Instruments participatifs — une alternative pour le débat démocratique ?

Interview avec Raphaël Kies, chercheur à l’Université du Luxembourg

Pourquoi de nouveaux dispositifs de participation sont-ils devenus nécessaires et quelles sont les attentes vis-à-vis de tels dispositifs ?

Raphaël Kies: On peut dire que les nouveaux dispositifs participatifs — comme par exemple les réseaux sociaux, les consultations citoyennes, les forums en ligne, les pétitions en ligne, ou encore le budget participatif — tentent de répondre à un triple phénomène : 1) une population de plus en plus fragmenteé et électoralement volatile ; 2) des individus mieux informés sur les enjeux les concernant ; 3) une exigence accrue des individus à pouvoir participer directement à l’élaboration de questions qui les intèressent.

Ces trois phénomènes qui étaient latents se sont fortement renforcés avec l’apparition d’internet qui a ouvert des possibilités extraordinaires d’information et de participation « personnalisées ». Désormais le citoyen ne se contente plus d’être seul destinataire de décisions politiques le concernant mais demande d’être impliqué en amont, c’est-à-dire dans l’élaboration de celles-ci. Les partis politiques ainsi que les structures de la représentation traditionnelles (en particulier les syndicats et les corporations) sont conscients de ne plus pouvoir répondre à elles seules à cette nouvelle exigence démocratique et tentent, souvent maladroitement, d’y apporter des réponses appropriées.

Ces nouveaux dispositifs sont-ils efficaces et leur efficacité varie-t-elle en fonction des instruments ?

R.K. : Je dirais que du point de vue de l’efficacité, le problème n’est pas tant l’instrument participatif lui-même que celui de choisir le bon instrument suivant le contexte et les objectifs que l’on se fixe. Un autre problème récurrent concerne leur mise en place et en particulier les moyens que l’on se donne pour atteindre les objectifs participatifs. Trop souvent, on constate que la montagne accouche d’une souris. Le danger, dans ce cas, est qu’une mauvaise politique participative risque d’alimenter encore plus le sentiment antipolitique.

On retrouve ce risque évidemment aussi au Luxembourg. Un exemple récent est la campagne autour du référendum. Initialement, il aurait dû‚ s’agir d’une campagne participative et discursive notamment à travers l’organisation de forums citoyens qui auraient dû‚ contribuer à une meilleure information des enjeux électoraux et des échanges constructifs d’arguments. Faute de moyens, de temps et d’un concept mûrement réfléchi, on a vu que c’est l’opposé qui est arrivé. Il s’est agi d’une campagne improvisée, passionnelle et dominée par les partis politiques traditionnels et des groupes d’intérêt ad hoc qui n’ont fait qu’attiser un débat déjà brûlant. Mais cela ne doit pas faire oublier que certains projets initiés par le Parlement ont rencontré un franc succès populaire.

Le plus visible, que d’ailleurs je suis en train d’étudier, est le cas des systèmes de pétition en ligne que le Parlement luxembourgeois a introduit l’année dernière. Grace à celui-ci, les pétitions qui avaient fortement diminué — suite en partie à l’apparition du médiateur — se sont multipliées comme jamais auparavant et ont eu une visibilité médiatique importante. La pétition en ligne a désormais été adoptée comme l’un des principaux moyens d’expression des souhaits des citoyens.

Peut-on considérer que les citoyens «ordinaires» ont assez d’expertise pour identifier les enjeux des politiques publiques ?

R.K. :Pensez-vous que les responsables politiques, qui sont à la base aussi des «citoyens ordinaires», ont suffisamment d’expertise pour voter sur toutes les lois ? Bien sûr que non! Les politiciens ont généralement un champ d’expertise spécifique et se basent sur une expertise interne ou externe pour faire les autres choix politiques. Ce qui compte est d’avoir la bonne information et d’être confronté aux différents points de vue afin de prendre une décision qui soit en adéquation avec ses convictions. Il en va de même pour les citoyens dits « ordinaires » : si ces derniers sont mis en condition pouvoir s’informer et de débattre de questions spécifiques, ils sont tout aussi aptes que les politiciens à pouvoir se prononcer sur des enjeux poli- tiques. Les multiples consultations que j’ai traitées ces dernières années ne font que confirmer cela.

La principale différence entre les deux catégories est que dans le cas des politiciens la participation politique est un métier, c’est-à-dire que leur principal travail consiste à devoir définir l’agenda politique et à se positionner par rapport à celui-ci, tandis que pour les citoyens il s’agit d’un choix personnel qui est plus ou moins important suivant l’intérêt que ce dernier porte pour la chose publique.

Quel est le rôle des représentants politiques dans le cadre de ces dispositifs ?

R.K. : Je pense que leur rôle est tout à fait central car, dans nos sociétés modernes, la démocratie participative ne peut fonctionner que dans le contexte de la démocratie représentative. Il est par conséquent indispensable que la classe politique reconnaisse l’utilité des dispositifs participatifs et s’y implique personnellement.

Il est important d’insister sur ce dernier point. Les différents exemples que j’ai analysés montrent en effet que si les responsables se désintéressent d’un dispositif participatif, c’est-à-dire qu’ils ne s’y impliquent pas et n’en font pas référence dans d’autres arènes publiques, celui-ci est voué à l’échec avec la conséquence que l’engagement des citoyens aura été vain. L’Union européenne abonde de projets participatifs rentrant dans cette catégorie. Le cas de la convention citoyenne organisée dans le cadre de la réforme constitutionnelle en Islande en est un autre exemple.

À l’inverse, si les responsables politiques sont impliqués dans les projets participatifs, on rencontre le plus souvent un effet très positif aussi bien auprès des citoyens car ils sentent que leur opinion est prise en considération, qu’auprès des responsables politiques eux-mêmes car ils se rendent compte que les opinions exprimées dans ces arènes sont sérieuses et utiles. Le cas de la convention citoyenne réalisée dans le cadre de la réforme constitutionnelle en Irlande, qui était composée de deux tiers de citoyens et d’un tiers de responsables politiques, est un exemple intéressant oû€ l’échange entre citoyens et politiciens était particulièrement fructueux.

Quels sont les risques d’une simple mise en scène dans le cadre des projets participatifs ?

R.K. : Il y a en effet le risque toujours présent que les débats participatifs ne soient organisés qu’à des fins de marketing. L’objectif dans ce cas étant simplement de montrer publiquement que l’on fait quelque chose pour répondre à la demande croissante de plus de démocratie participative, alors que, dans les faits, on ne prend pas au sérieux les opinions exprimées par les citoyens. C’est le cas de l’Union européenne, qui a financé de multiples projets soi-disant « participatifs » qui se sont révélés n’être que des actions promotionnelles. C’est le cas aussi du budget participatif de la Ville de Luxembourg, qui bien que répété à deux reprises, n’a eu aucun impact politique car il n’était que consultatif. Je pense le plus grand mal de cette utilisation promotionnelle des instruments par- ticipatifs, car elle décrédibilise les vertus de la démocratie participative et salit en- core plus l’image que les citoyens se font de la politique, alors que ça devrait être le contraire.

Dans ce cas, il est préférable de ne rien faire !

Cet entretien a été réalisé par mail le 28 septembre 2015 (KN/JS).

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