La conception : clé d’une économie circulaire dans la construction
Au rythme actuel, la consommation mondiale de matières telles que la biomasse, les combustibles fossiles, les métaux et les minéraux devrait doubler au cours des quarante prochaines années, tandis que la production annuelle de déchets devrait augmenter de 70 % d’ici à 20501. En effet, l’approche économique pratiquée est toujours essentiellement linéaire : extraire, fabriquer, consommer, jeter. Dans cette économie linéaire, on conçoit les produits sans vraiment en intégrer la gestion en fin d’usage. L’objectif y est simple, la logique y est claire : réduire les coûts de fabrication et vendre des produits (comme autant de futurs déchets) à des consommateurs.
Dans ce contexte, l’économie circulaire se révèle être aujourd’hui un concept incontournable, placé au cœur de toutes les stratégies d’avenir de l’Union européenne et de ses Etats membres, définie comme une économie restauratrice dans laquelle les produits et les matières conservent leur valeur le plus longtemps possible et les ressources qui les composent étant réutilisées pour un nouveau cycle d’usage. Elle ambitionne d’en finir avec le schéma traditionnel de production linéaire, en lui substituant une logique de « boucles » vertueuses.
Attention toutefois aux dérives et faux-semblants. L’économie linéaire qui tourne en rond n’est pas de l’économie circulaire. En ce sens, penser « circulaire », ce n’est pas conserver la logique linéaire actuelle en y ajoutant simplement une étape de tri et de valorisation des déchets en fin de vie pour en récupérer une infime fraction, souvent de qualité inférieure. Bien que cette approche ait permis de réduire la pression sur l’exploitation des ressources, force est de constater qu’elle est aujourd’hui inefficace. Il devient impératif de passer d’une économie de gestion et de traitement des déchets à une économie de la prévention et de l’évitement, dans laquelle la notion de déchet n’existe plus.
La nouvelle stratégie « zéro déchet »
A cet égard, le Luxembourg s’est déjà doté en 2018 d’un Plan national de gestion des déchets et des ressources (PNGDR). Ce dernier décrit les stratégies et mesures pour réduire de manière substantielle les quantités de déchets produites au niveau national et fournit une vision et un cadre de travail plus large pour une gestion responsable et durable de nos ressources à l’avenir, dans le but d’éliminer la notion de déchet elle-même.
Aujourd’hui, le gouvernement continue à renforcer l’ambition de positionner le Luxembourg parmi les leaders internationaux en matière de développement durable, en intégrant sept principes de l’économie circulaire dans sa stratégie nationale. Pour cela, il s’est doté, en 2020, d’une stratégie intitulée « Null Offall Lëtzebuerg2 ». Avec celle-ci, le pays franchit une nouvelle étape dans sa politique nationale de développement durable et tend à accélérer la transition de la gestion des déchets vers une gestion des ressources.
Le diamant des ressources
Passer d’une économie linéaire à une économie circulaire, c’est abandonner la pyramide de la gestion des déchets pour adopter le diamant des ressources (voir p. 44).
Ce graphique illustre la nécessité de retarder au maximum la transformation d’un produit en déchet par l’amélioration de son usage. Ainsi, ce qui était auparavant considéré comme un déchet sans valeur, mais au coût d’élimination élevé, devient aujourd’hui une véritable ressource récupérable. Cette approche change la donne et stimule une nouvelle économie ; une économie basée, entre autres, sur le partage, la location, la réutilisation, la réparation, la remise à neuf et la valorisation des matières, dans des cycles (presque) continus, qui vise à conserver à tout moment la plus grande utilité et la plus grande valeur des produits, des composants et des matériaux.
Economie circulaire et secteur
de la construction
Appliqués au secteur de la construction, ces principes d’économie circulaire ont inspiré de nombreux projets normatifs, plans stratégiques et autres actions préconisant leur application tout au long du cycle de vie des bâtiments. Dans la stratégie luxembourgeoise, une importance particulière a été accordée au domaine de la construction. Celle-ci définit quatre objectifs prioritaires :
1.
concevoir les bâtiments comme des dépôts de matériaux ;
2.
promouvoir des modes de construction évitant les excavations ;
3.
prolonger le cycle d’utilité des bâtiments ;
4.
créer des marchés pour les produits et matériaux issus de la déconstruction.
