Investir dans le spatial: utopie ou réalité?

To boldy go where no man has gone before... and to make money!

Les amateurs de la série StarTrek reconnaissent aisément le premier bout de cette phrase; aujourd’hui (et pendant longtemps encore) l’exploration spatiale gardera ce côté exploration, aventure et découverte de nouveaux mondes, tout comme l’ont fait les grands explorateurs du 15e et 16e siècles. Si, depuis le début de l’exploration spatiale et des premiers vols habités, cette aventure formidable était le domaine des grandes agences gouvernementales, aujourd’hui de plus en plus de sociétés privées se lancent dans le domaine spatial. Déjà, le ravitaillement de la station spatiale internationale (ISS), qui est occupée en permanence en orbite terrestre depuis bientôt 20 ans, se fait en partie par des cargos de sociétés privées, que la NASA paie pour y amener du fret. Dès la fin de l’année prochaine, ce sera au tour des astronautes de « prendre un taxi privé » pour aller rejoindre l’ISS et y remplir leur mission.

Et à partir de là, la 2ème partie de cette phrase prend tout son sens car «Comment gagner de l’argent dans les activités spatiales»? Si le secteur privé s’y engage, c’est qu’il doit y avoir de l’argent à gagner à long terme ! Dans cet article nous allons analyser un certain nombre de domaines qui s’ouvrent aujourd’hui au secteur privé dans l’espace. Le mot «aujourd’hui» ne doit néanmoins pas être considéré comme «maintenant» mais s’étendra sur plusieurs décennies. Le retour sur investissement ne se fait pas en 5 ans!

Space mining

Pour coller à un sujet d’actualité au Luxembourg, il faut bien entendu mentionner le « space mining » qui suscite aujourd’hui un grand intérêt ; ce sujet étant traité ailleurs dans ce numéro, nous n’allons pas nous y attarder. A travers sa nouvelle législation, le Luxembourg joue un rôle de précurseur et crée les conditions cadres permettant l’installation de sociétés visant ces objectifs.

Abordons maintenant ces différents domaines qui se font ou se feront sur la base d’approches commerciales. La liste n’est pas exhaustive, mais donne un bon aperçu de ce qui se fait déjà ou pourrait se faire.

Tourisme spatial (même si le terme n’est pas apprécié par celles et ceux qui y ont goûté déjà)

Dès l’année prochaine, plusieurs sociétés privées devraient proposer des vols suborbitaux qui permettront à deux jusqu’à six passagers d’atteindre une altitude de 100 km en vol balistique, d’être plusieurs minutes en apesanteur et de revenir sur terre, soit en vol plané, soit en parachute. Les projets les plus avancés sont le VSS Unity de Virgin Galactic (www.virgingalactic.com) et le New Shepard de Blue Origin (www.blueorigin.com).

Virgin Galactic a conçu un avion-fusée, amené par un avion-porteur à une quinzaine de kilomètres. Après largage, le moteur-fusée se met en route, amène l’avion à haute altitude; à l’arrêt du moteur, l’avion continue sur sa lancée, dépasse les 100 km d’altitude et revient se poser sur une piste en planant. Durée totale du vol: environ deux heures pour quelques minutes d’apesanteur.

Du côté de Blue Origin, c’est un décollage vertical avec une capsule au sommet de la fusée New Shepard; après largage, la capsule continue aussi sur sa lancée, dépasse les 100 km et revient se poser sur terre sous trois énormes parachutes. La fusée revient aussi se poser un peu plus loin, freinée par ses moteurs.

Coût du ticket : entre 150 000 et 200 000 EUR, mais des milliers de personnes sont déjà inscrites.

La même technologie peut aussi servir à transporter des personnes de n’importe quel endroit de la terre (en y construisant un spatioport) vers n’importe quel autre spatioport en moins d’une heure: par exemple Luxembourg – Sydney en 50 minutes !

Sept personnes très fortunées ont aussi payé entre 20 et 40 Mio USD pour un vol d’une bonne semaine en Soyouz russe, dont certains vers l’ISS, à travers la société privée Spaceadventures (www.spaceadventures.com). Cette société a d’autres projets comme des sorties extra-véhiculaires (marcher dans l’espace) et des vols vers la lune, voire sur la lune.

On peut aussi citer encore Robert Bigelow (www.bigelowaerospace.com ) qui envisage de créer des hôtels et laboratoires en orbite terrestre, voire sur la lune, dans des modules gonflables. Les premiers modules ont été testés avec succès dans l’espace et accouplés à l’ISS.

Lanceurs commerciaux

Depuis de longues années, des sociétés privées amènent des charges utiles gouvernementales dans l’espace, mais la majorité d’entre elles étaient des émanations étatiques, par exemple Arianespace en Europe ou United Launch Alliance aux Etats-Unis.

