- Gesellschaft, Politik
«…et il analysera la possibilité de passer à une imposition individuelle pour les personnes physiques…»
Telle est la formulation timide dans le chapitre «Fiscalité» du programme gouvernemental de 2013 concernant le passage d’une imposition collective à une imposition individuelle des personnes physiques.
Le sujet de l’imposition individuelle revient régulièrement à la surface des plans d’eau lorsque les vagues d’élections nationales agitent le cours des jours tranquilles. Il s’agit d’une réforme mise en avant notamment par les organisations de femmes depuis belle lurette, tant au Luxembourg qu’au niveau européen. L’hypothèse est que l’imposition collective, telle qu’elle est en vigueur actuellement au Luxembourg, pénalise l’activité professionnelle de l’épouse, alors que le revenu professionnel de celle-ci est imposé d’office à un taux d’entrée plus élevé que celui du soutien de famille principal. De ce fait, l’activité professionnelle serait pénalisée, voire découragée, et l’autonomie économique de la femme découragée.
Le système actuel d’imposition des personnes physiques a été effectivement introduit la deuxième moitié du siècle dernier, à un moment où le travail des femmes était devenu un phénomène marginal au Luxembourg. L’emploi des femmes, surtout mariées, était une honte après le passage de la société agraire à la société industrielle sidérurgique. Il était mal vu ou carrément interdit, et les négociations salariales visaient le salaire du soutien de famille masculin. Ce n’est qu’avec la naissance de l’Union européenne que l’égalité entre femmes et hommes dans le marché du travail refait surface. Les lois changent, l’égalité de traitement devient la règle, la discrimination directe est interdite et sanctionnée, la discrimination indirecte est comprise…
La loi fiscale reste inchangée
L’avantage fiscal direct du mariage est d’autant plus considérable que l’écart entre le revenu des deux époux est important. La progressivité de l’impôt fait que le taux marginal appliqué au salaire de l’épouse (ou de l’époux) qui reprend une activité professionnelle est plus élevé que dans le cas d’un couple imposé individuellement. L’avantage fiscal direct du couple marié par rapport au couple non marié est de 7290 euros par an, lorsqu’un membre du couple gagne un salaire brut de 60000 euros par an et que l’autre membre ne travaille pas. Si les deux membres du couple avaient chacun un salaire identique de 30000 euros par an, c.-à-d. en tout un revenu de 60000 euros par an, leur avantage fiscal par rapport au couple non marié s’élèverait encore à 993 euros (barème 2014).
Pour calmer quelque peu les esprits et afin de recueillir le vote des femmes ayant une occupation professionnelle, un abattement spécial est introduit en 1991. Il s’agit de l’abattement extra-professionnel.
Celui-ci accorde une exonération de 4500 euros par an à l’impôt sur le revenu dû par le couple dont les deux partenaires suivent une occupation professionnelle. Ce petit geste tient compte d’une partie des frais supplémentaires auxquels la vie professionnelle expose les salariés (transport, vêtements…), mais il reste limité à un forfait pour ne pas attiser les appétits et rendre jaloux les couples mono-actifs.
Le système fiscal luxembourgeois prévoit d’autres abattements et exonérations, et en analysant ces avantages fiscaux indirects du mariage, l’on s’aperçoit que le législateur zigzague entre des élans progressistes et des nostalgies conservatrices. Les abattements en cas de divorce illustrent probablement le mieux la persistance d’une conception figée du rôle de la femme. Ainsi, un abattement de 3600 euros par an est accordé à la personne imposable (en général l’homme) pour le dédommager du paiement d’une pension alimentaire à un ou plusieurs de ses enfants après le divorce. Par ailleurs, un abattement de 24800 euros (!) est accordé à la personne imposable pour le dédommager du paiement d’une pension alimentaire à chaque ex-partenaire. N’est-ce pas implicitement vouloir maintenir le rôle de la femme dans le rôle d’une «ex»?
Ainsi, la combinaison de l’avantage fiscal direct avec les avantages fiscaux indirects pour couples mono-actifs fait que ce modèle de vie est sur-avantagé par rapport à l’importance de sa représentation dans la société d’aujourd’hui. Dans une société où le mariage n’a plus la même valeur matérielle et symbolique qu’il y a cent ans, le temps est venu de moderniser l’imposition des personnes physiques et l’adapter aux modes de vie actuels.
L’activité professionnelle des femmes
Si le taux d’emploi masculin reste assez stable, le taux d’emploi féminin a augmenté de 56,2% en 2004 à 65,5% en 2014. Ce taux augmente dans TOUTES les catégories d’âge, sauf pour les 20 à 24 ans. L’augmentation est surtout due aux femmes avec enfants. Ceci est un fait remarquable qui questionne l’adéquation d’une fiscalité qui avantagerait un modèle de couple mono-actif.