Concrètement, le secteur de la construction est à l’origine d’environ 50 % des extractions de matières et il est responsable de plus de 35 % de la production totale des déchets dans l’Union européenne3. Selon les estimations, les émissions de gaz à effet de serre résultant de l’extraction des matériaux, de la fabrication de produits de construction, de la construction et de la rénovation des bâtiments représentent entre 5 et 12 % des émissions nationales de ces gaz4.
Au Luxembourg, ce même secteur est responsable de la majeure partie des déchets produits annuellement ; ceux-ci sont composés de matières et d’objets très variées. Selon le PNGDR, les terres d’excavation issues de chantiers représentaient en 2018 quelque 7,5 millions de tonnes, constituant, de loin, la fraction la plus importante. S’y ajoutent les déchets de démolition ou de transformation de constructions existantes et les déchets générés sur les chantiers lors de nouvelles constructions, environ 600 000 tonnes par an ; les déchets inertes collectés dans les centres de recyclage avoisinent les 25 000 tonnes annuelles5.
Le tri des déchets et le recyclage
Toujours selon le PNGDR, le taux de recyclage observé des déchets de démolition se situe à un seuil approximatif de 90 %, dépassant largement le seuil européen fixé à 70 %. Cependant, pour atteindre un tel degré de réalisation, de nombreux déchets, telles les matières inertes, sont broyés et utilisés comme intrants dans la fabrication, par exemple, de revêtement de routes. Par ailleurs, comme les terres d’excavation constituent la plus grande fraction des déchets, il est impératif de ne plus seulement gérer et traiter ces terres, mais de limiter au maximum leur création en repensant l’usage des sols et en favorisant le remblayage.
Si la majorité des produits de construction possède actuellement les caractéristiques nécessaires à une valorisation visant leur réemploi, la plus grande partie d’entre eux est encore traitée de manière traditionnelle, trahissant notamment le manque de moyens techniques, la difficulté de désassemblage et de tri (lors de la démolition) ou tout simplement le coût supérieur lié à une meilleure gestion des ressources en phase de démolition.
C’est souvent là que le bât blesse : lors de la démolition d’un bâtiment, on se rend compte que la récupération de matériaux ou de leurs composants est difficile, parce que les techniques de construction initiales favorisaient un assemblage chimique (chauffage au sol posé dans la chape, tapis collé au sol, mousses isolantes) et des modes de fixation mécanique non réversibles. Si ces méthodes de travail permettaient certes de réduire significativement le coût de construction, elles rendent aujourd’hui impossible un désassemblage des matériaux sans les endommager. Cette réalité encourage malheureusement la destruction totale des bâtiments plutôt que leur déconstruction, privilégiant, à tort, le recyclage des ressources à leur réemploi.
Bien qu’encore marginaux, des modèles de constructions durables existent. Les produits et matériaux y sont simplement posés, voire installés avec des fixations mécaniques réversibles, facilitant considérablement leur déconstruction. Forte de l’émergence de telles pratiques plus vertueuses, une autre stratégie favorisée par le gouvernement luxembourgeois consiste à établir un marché du réemploi pour les matières et produits récupérés sans dommages. Cette solution nécessitera de travailler sur les coûts, afin que ces produits restent compétitifs par rapport aux produits neufs, et par conséquent de chercher à réduire la complexité du démontage, les modalités de transport et les frais de stockage desdits produits.
Une autre barrière consiste à trouver un volume suffisant de matériaux de qualité similaire pour satisfaire au besoin de projets d’envergure. A cet égard, le développement de connaissances de ce nouveau marché sera essentiel : bien des produits démontables restent invendables à l’heure actuelle.
