- Geschichte, Gesellschaft, Politik
Étudier les «nains» européens
Réflexions à propos de l’ouvrage Small States and the European Union édité par Lino Briguglio, Routledge
Pourquoi étudier les petits pays? Parce qu’ils sont légion! Les sept plus grands pays, dont la Chine et l’Inde, représentent 50% de la population mondiale. Sur les 217 pays répertoriés par la Banque mondiale (année 2015), le Luxembourg est classé 168e, juste devant le Suriname, le Cap Vert et Malte.
On a coutume d’affubler des pays comme la Belgique ou les Pays Bas, nos partenaires historiques, du titre coquet de «petits» pays, alors qu’ils font partie des pays de taille significative, au-dessus de la moyenne européenne. En effet, la taille médiane est à moins de 9,1 millions d’habitants (la moyenne est de 18 millions environ, l’écart-type de 23,5 millions de personnes). Le groupe de pays de moyenne taille, avec moins de 9 millions d’habitants, comprend: l’Irlande, la Finlande, le Danemark ou l’Autriche. Un troisième groupe de moins de 17 millions d’habitants serait constitué des pays comme la Suède, les Pays-Bas, le Portugal, la Grèce, la Belgique,… Le dernier groupe inclut les quatre grands pays, mais aussi l’Espagne, la Pologne et la Roumanie. À partir de cette discussion, il est clair que la caractérisation des petits pays est difficile, mais décisive.
L’un des éléments les plus ardus dans ces études est en effet l’étiage à partir d’une mesure de la taille des pays, préalable à l’identification des «petits» pays. Plusieurs critères ont été utilisés: population, surface du pays, PIB nominal, ouverture au commerce extérieur et aux investissements étrangers, part de la population étrangère, poids dans les organisations internationales et dans la prise de décision, etc. Souvent, par souci de facilité, les études se limitent à la population en milliers de personnes. Le professeur Lino Briguglio a retenu ce critère de la population pour son nouveau livre Small States and the European Union. Le chercheur maltais s’est fait un nom pour avoir été l’un des pionniers de l’étude systématique de la vulnérabilité des petits pays et des îles. Il a mené une réflexion sur les risques qu’encourent les petits États face à un choc extérieur, leur résilience et leur capacité à se remettre d’une crise. Le choix des pays retenus dans l’échantillon du livre est arbitraire, puisqu’il prend les sept pays membres de l’Union européenne (UE) ayant une population de moins de 3,6 millions d’habitants (les trois pays baltes, la Slovénie, Chypre, Malte et le Luxembourg) auxquels il ajoute la Macédoine et le Monténégro, pays candidats à l’accession, ainsi que l’Islande qui a négocié son adhésion à l’Union entre 2009 et 2015. En regardant la distribution des tailles en termes de population, sur les 28 pays que compte l’UE, un quart compte moins de 3,6 millions d’habitants. Ensemble, les plus petits pèsent 3% de la population totale de l’UE. L’échantillon regroupe donc en total dix micro-États.
Confrontés à la même situation
Dans son chapitre introductif, Briguglio revient d’abord sur les caractéristiques communes aux petits pays: l’absence de ressources naturelles et une diversification limitée de leur palette d’activités, de biens et services. Les petits pays sont ainsi très dépendants du commerce extérieur et exposés à des chocs extérieurs. D’un côté, l’adhésion à l’UE permet de bénéficier de la liberté de circulation des produits, des capitaux et des hommes. D’un autre côté, l’adoption de règles et de standards communs, non nécessairement basés sur des instruments juridiques tels que les règlements et directives, permet de faire converger structurellement les économies et, dès lors, d’homogénéiser quelque peu cet ensemble disparate qu’est l’UE. Briguglio met l’accent aussi sur les coûts administratifs proportionnellement plus importants que fait peser, dans un petit pays, la transposition du droit européen en droit national. En effet, le petit pays ne peut pas amortir ces frais en raison de l’absence d’économies d’échelle. L’appareil administratif des petits États devrait être surdimensionné, si on accorde crédit à cette hypothèse, qui demande à être vérifiée rigoureusement.
S’ajoutent à cela les avantages de l’UE en termes de fonds de développement pour les pays qui ont récemment adhéré à l’Union. Les petits pays traités dans le livre sont tous bénéficiaires nets de la manne communautaire à l’exception du Luxembourg. Ce dernier profite tout de même de la présence des institutions européennes occupant des milliers de fonctionnaires. De plus, le mécanisme de vote au Conseil de l’UE empêche les petits pays de peser de manière décisive lors d’un scrutin, bien que la recherche de l’unanimité fasse que les arguments de leurs représentants, assis autour de la table avec les grands, soient entendus et débattus. Les petits pays peuvent aussi prendre de l’influence en se concertant entre eux, comme dans le cas des pays scandinaves. Briguglio, contrairement aux auteurs de certaines contributions du livre, ne fait pas grand cas de l’euro, alors que l’union monétaire impose des contraintes à la politique budgétaire des petits pays tout en les dotant de règles de gestion de leurs finances publiques.
