Et au-delà des frontières ?

Diocèses et corporations ecclésiatiques – les deux poumons de l'Eglise catholique en Suisse

Cet article s’inscrit dans la suite du dossier du mois de mai et essaye de montrer l’exemple d’un autre pays, et une organisation de l’Eglise assez différente du Luxembourg.1 Habitant en Suisse depuis 1980, j’ai été engagé dans l’Eglise catholique au niveau paroissial pendant de longues années et aujourd’hui au niveau de la corporation du canton de Vaud et à la RKZ-CCC au niveau suisse (voir plus loin pour les explications). En référence à l’introduction de Michel Pauly au dossier du forum 406, je me permets de rajouter que j’ai été socialisé dans l’Eglise catholique dans la même paroisse du Limpertsberg dès la fin des années 60 et… abonné à forum presque depuis ses débuts !

Système dual

En introduisant en Suisse les mots « système dual » dans un moteur de recherche, on tombe d’abord sur la formation professionnelle, ensuite très rapidement sur l’Eglise catholique au niveau suisse et au niveau cantonal ou diocésain. En Suisse, l’Eglise catholique romaine connaît ainsi ce qu’on appelle « le système dual » : ce qui signifie que deux entités se partagent les tâches de la vie de l’Eglise de manière paritaire : la pastorale, étant sous la direction du curé et de son équipe et c’est l’association paroissiale (souvent une « asbl » en termes luxembourgeois) qui organise les aspects matériels, financiers et immobiliers. Les deux partenaires portent ensemble la responsabilité de l’Eglise locale et prennent leurs décisions d’un commun accord ! Au niveau cantonal, ce sont les diocèses et leurs évêques (représentés dans les cantons par le vicaire épiscopal) et les corporations ecclésiastiques qui jouent ce rôle.

Cette conscience de former ensemble l’Eglise implique que les deux partenaires ont chacun leurs tâches propres avec des compétences et des structures différentes. Et ce sont les corporations (et non pas les diocèses) qui sont reconnues par l’Etat (cantons) et soutenues financièrement (directement ou par les impôts ecclésiaux) selon les particularités cantonales. Il y a donc autant de régimes différents de soutien étatique qu’il y a de cantons. Juste un exemple : notre diocèse LGF (Lausanne, Genève et Fribourg) couvre 4 cantons (les 3 plus Neuchâtel) et collabore donc avec 4 corporations ecclésiastiques différentes, mais le diocèse de Bâle comprend 10 cantons, tandis qu’en Valais, il y a un diocèse pour un canton (comme au Tessin).

Les soutiens étatiques vont d’une simple reconnaissance de la mission de l’Eglise à des subventions plus ou moins importantes ou encore par l’encaissement des impôts ecclésiaux auprès des personnes physiques et morales, reversés aux corporations.

Lien avec le fédéralisme et le système suisse

Ce fonctionnement de l’Eglise en Suisse est évidemment directement lié à certains aspects historiques de la Confédération helvétique. La constitution suisse commence d’ailleurs par les mots « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! ».

Un ancien conseiller fédéral (ministre) a décrit le fédéralisme de la manière suivante : «Die Schweiz ist ein Land ohne gemeinsame Sprache, Kultur und Religion […] Zwei Klammern verbinden unseren Bundesstaat: die direkte Demokratie und das Primat der kantonalen Eigenstaatlichkeit. Dank unserem Föderalismus können eine Vielzahl von Kulturen und Sprachen, von gesellschaftlichen, politischen und religiösen Minderheiten koexistieren, ohne dafür ihre eigenen Wurzeln und Identitäten preisgeben zu müssen. Dank unseren föderalen Strukturen konnten wir so bleiben, was wir in erster Linie noch immer sind: Zürcherin, Genfer, Bündner, Baslerin, Appenzeller oder Tessinerin.»

Les communes politiques sont la base du système, elles ont leur autonomie et leur indépendance par elles-mêmes, et non pas par délégation de l’Etat. Ensuite les cantons ont cette même indépendance propre, avec leur constitution, leur gouvernement et leur parlement, leur autonomie financière et fiscale. Il s’en suit que tout ce qui touche la religion et les Eglises est du ressort des cantons.