Depuis une dizaine d’années, de nouveaux arrivants occupent le terrain, la plus connue étant ici la société SpaceX d’Elon Musk (connu aussi pour les voitures Tesla). Avec le Falcon 9, premier lanceur orbital capable de faire revenir le premier étage sur terre et de le ré-utiliser pour d’autres vols (tous les autres lanceurs sont à usage unique), SpaceX est aujourd’hui en train de révolutionner l’accès à l’espace en réduisant drastiquement les coûts (www.spacex.com). Cette société n’amène aujourd’hui en orbite non seulement des satellites de télécommunication (de SES par exemple) mais aussi des charges militaires et sondes spatiales de la NASA et ravitaille régulièrement l’ISS en équipement avec sa capsule Dragon. Dès l’année prochaine, la Crew Dragon va devenir le premier taxi de l’espace en amenant les astronautes de la NASA et de l’agence spatiale européenne en orbite. Deux autres sociétés privées, Orbital ATK (www.orbitalatk.com) et Sierra Nevada (www.sncspace.com), ont aujourd’hui des contrats avec la NASA pour amener du cargo à l’ISS.

De nouveaux venus sur le marché se concentrent aussi sur le lancement de satellites de plus en plus petits (nano-sats, cube-sats…). On peut recenser plus de 15 sociétés qui visent le marché des satellites de moins de 100 kg et qui sont dans des états divers de développement ou viennent de réussir leurs premiers lancements.

Constellations de satellites

Ceci est le domaine le plus ancien dans lequel des sociétés privées sont actives dans l’espace. Le Luxembourg est bien placé ici, avec SES (www.ses.com) qui figure aujourd’hui parmi les plus grands opérateurs de constellations satellite pour les télécommunications, d’abord avec les satellites Astra en orbite géostationnaire et aujourd’hui aussi avec O3b en orbite moyenne. SES a contribué à développer de nombreuses nouvelles technologies dans ce domaine et a été le premier opérateur à oser lancer un satellite sur une fusée Falcon 9, qui avait déjà volé auparavant. Intelsat (www.intelsat.com), premier opérateur historique de satellites de télécommunications (structure intergouvernementale créée par les PTT du monde dans les années 1960 déjà, et privatisée depuis le début des années 2 000) a aujourd’hui aussi son siège à Luxembourg.

De nombreuses autres sociétés de satellites pour les télécommunications (Eutelsat, Arabsat, Telenor, Thuraya,…) existent à travers le monde pour les communications, mais aussi pour la cartographie par exemple DigitalGlobe (www.digitalglobe.com), la surveillance et autres. Ces dernières années de nombreuses nouvelles entreprises ont été créées pour offrir des services de télécommunications spatiales avec de nouvelles technologies comme par exemple OneWeb (www.oneweb.world) et ainsi réduire les coûts d’accès à internet de manière drastique.

Grâce à la miniaturisation, il devient aujourd’hui possible de fournir des services de communication avec des «cubesat», format de poche de satellites ne mesurant que 10 cm³ pour une masse de 1 kg. La société Astrocast (www.astrocast.net) va commencer l’année prochaine le déploiement d’une constellation de 64 cubesats à une orbite de 500 km environ pour connecter des millions d’objets à travers le monde dans l’environnement  «Internet-of-things/IoT» et «machine-to-machine-communication/M2M».

Les nettoyeurs de l’espace

Mais avec tous ces satellites et lanceurs, l’espace autour de la terre devient de plus en plus encombré et le danger est aujourd’hui très réel que des satellites actifs soient touchés par des débris, voire d’anciens satellites hors service. Ceci pose un énorme problème et l’ISS doit de temps en temps effectuer des manoeuvres d’évitement afin de garantir la sécurité des astronautes à bord. A des vitesses de 7.8 km/s (environ 28 000 km/h) même un gros boulon perdu a assez d’énergie pour percer l’enveloppe de l’ISS. Aujourd’hui, plus de 500 000 morceaux de déchets spatiaux plus grands qu’une bille (dont 20 000 plus grands qu’un ballon) sont suivis en permanence par radar.

Même si tous les lanceurs et opérateurs de satellites sont sensés aujourd’hui respecter certaines règles pour minimiser les débris, il devient nécessaire d’aller nettoyer l’espace et de ramener des satellites hors service sur la terre. Beaucoup de projets existent, sans qu’aucune technologie n’ait encore été validée ou vraiment testée. Mais le marché potentiel est énorme et de nombreux acteurs sont sur les rangs, soit pour aller réparer ou ravitailler en carburant de vieux satellites, soit pour «ramasser les déchets». CleanSpaceOne (https://espace.epfl.ch/CleanSpaceOne_1) est un de ces projets prometteurs.