Mais très distincts
Briguglio compare ensuite les dix pays qu’il a retenus à la moyenne de l’UE pendant la période 2004-2009 et la période 2010-2014 sur une série de dimensions statistiques. Celles-ci montrent que la part des exportations dans le PIB est supérieure à la moyenne de l’UE, surtout pour le Luxembourg et l’île de Malte. Il en résulte que cette dernière est le pays le plus densément peuplé, et l’Islande, qui dispose d’un territoire étendu, est le pays le moins densément peuplé. Le chapitre évoque le fait que le Luxembourg jouit d’un PIB par tête bien plus élevé que la moyenne de l’UE – même si l’indicateur est contestable –, privilège qu’il partage avec l’Islande, alors que les autres petits pays ont un PIB/tête plus faible que la moyenne européenne. Il est remarquable que les petits pays, dans l’échantillon, semblent avoir des taux de croissance plus élevés que la moyenne communautaire, sauf pour Chypre dans la période récente. On voit aussi que la dette publique est plus faible dans les petits pays, sauf pour Malte et Chypre. La balance courante est excédentaire uniquement pour le Luxembourg et la Slovénie. Quant au taux de chômage, il apparaît inférieur à la moyenne européenne pour l’Islande, le Luxembourg, Malte et la Slovénie. Le salaire horaire est le plus élevé au Luxembourg, au-dessus de la moyenne européenne, en raison d’une productivité plus élevée. Les petits pays étudiés, à part le Luxembourg et l’Islande, sont mieux classés sur l’indicateur de compétitivité calculé par le World Economic Forum que les autres petits pays, dont le score est inférieur à la moyenne. Le secteur financier est important dans trois pays, notamment Chypre, le Luxembourg et Malte, mesuré en termes d’endettement privé par rapport au PIB.
À côté des dimensions économiques, Briguglio examine aussi les attitudes des citoyens des petits pays telles que reflétées dans les enquêtes Euro-baromètre. En prenant en compte plusieurs questions comme par exemple la confiance et l’image des institutions européennes, le sentiment d’appartenance à l’UE etc., il construit un indicateur synthétique qui montre que les opinions publiques dans les petits pays sont plus favorables à l’UE que pour la moyenne des citoyens européens. Néanmoins, il y a deux exceptions: Chypre et la Slovénie, des pays qui ont particulièrement souffert de la grande récession et de la crise bancaire.
Un axe de recherche négligé
Il faut souligner quelques partis pris méthodologiques de l’analyse présentée dans le livre. Tout d’abord, il est surprenant que Briguglio n’ait pas tiré bénéfice de ses recherches sur la vulnérabilité des petits pays pour proposer une classification des petits pays dans l’UE, ce qui aurait permis d’éviter de recourir au critère traditionnel de la population. Deuxièmement, l’éditeur aurait pu élargir son échantillon à d’autres pays européens non membres de l’UE et inclure, à titre de comparaison, les États de moyenne taille, voire les grands. En effet, il aurait été prometteur de construire, grâce à l’analyse multivariée, une typologie des États à partir d’une kyrielle de dimensions économiques, sociales, environnementales et politiques. Cela aurait permis de faire ressortir les traits spécifiques des petits États. Un prolongement intéressant aurait pu être, dans un tel contexte, l’analyse économétrique des performances des petits pays versus les autres, renouant avec une série d’études inaugurées par le professeur Alberto Alesina de Harvard et ses co-auteurs.
Il faut reconnaître cependant que l’approche monographique, donc essentiellement descriptive, livre une source très riche d’enseignements nuancés et approfondis sur les problèmes de chacun des micro-États. Ce matériau offre des pistes d’explication fécondes que les techniques d’analyse sophistiquées ne peuvent pas, en raison de la complexité de certains phénomènes idiosyncrasiques, mettre en évidence. Dans ma contribution au livre, j’ai insisté sur le principal problème auquel doit faire face le Luxembourg, de mon point de vue, celui d’asseoir une cohésion sociale forte et une identité collective solide qui servent de socle à un régime de croissance économique continu et d’éviter la menace d’une fragmentation du grand marché intérieur.
Au Luxembourg, l’étude des petits États et des petites économies, après quelques essais prometteurs dus à des économistes (Gaston Reinesch, Patrice Pieretti), des politologues (Robert Steinmetz) et des historiens (Gilbert Trausch, Michel Pauly) n’a pas donné lieu à un programme de recherche majeur établi auprès des institutions académiques du pays. C’est une lacune regrettable! Une grande conférence européenne, qui devra avoir lieu à Luxembourg en 2017, devrait permettre de faire le point sur les connaissances pluridisciplinaires au sujet des petits États et de dresser un agenda de recherche international. Espérons que ce projet, mené par le professeur Briguglio, pourra rallier un maximum d’acteurs et donner l’occasion de relancer l’étude des petits pays également au Luxembourg.
(Une version plus étendue de cet article, reprenant certains éléments d’analyse pour le Luxembourg, sera publiée dans le Bilan Compétitivité de l’Observatoire de la compétitivité du ministère de l’Économie en octobre 2016.)
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