Diversité cantonale

On peut regrouper les différents régimes de l’organisation de l’Eglise dans les 26 cantons en plusieurs grandes catégories. Reconnaissance formelle et financement peuvent être gérés de manière séparée, mais le principe « no taxation without representation » est fondamental et a une grande influence sur l’impôt ecclésiastique.

Il faut aussi garder à l’esprit que les mêmes principes s’appliquent aux autres Eglises reconnues, plus particulièrement aux Eglises réformées et dans certains cantons aux communautés juives.

Divers modèles existent en Suisse romande : par exemple séparation stricte Etat-Eglises, et les corporations sont des entités de droit privé, de simples associations. L’Etat encaisse et redistribue l’impôt que les particuliers et entreprises sont d’accord de payer pour les Eglises. Ou alors l’Eglise est reconnue comme entité de droit public, mais les finances proviennent surtout des communes via les paroisses.
Dans le canton de Vaud, la Fédération ecclésiastique catholique romaine (FEDEC) est reconnue comme entité de droit public et touche directement une subvention annuelle de l’Etat cantonal (actuellement environ CHF 27 Mio) ; les communes subventionnent les paroisses et l’entretien des églises par exemple.
Le modèle le plus répandu (cantons suisse-allemands, Fribourg et Jura) prévoit des corporations de droit public, partenaire de l’Etat cantonal. Souvent le canton et les communes lèvent des impôts auprès des catholiques et les mettent à disposition des corporations et des paroisses.

Les corporations et les paroisses sont ainsi organisées avec des structures très démocratiques, avec un exécutif et un législatif ; au niveau de la paroisse, c’est l’assemblée générale qui accepte les comptes, vote le budget, élit l’exécutif, décide de la création de postes rémunérés, élit le curé et les prêtres sur la base des propositions de l’évêque. L’exécutif (conseil de paroisse) réalise les décisions de l’assemblée générale, engage le personnel, gère les finances, … Ont droit de vote à l’assemblée générale toutes/tous les catholiques majeurs et habitant le territoire des communes politiques qui forment la paroisse.

Structure semblable au niveau cantonal, avec un législatif/assemblée générale, composée des délégués des paroisses et un exécutif élu par l’assemblée générale. Cette structure confère à toutes et tous les catholiques le pouvoir de participer de manière démocratique aux prises de décisions, y compris pastorales. Ce système dual donne ainsi la possibilité d’un engagement réel, ce qui a une toute autre importance qu’une simple participation à un groupe de travail pastoral du curé ou de l’évêque !

Au niveau suisse

Comme la responsabilité des relations Etat-Eglises se trouve au niveau des cantons, il n’y a pas de structures semblables au niveau suisse. Mais les corporations sont toutes réunies, sous forme d’association, au niveau suisse, dans la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (CCC ou RKZ pour Römisch-Katholische Zentralkonferenz der Schweiz – www.rkz.ch). Celle-ci prélève une cotisation d’environ CHF 12.5 Mio auprès de ses membres (les corporations), ce qui ne représente qu’environ 1% de toutes les recettes fiscales de l’Eglise catholique en Suisse. Avec cela, la CCC finance certains domaines supra-cantonaux et supra-diocésains, comme par exemple le secrétariat de la conférence des Evêques, les centres des medias dans les 3 régions linguistiques, des institutions de formation, les mouvements catholiques des jeunes (scoutisme par exemple).

Une série de contrats et de documents règlent les prises de décision et les questions de financement entre la Conférence des Evêques suisses (CES – www.eveques.ch), la structure canonique et la CCC – RKZ. Le contrat de co-financement dit par exemple dans son article 5 : «Die Beschlüsse betreffend den Einsatz der verfügbaren Mittel zur Erreichung der pastoralen Ziele und Prioritäten werden im gegenseitigen Einvernehmen in paritätisch zusammengesetzten Gremien zu Händen von SBK (Schweizerische Bischofskonferenz) und RKZ vorbereitet».

Reconnaissance

Dans de nombreux cantons, les constitutions cantonales garantissent l’élection des curés par le peuple (et non pas par nomination épiscopale). Même pour la nomination d’un évêque, certains diocèses connaissent une participation des fidèles à l’élection de leur nouvel évêque, par exemple à Bâle et à St. Gall.