Bases spatiales, lunaires et martiennes

La prochaine grande destination spatiale de l’humanité est la planète Mars. De nombreux scénarios pour y envoyer des femmes et des hommes ont été élaborés depuis les années 1950, avec un objectif commun: y établir un jour des bases permanentes. Que ce soit en établissant d’abord des bases sur la Lune, en orbite lunaire ou sur l’une des lunes de Mars (Phobos et Deimos), soit en y allant directement. Les agences spatiales y travaillent, mais de plus en plus de sociétés privées s’y intéressent en développant des scénarios de valorisation commerciale de certaines étapes de ces expéditions. Quelques exemples:

  • Établissement de dépôts de carburant en orbite terrienne, lunaire ou martienne ou directement au sol: en somme créer des «stations service» spatiales ou planétaires auxquelles les futurs vaisseaux de transport de fret ou de personnes pourront se ravitailler en carburant, oxygène, eau, et autres consommables.
  • Offrir des services de transport par navettes qui circuleront en permanence entre l’orbite terrestre et l’orbite martienne ou entre les orbites et les planètes.
  • Gérer des habitats (structures hôtelières) sur Mars ou la Lune.
  • Services de transport sur Mars ou sur la Lune.
    Tout cela ressemble encore un peu à de la science fiction, mais plusieurs sociétés y travaillent et y investissent très sérieusement aujourd’hui déjà. Citons quelques exemples parmi les plus avancés, avec les premiers lancements dès la prochaine
    décennie:
  • Encore une fois SpaceX et sa fusée BFR (anciennement Mars Colonial Transporter): un énorme vaisseau transportant jusqu’à 100 futurs «martiens» vers la planète rouge pour y établir des bases, y travailler quelques années et ensuite revenir, voire y rester.
  • L’objectif pour les 20 prochaines années est d’offrir un voyage vers Mars pour y commencer une nouvelle vie pour le prix d’une maison moyenne américaine de quelques centaines de milliers de dollars.
  • La société Bigelow, déjà mentionnée, est sur les rangs pour y con-struire les habitations, ateliers, fabri-
    ques et autres bureaux nécessaires.

Un autre projet, «Mars One» (www.mars-one.com), a commencé à recruter et entrainer ses futurs colons martiens.

Quelques autres projets

Mentionnons encore quelques autres projets qui tous développent des activités commerciales spatiales :

  • Installation de surfaces énormes de panneaux solaires (plusieurs km2) en orbite (la puissance du soleil y est presque 50% plus élevée que sur la surface de la terre (1400 W/m2 ou lieu de 1000 W/m2) pour produire de l’électricité et l’envoyer par micro-ondes sur la terre: une réponse possible pour nous assurer un approvisionnement en énergie durable et propre et nous affranchir des carburants fossiles.
  • Création et gestion de laboratoires scientifiques en orbite ou sur des planètes, par exemple la société Nanoracks (www.nanoracks.com); là il ne s’agit pas de science fiction, mais d’une réalité tangible aujourd’hui.
  • On peut aussi citer les nombreuses entreprises commerciales qui, aujourd’hui déjà, construisent des satellites, fabriquent les équipements électroniques des satellites ou fournissent des services de télécommunication par satellite dans les endroits qui ne sont pas pourvus de solutions terrestres (par la fibre optique). Un terrain très fertile pour des starts-up et jeunes entreprises qui développent des idées novatrices, à l’instar de Swissto12 (www.swissto12.ch) qui réalise certains équipements pour satellites avec un poids 10 fois inférieur à des éléments standards.
  • D’ici quelques années, des drônes qui voleront en permanence dans la stratosphère entre 20 et 30 km d’altitude fourniront des services de télécommunication (remplacement de tours GSM, internet dans certaines régions reculées et peu peuplées), d’imagerie et de surveillance ; SolarXplorer (www.solarstratos.com) développe certaines technologies dans ce but (tout en réalisant une aventure humaine extra-ordinaire), mais des sociétés comme Google, Facebook et Airbus s’intéressent aussi très sérieusement à ces HAPS (High Altitude Pseudo-Satellites).
  • Et, enfin, encore un peu de science-fiction: l’ascenseur spatial qui permettra un jour de relier et de transporter des wagons de personnes ou de marchandises entre un point à l’équateur de la Terre ou une autre planète jusqu’en orbite géostationnaire le long d’un câble attaché à la Terre et à un contrepoids plus loin que cette orbite à 36 000 km de distance (pour la Terre). Dans un avenir pas trop lointain, les nano-structures et autres nouvelles technologies permettront la réalisation de ce genre de câble et permettront de réduire de manière massive les coûts de l’accès à l’espace.

Terminons en remarquant qu’aujourd’hui déjà, le domaine spatial crée des millions d’emplois et permet à de nombreux projets commerciaux de se développer. Les années à venir ne vont qu’accélérer ce mouvement, mais l’espace reste un environnement à risque et les investisseurs savent bien que le retour sur investissement n’est pas rapide mais potentiellement énorme à long terme.

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