécommunications. Il devient donc de plus en plus difficile de crier Bingo!
Les fragilités de l’économie et les vulnérabilités de son marché de l’emploi ont, dans le passé, pu constituer une entrave et un risque sérieux pour l’équilibre socio-
politique du pays. Au plus fort de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales entre ses voisins et le Luxembourg, le pourcentage élevé de frontaliers parmi les salariés de la place financière pouvait ressembler par moments à une épée de Damoclès.
À l’ère de la Fintech, de l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales et autres FATCA (le «Foreign Account Tax Compliance Act» soumet les banques du monde entier à la surveillance du fisc américain), plus besoin de soudoyer des agents des banques pour dénicher la clientèle en délicatesse avec les obligations fiscales du pays d’origine. Il n’en reste pas moins que la hantise d’une 5e colonne a la vie dure dans un pays dont ¾ de la population active ne possède pas le passeport luxembourgeois. Le spectre de l’espionnage économique et du cyber crime, alimenté par les services de renseignement et autres officines occultes en quête de légitimation, a la vie dure.
On rétorquera que voilà des domaines où le Luxembourg est logé à la même enseigne que d’autres pays même plus importants, sauf que dans son cas les activités liées à la finance revêtent un rôle plus important qu’ailleurs en termes de contribution à la richesse nationale, de recettes fiscales et d’emploi. Donc une plus grande vulnérabilité. D’où aussi l’impact négatif sur l’image de marque du pays que peuvent avoir des impairs du genre LuxLeaks ou autres scandales du même acabit. Il n’est pas évident qu’on parvienne à redorer notre blason moyennant l’exercice de «Nation Branding» en cours. La ficelle est un peu grosse… Mieux vaut apprendre à assumer. Car, à l’évidence, il n’est pas question de changer de «business model». Donc il faut faire avec, et surtout vivre avec le fait qu’on va continuer à servir de repoussoir. La pusillanimité n’est pas une option viable au point où on est.
On fera valoir aussi qu’on a réussi pendant près d’un quart de siècle à limiter la casse en jouant la montre. Sous la pression internationale, le Grand-Duché a fait de gros efforts pour apporter la transparence dans ses affaires en respectant les normes internationales de plus en plus nombreuses et contraignantes. Il n’empêche que dans ce secteur, nombre d’acteurs pensent que le Luxembourg avance un peu trop vite par rapport à ses concurrents qui ne sont plus seulement les traditionnels paradis fiscaux genre Panama ou les îles Marshall mais des centres «onshore» comme certains États fédérés des USA tel le Delaware, désormais garants d’une confidentialité à toute épreuve qui rappelle les bons vieux temps du secret bancaire.
Quoi qu’il en soit, le pays se trouve à la croisée des chemins, ne sachant plus très bien à quel saint se vouer. Les anciennes certitudes et repères ont disparu depuis que le Luxembourg a tourné le dos à l’Amérique de George W. Bush en 2003 ensemble avec la France, l’Allemagne et la Belgique en refusant d’intervenir lors de la deuxième guerre d’Irak.
Obligé désormais de voler en quelque sorte de ses propres ailes, le Grand-Duché devrait en toute logique se doter des voies et moyens pour être à même de se montrer à la hauteur des enjeux, défis et opportunités. Cela rend nécessaire l’amélioration des capacités d’analyse et de prospective, idéalement au niveau du ministère des
Affaires étrangères. Cela est d’autant plus nécessaire qu’il n’existe pas, curieusement, au niveau de l’Université une structure d’enseignement et de recherches en relations internationales et que la seule or-
ganisation qui se vouait plus ou moins bien à ces tâches, l’Institut d’études européennes et internationales, vient de fermer boutique suite au retrait des subsides étatiques.
Il y a donc une lacune à combler, ne serait-ce que pour donner un peu plus de profondeur et de relief stratégique au rayonnement extérieur du pays . Certes, le Luxembourg saisit les occasions de donner plus de visibilité à son action extérieure en assumant fort honorablement les responsabilités qui incombent à un membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies (2013-2014) ou en s’acquittant de la tâche de la Présidence tournante du Conseil des ministres de l’UE (deuxième semestre 2015). Mais ce sont des activités où la routine, certes à un niveau d’intensité élevé, l’emporte. Et elles ne dispensent pas la classe politique de se livrer à un exercice d’introspection sur le positionnement international du pays. u
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