Zoubkoff. Le roman (vrai) d’un séducteur oublié

de Tsé Katchour, Paris, L’Harmattan (Romans historiques. Série XXe siècle), 2021, 224 p., 21 €.

Au contraire de la France, le Grand-Duché produit peu de diplo­mates écrivains. Côté francophone : Christian Calmes avec son recueil poétique Geôles sanglantes (L, 1948), Albert Borschette avec son roman de guerre Continuez à mourir (B, 1959) et Tom Reisen avec son roman Miroir ambulant ou L’Homme qui avait peur d’être oublié (L, 2020). Voici que l’ambassadeur Conrad Bruch, alias Tsé Katchour emprunté à sa famille maternelle d’origine russe blanche, publie un récit sur un de ces Russes royalistes, Alexandre Zoubkoff (vers 1900-1936) qui épousera en 1927 Victoria de Prusse (1866-1929), sœur de l’empereur Guillaume II, veuve d’un premier mariage qui lui laissa le titre de princesse de Schaumbourg-Lippe.

Plusieurs genres littéraires sont cochés : roman, biographie romancée, chronique (importante bibliographie), pour évoquer le couple improbable formé par Vicky, épouse morganatique puis féministe, et son cadet de de trente-quatre ans Sacha, macho invétéré, imposteur crapuleux et sympathique malgré tout. Sacha passe quelque temps à Luxembourg puis s’installe au Parc-Hôtel Château de Mertert (1928), où Vicky, venue de Bonn, et lui passeront leur lune « de fiel », le marié jouant au gigolo dépensant l’argent de la dot. Russe apatride, il s’invente sa propre stature dans ses mémoires intitulés Mein Leben und Lieben (1928) pu­bliés suite à son expulsion d’Allemagne. Portrait parallèle de la noble corsetée par les contraintes et les hypocrisies de la Cour prussienne, coupée des réalités du monde mais découvrant la liberté à travers la déchéance, et du jongleur sans scrupules qui se frotte à plus fort que lui. L’auteur dénonce la morgue nobiliaire de l’empereur Hohenzollern parfaitement immoral comme chef d’État responsable de millions de morts. Même cocaïnomane et accro au porno, Sacha a l’air d’un enfant de chœur. Batty Weber, le Luxo par excellence, mesuré, bon enfant, s’en tire avec une pirouette : tout le contraire du Slave flambeur, excessif, cultivant le risque à tout-va, s’excitant avec des utopies donquichottesques. Malgré des prétentions snobinardes, il a des goûts simples, se frotte au petit peuple sans peur du contact, garde son quant-à-soi et recherche le panache. Cet aventurier ne renonce jamais à être loup solitaire, quitte à en crever pour avoir fait ch… ceux de la Haute. Il est décédé à Luxembourg, son épouse à Bonn, ayant demandé le divorce, ruinée.

 

Charly Gaul

d’Henri Bressler, en allemand, Esch-sur-Alzette, Schortgen (Lëtzebuerger Biografien), 2021, 147 p., 19 €.

Pour l’avoir côtoyé pendant douze ans au ministère des Sports à Luxembourg-Pulvermühle, où le champion retraité fut employé après sa fin de carrière chaotique, Henri Bressler, instituteur de formation, puis chargé du service des archives sportives, est particulièrement bien placé comme biographe de Charly Gaul (1932-2005). Le bilan sportif de ce champion décalé est époustouflant, comparé à celui de nos représentants d’aujourd’hui : victoires finales au Giro en 1956 et en 1959, deux podiums comme troisième et onze victoires d’étapes ; une victoire au Tour de France en 1958, deux places de troisième sur le podium et dix étapes, mais seulement deux jours en jaune, lors de la dernière étape en 1958 et lors de la première en 1959. Sa spécialité : remporter le bouquet du jour dans des circonstances météorologiques dantesques, dans les longues ascensions et dans les contre-la-montre. Élu meilleur sportif luxembourgeois du XXe siècle par la presse sportive en 1999. Pourtant, ses compatriotes lui en demandaient toujours plus, manifestant leur mécontentement de façon parfois outrageante, ce que son caractère entier n’acceptait guère. Peu doué pour la communication, hypersensible malgré son air détaché, il avait tendance à se retirer dans sa bulle, à l’image de ses années de galère suite à sa retraite de sportif professionnel. D’un autre côté, Charly avait le sens de la famille, trouvant un équilibre dans son remariage avec Josée Milbert et la naissance de leur fille Fabienne. Il continuait de suivre le cyclisme, admirant les grimpeurs de sa trempe comme Marco Pantani, lui aussi génial et isolé. Voici le portrait d’un homme exceptionnel en course et emprunté en société, mais qui, après un passage à vide, a su remonter la pente dans la vie, revisitant sa propre carrière en classant ses propres archives.

Dans le prolongement, on lira L’Échappée (Bordeaux, L’Escampette, 2014, 121 p., 11 €), un roman de Lionel Bourg entrecroisant la carrière en dents de scie de Charly et son propre vécu à partir d’un milieu peu aisé. Pour les deux, un seul moyen de se tirer d’affaire : la fuite en avant, solitaire.

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