goosch.lu – un journal Internet de gauche…

...qui n’existe plus

goosch.lu occupe une place à part dans l’histoire de la presse luxembourgeoise. Apparu en 2003, il s’est maintenu pendant huit années et a produit plus de 300 numéros et 5000 articles. Une cinquantaine de personnes ont collaboré à l’entreprise, dont la moitié de façon plus ou moins continue et tous à titre bénévole.

Le titre du journal indiquait l’intention qui consistait à produire un journal internet de gauche. L’orthographie du mot «gauche» doit être vu comme clin d’œil aux lecteurs, une manière d’ironiser sur le caractère partisan de l’entreprise et son origine luxembourgeoise. Produit bilingue, trilingue, multiculturel, provisoire et expérimental, en vadrouille à travers le monde et s’élevant dans le ciel d’Internet, afin d’échapper à la pesanteur des idées reçues et des opinions imposées.

goosch.lu n’était pas un journal alternatif s’installant dans les niches alternatives, ni un journal objectif, indépendant, neutre, au-dessus de la mêlée, distinguant entre l’information et le commentaire. Il assumait son parti pris, son engagement, il savait que tout texte avait un contexte et était composé de mots, qu’il fallait faire éclater la coquille des mots et sortir des pièges de la pensée unique diffusée par le système médiatique. Chaque article commençait par une question, un doute, un paradoxe et se terminait par une pointe ou un ricanement. Il s’agissait de réveiller, de secouer, d’ouvrir les yeux, de rendre conscient.

Le journal ne cachait pas son origine. «Le nouveau journal navigue sous le drapeau de la cerise. Il doit sa naissance au mouvement politique ‹déi Lénk/la Gauche›, mais il n’est pas l’organe d’un parti. Il est rédigé sans directives et sans concertation préalable.» Depuis la scission du parti communiste, ‹déi Lénk› n’avait plus de journal et après les élections de juin 2004, plus de député. La presse ignorait les interventions du parti, celles-ci se retrouvaient sans relais, devenaient inaudibles. Il fallait alors trouver un moyen pour conserver d’un côté le contact entre ceux qui souhaitaient continuer et d’un autre côté garder les fenêtres ouvertes sur le monde. C’était la seule façon d’échapper au monologue et de ne pas virer à la secte. Le Luxembourg bénéficie depuis les années soixante-dix d’une aide à la presse généreuse qui a pour but d’empêcher les monopoles de presse et de garantir le pluralisme des médias. Cependant, la loi sur la promotion de la presse est basée sur les situations acquises et le nombre de pages rédactionnelles. Sous l’apparence de la diversité, elle favorise les routines et le journalisme reproductif et consolide les chasses gardées. Elle ne modifie en rien les rapports de force, mais compartimente le paysage médiatique en réservant à chacun son fief. goosch.lu visait l’exact contraire:la mobilité informelle, la gratuité et la rapidité. Aucun article ne devait dépasser 2300 signes, une demi-page d’un journal de format A4, une page sur l’écran de l’ordinateur. Il était important de voir l’ensemble de l’article sans scroller. Un numéro comptait huit pages et 16 articles.

Le journal était accessible en ligne le vendredi soir. L’idée était de faire une sorte de bilan de la semaine, sur ce qu’il fallait retenir de l’actualité, dire ce qui n’avait pas été dit, mettre les points sur les i, lire entre les lignes. Le lundi matin paraissait l’édition papier, gratuite pour les membres, payante pour les abonnés. En février 2005, la trésorière estima le coût total de l’opération à 1000 euros par mois, consacrés essentiellement à l’envoi de 400 exemplaires sur papier et couverts par un appel aux dons.

Comme l’intérêt principal du journal était d’être en prise avec l’actualité, on fut obligé d’avancer l’ensemble de sa fabrication de deux jours. La version papier arrivait ainsi par la poste le vendredi et pouvait tranquillement être lue pendant le weekend. L’édition internet apparaissait sur l’écran le mercredi à 18 heures.

Une équipe assez réduite se chargeait de la réalisation du journal:Fred Heyard, employé de ‹déi Lénk› jusqu’aux élections fatales de juin 2004, et Jean-Laurent Redondo, le pionnier du parti en matière informatique, étaient responsable de l’infrastructure électronique. Ils avaient ratissé l’internet à la recherche d’adresses d’internautes gratifiés à leur grande surprise de ce journal assez inhabituel. Ceux qui ne désiraient pas le journal étaient priés de le faire savoir. Certains n’hésitèrent pas à renvoyer des messages d’insultes et des menaces de poursuites juridiques, la majorité resta muette, soit par intérêt soit par inertie. Le journal ne cessa de faire appel aux lecteurs pour recevoir de nouvelles adresses et fit face à plusieurs pannes dues aux serveurs surchargés. C’était le prix à payer si on voulait élargir le public au-delà du cercle des membres et sympathisants habituels. L’édition papier était assemblée, étiquetée et acheminée à la poste par Fred Heyar et Jean Paulus.

Un coordinateur était nécessaire pour suppléer à l’absence d’un comité de rédaction. Ses tâches qui consistaient à suivre l’actualité, contacter les collaborateurs, compléter le contenu, corriger et réaliser la mise en page, étaient assumées à tour de rôle par Henri Wehenkel, enseignant retraité, Romain Zacharias, cheminot, Guy Kerg, instituteur, et Frank Jost, fonctionnaire communal. Pour être à la hauteur de ce mouvement goosch.lu devait se diversifier, se réinventer sans cesse.