Dans le diocèse de Bâle, l’élection d’un nouvel évêque est le fait de la conférence diocésaine, composée de deux représentants des cantons qui composent le diocèse, dont un représentant du gouvernement politique et un ou deux membres de la corporation; dans le diocèse de St. Gall, c’est le « Katholisches Kollegium », soit le législatif de la corporation, qui a son mot à dire.

A travers cette reconnaissance par les Etats (les cantons), les corporations deviennent le lien entre Eglise et Etat. L’Etat a ainsi un partenaire, organisé de la même façon démocratique que lui-même, au niveau local/communal et cantonal. Les corporations ont ainsi la même séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif, avec tous les postes (rémunérés ou pas) ouverts et accessibles aussi bien aux femmes qu’aux hommes.

Si l’Etat reconnaît une corporation, ce n’est pas uniquement pour ses services religieux ou la catéchèse, mais bien plus parce que les Eglises sont « au service de tous et ont une contribution au lien social et à la transmission des valeurs fondamentales » (canton de Vaud). Dans ce canton, la constitution reconnaît ainsi la FEDEC (www.fedec.ch) et lui attribue les missions suivantes, au service de tous : vie communautaire et cultuelle, santé et solidarité, communication et dialogue, formation et accompagnement et dialogue interreligieux. La constitution reconnaît ainsi aussi une dimension spirituelle de l’existence humaine. La garantie de l’Etat donnant la liberté religieuse à chaque citoyen/ne est l’expression de la reconnaissance de l’Etat. La religion n’est ni repoussée, ni regardée de travers, mais pas imposée non plus.

Et en dehors de ces questions structurelles ?

Les questions de la (non)reconnaissance des femmes, du cléricalisme et du pouvoir, de la situation des prêtres, de la relation de l’Eglise par rapport aux minorités sexuelles, et d’autres, occupent les catholiques en Suisse comme partout ailleurs.

La situation des femmes dans l’Eglise, par exemple, doit aussi être abordée à travers cette double approche :

  • Au niveau pastoral, dans de nombreuses paroisses, des femmes ont aujourd’hui la responsabilité de la direction et de la conduite d’une équipe pastorale, avec un ou plusieurs prêtres comme membres de cette équipe. Pourquoi leur refuser alors l’ordination ?
  • Au niveau des corporations, actuellement la RKZ est présidée par une femme, de même que plusieurs structures cantonales, dont plusieurs des plus grandes, comme Zurich et Vaud.

La question de la possibilité du mariage des prêtres se pose bien entendu aussi. Des situations assez particulières existent, juste un exemple : un prêtre de rite chaldéen, marié, est reconnu depuis deux ans maintenant par le Vatican comme bi-rituel et pleinement comme prêtre ; il célèbre les sacrements catholiques – romains à côté de ses confrères célibataires ! Alors pourquoi en rester là ?

Le chemin synodal en Allemagne nous donne des pistes intéressantes. Du côté des corporations suisses, il y a une volonté de nous mettre aussi en route sur un chemin synodal. Mais la Conférence des évêques n’y est actuellement pas favorable ; à travers tout ce qui précède, on comprend que l’indépendance des diocèses est grande et qu’il est difficile de créer, à ce niveau, un effet moteur pour aller de l’avant.

Cinq idées fortes permettent ainsi de résumer ce système :

  • l’autonomie des associations paroissiales et le pouvoir de décision en termes financiers et parfois d’engagement des prêtres et Evêques ;
  • le fédéralisme avec sa construction du bas (communes/paroisses) vers le haut ;
  • la responsabilité au niveau cantonal pour la gestion des relations Eglise – Etat ;
  • la reconnaissance des associations paroissiales et des corporations ecclésiastiques comme interlocuteur des Etats/cantons à travers leurs constitution, sans reconnaissance directe des structures canoniques ;
  • le système fiscal qui permet aux contribuables de participer à la fixation du montant des impôts.

Ces principes permettent ainsi à toutes et tous les catholiques en Suisses d’être actrices et acteurs dans l’Eglise et d’aider à la façonner et à la faire avancer. Dans la réalité évidemment la collaboration entre les structures ecclésiastiques et les corporations n’est pas toujours de tout repos !

  1. Un grand merci à Daniel Kosch, secrétaire général de la RKZ, pour ses précisions et la relecture de ce texte. Pour plus d’info sur le sujet voir https://www.rkz.ch/fr/qui-sommes-nous/portrait (dernière consultation : 25 mai 2020).

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