Voici l’évolution des taux suivant le nombre d’enfants du couple entre 2004 et 2014:
1 enfant: de 68% à 72,5%
2 enfants: de 63,5% à 77,9%
3 enfants: de 47,8% à 60,2%
Le taux d’emploi est le plus faible parmi les femmes vivant en couple sans enfants: 61,04%.
Plus généralement encore, l’augmentation des taux d’emploi résulte exclusivement, pour les Luxembourgeois comme pour les étrangers, de la hausse du taux d’emploi féminin. C’est le taux d’emploi des femmes luxembourgeoises qui connaît la hausse la plus importante: de 53,9% en 2004 à 63,6% en 2014. Ce taux se situe encore en dessous de celui des femmes étrangères, mais l’écart s’est réduit1.
L’évolution de l’emploi illustre la dynamique du changement dans les modes de vie des femmes et des hommes. Les biographies professionnelles se rapprochent, les interruptions définitives de l’activité professionnelle des femmes pour raisons familiales ne sont plus un phénomène général.
L’égalité de traitement
L’imposition collective est obligatoire pour les couples mariés, alors que les couples «pacsés» ont le choix entre l’imposition individuelle ou collective. Le principe de l’égalité de traitement est tout simplement ignoré. Mais il est un fait que l’apparition sur la scène sociétale des couples «pacsés» (homosexuels ou hétérosexuels) apporte une nouvelle dimension à l’imposition des personnes physiques. Désormais, ce ne seront plus uniquement les femmes qui peuvent être considérées comme «second earner», mais également un partenaire du même sexe. Au final, la question se pose de savoir si la réforme fiscale va soutenir le processus d’autonomisation économique de l’individu ou si elle va maintenir, directement ou indirectement, un lien de dépendance à une autre personne?
Le prix de l’imposition collective
L’imposition collective maintient une relation, voire une dépendance économique, entre deux adultes. Ceci devient particulièrement visible lors d’un divorce et lorsque celui des adultes qui a arrêté son activité professionnelle n’a pas des ressources propres (fortune p.ex.) pour subvenir à ses besoins matériels. L’imposition collective se base sur le «subventionnement» du modèle du couple mono-actif par voie d’une imposition plus avantageuse: l’avantage fiscal direct et l’avantage fiscal indirect. Or, avant de parler du coût du passage à l’imposition individuelle, il faut connaître d’abord le coût de l’imposition collective. Se composant de l’avantage fiscal direct et de l’avantage fiscal indirect, ce coût inclut également les transferts sociaux qui évitent la paupérisation de l’adulte qui, après un divorce, a recours à une pension minimale, voire le revenu minimum garanti. Ainsi, l’imposition collective coûte doublement: au niveau de l’individu que l’on décourage de devenir autonome et au niveau de la société qui finance la dépendance économique.
Il y a un autre coût, celui du gâchis des ressources de l’État, plus précisément de l’Administration des contributions directes. En effet, ne serait-il pas beaucoup plus logique d’introduire un système de fiscalité qui délivre une carte d’impôt «à vie» à l’individu considéré comme une personne autonome avec une capacité contributive propre? Le fait de lier le profil de la carte d’impôt à l’état civil implique des changements administratifs multiples, en effet, à chaque fois que la personne change d’état civil. Les liens
établis par l’imposition commune peuvent perdurer longtemps après un divorce, dès lors qu’il y a un intérêt pécuniaire de la part d’un ou peut-être des deux ex-partenaires à prolonger des effets paraissant plus attrayants que le passage à une nouvelle étape de vie.
Le moment opportun
On a vu que l’imposition collective a été introduite à un moment où le travail des femmes mariées était interdit ou marginal. Or, les modes de vie des hommes et des femmes ainsi que les biographies personnelles ont changé. De plus, la gestion de l’imposition collective commence à devenir un casse-tête pour les contribuables et pour l’administration. Il en résulte que l’imposition individuelle paraît plus adaptée aux modes de vie actuels. Maintenant, il s’agit d’évaluer sérieusement les différentes modalités que telle imposition pourrait prendre, en utilisant les mécanismes à disposition pour mettre en place un système transparent, facile et équitable et, si cela s’avère utile, des dispositions transitoires qui pourraient prendre la forme de crédits d’impôts ou d’abattements, voire d’une adaptation du taux d’entrée. Ceci encouragerait une personne à faible revenu à travailler 40 heures et non pas à temps partiel. Finalement, on pourrait aussi viser à amortir la progressivité, surtout dans les cas où le salaire constitue le revenu principal.
1 Rapport travail et cohésion sociale, Cahier économique n° 120, octobre 2015, Institut national de la statistique et des études économiques, p. 65.
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