Guy W. Stoos qui s’occupait de la mise en page, synthétisait aussi sous forme de caricature le contenu des articles, désignait la cible, appelait à l’action. Bientôt, la caricature apparût en première page, avant ou après le sommaire. La rubrique latérale contenait l’agenda des manifestations des différentes associations. Aux articles de 2300 signes s’ajoutaient les nouvelles brèves de six lignes ou 500 signes, permettant d’être encore plus rapide, plus souple et plus complet.

À partir du N° 45 apparurent des articles signés, le journal devint œuvre collective. Il fallut formaliser les règles concernant la forme des articles, tout en laissant le contenu à la libre disposition de chaque auteur. L’auteur était appelé à observer les quatre C:court, concret, clair, critique. Pas d’introduction. Un fait, une idée, un point de vue. Pas de grandes théories, pas de polémique stérile, mais juste l’analyse des faits. Pas de vocabulaire spécialisé, pas de langue de bois, des mots de tous les jours. Aller à contre-courant de l’opinion généralement admise. Laisser de côté les professions de foi, les textes de résolutions, même celles de ‹déi Lénk›. C’étaient les lecteurs nouveaux qui comptaient, l’effet multiplicateur d’Internet, l’effet boule de neige.

Le succès de l’entreprise se mesura à plusieurs indices. D’abord par le nombre des collaborateurs, qui apportaient tous leur propre façon de voir et de parler, leur univers et leurs sources d’information. Il s’agissait de militants, de membres du lieu associatif, mais aussi d’autres personnes rencontrées au hasard sur Internet et pris au jeu, entraînés. goosch.lu permettait d’agglomérer les forces vives des mouvements sociaux, de prolonger leur rayon d’action, de les faire converger.

Internet ne connaît pas de limites. Il permet de franchir les frontières physiques et sociales. L’interactivité fut l’un des aspects les plus féconds de l’entreprise. Les échos étaient nombreux, ils parvenaient parfois de pays géographiquement éloignés, de Luxembourgeois vivant à l’étranger, mais aussi d’étrangers vivant à Luxembourg, d’étudiants, d’universitaires, de syndicalistes, de frontaliers, de Genève, Bruxelles, Sarrebruck, Thionville, Ankara, Varsovie. Cette expansion imposa un bilinguisme strict:50% d’articles en allemand, 50% d’articles en français, de façon que chacun y trouve son compte, les Luxembourgeois servant d’intermédiaires.

Tout en boudant les sources d’information officielles, les communiqués et les conférences de presse, goosch.lu devait arriver à puiser aux sources d’information alternatives au niveau des entreprises et des différents secteurs d’activité. Il fallait trouver des thèmes en commun, se rendre utile, entrer en dialogue, créer une réciprocité. Pour diversifier et stimuler l’intérêt, l’interview en trois questions-réponses et les jeux questions-réponses étaient utiles. Cela permettait d’associer à l’entreprise des syndicalistes comme Manuel Bento, Alex Teotonio ou les animateurs de «Jugend fir Fridden a Gerechtegkeet» ou «Infoladen Fridden». L’idée d’une coordination internationale du journalisme alternatif sur Internet prenait forme. Échanger les expériences, les secrets de fabrication, mais aussi les sources d’information inédites afin de rester toujours en avance sur les événements, de pouvoir prédire et influencer le cours des choses.

Les premiers signes de lassitude apparurent. C’était dû, en premier lieu, aux collaborateurs. Tout reposait sur le bénévolat. Il n’y avait ni infrastructure, ni structure. Il fallait toujours improviser, renouveler. Pour chacun, les périodes actives étaient suivies de périodes inactives. La discipline indispensable quant à la forme se relâchait peu à peu, on remplissait avec des communiqués, répétait ce qu’avait déjà dit ‹déi Lénk›.

Le contexte international était aussi en transformation. Les années goosch.lu furent les années Bush, de guerre permanente, de guerre préventive, de guerre des civilisations, de guerre contre le terrorisme, de réhabilitation de la torture. Ce furent aussi les campagnes contre la directive Bolkestein, la Constitution européenne, le néo-libéralisme, les privatisations, la dérégulation. Ce fut le temps des expulsions et des extraditions, des rassemblements pour la paix en Palestine et des grandes manifestations contre la guerre en Iraq.  Après le départ de Bush et de Frieden, les contours s’estompèrent. La crise imposa dans l’urgence le diktat des banques et des politiques d’austérité. ‹déi Lénk› retrouva une représentation parlementaire et absorba beaucoup d’énergies vacantes. Tout devenait plus professionnel, la caméra accompagnait les démarches. De nouveaux espaces de débat naquirent sur Internet.

Il n’est peut-être pas inutile de relire goosch.lu aujourd’hui, indépendamment de son ancrage dans la sensibilité politique qui fut la sienne, et de se rappeler qu’un mouvement d’émancipation ne peut se développer sans une presse qui garantit le bouillonnement d’idées et l’articulation du débat. Internet fut pour goosch.lu un recours et il est sans doute l’avenir de la presse. goosch.lu apparut à un tournant de l’histoire, l’Europe commençait son déclin, la démocratie représentative touchait à ses limites, dépassée par les mouvements plébiscitaires. Aujourd’hui, de nouveaux mouvements apparaissent à la base, constituant des relations horizontales, établies en réseaux.

Il devient malheureusement difficile de retrouver les traces de l’existence volatile de cet organe de presse. Il ne se trouve pas dans les catalogues de la Bibliothèque nationale ni sur le site de www.goosch.lu. Nous avons pour cette raison réuni dans une annexe documentaire quelques éléments d’information tirées d’une collection incomplète dans les encadrés sur les pages 41 et 42..

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