Au final, même si des efforts toujours plus importants sont réalisés sur de nombreux chantiers pour améliorer la situation, il apparaît néanmoins que le secteur doit lui aussi évoluer et innover : par exemple en adoptant une attitude de création de nouveaux produits et de stratégies de haute qualité à partir de matières premières déjà utilisées et, en amont de cela, en concevant des produits visant à prévenir et éliminer la création de déchets dès leur conception.
La déconstruction de demain
Bien que les stratégies précédentes soient importantes et prometteuses, le constat global reste édifiant : la revalorisation de l’existant est encore difficile et peu rentable. Conscientes de cela, toutes les politiques, législations, initiatives et innovations prônent désormais une vision plus résiliente, inclusive et durable du secteur ; elles reposent sur une transformation progressive des techniques de construction et des filières industrielles, afin d’intégrer les contraintes du désassemblage dès la conception et la réalisation d’un nouveau bâtiment, tout en maîtrisant les coûts de construction et en garantissant la montée en compétence des professionnels.
En ce sens, des solutions circulaires se dessinent, d’autres existent déjà, bien qu’elles peinent encore à se généraliser, et doivent composer avec les évolutions en cours telles que l’émergence des nouvelles technologiques numériques (building information modeling, Internet of things, impression 3D), l’arrivée de la construction préfabriquée comme solution pour ériger/démonter un bâtiment à coûts et temps réduits ainsi que le recours à des matériaux à plus faible émission de CO2 comme le bois ou les matériaux issus du réemploi.
L’exemple d’un parking démontable/modulable
L’entreprise luxembourgeoise Astron Buildings a développé un concept de parking aérien, modulaire, complètement dé-constructible et ré-affectable. Grâce au programme d’accompagnement Fit4Circularity, la société est passée de la vente d’une conception optimisée et personnalisée de parkings à une solution complètement démontable et adaptable, permettant d’atteindre des taux de réutilisation des composants très élevés (au-delà de 80 %). Le premier projet d’envergure sera réalisé à Bissen au cours de l’année 2022.
Ce type de solutions innovantes, qui maintient la plus haute qualité possible du parking tout au long de son cycle d’usage, garantit une valeur résiduelle plus élevée de la structure. Pour être effective, sa valorisation économique passe obligatoirement par une connaissance du poids de ses principaux composants et une documentation de ceux-ci. Cette approche change totalement la vision de la construction, en assimilant le parking à un dépôt de matériaux dont le poids est connu tout au long de son existence.
L’importance de la donnée afin d’éliminer la notion de déchet
Comme le souligne l’exemple précédent, l’accès à l’information, et a fortiori à la donnée, est d’une importance capitale pour la mise en œuvre d’une économie circulaire dans le secteur de la construction. Afin de tendre vers l’élimination des déchets (et de la notion elle-même), la concrétisation de boucles de matériaux continues et de haute qualité nécessite le partage d’informations tout au long de leur cycle d’utilisation ; des informations qui vont au-delà du simple poids du produit mis en œuvre.
A cet égard, le ministère de l’Economie luxembourgeois a soutenu le Product Circularity Data Set (PCDS), une idée lancée par la société +ImpaKT. Ce projet vise à formaliser les caractéristiques d’un produit vendu à chaque étape de son processus de fabrication, pour ensuite mettre cette information harmonisée au service des différents acteurs de la chaîne de valeur. Cette approche informatique et systématique permet de réduire les coûts et l’effort nécessaire afin d’établir l’empreinte digitale circulaire d’un produit. Elle ambitionne, à terme, de développer un format officiel standardisé s’alignant avec les normes ISO, CEN et autres.
Entre 2018 et 2020, un proof of concept a été développé avec des partenaires industriels. Forts de leur retour de terrain, les résultats sont aujourd’hui en cours d’expérimentation avec diverses plateformes de données, et des outils, tels un schéma d’audit et un support informatisé, ont été élaborés.
Grâce à la disponibilité de telles informations, il sera possible de créer des registres des matériaux (ou passeports matériaux) qui faciliteront la prise de conscience et la considération des ressources nécessaires à l’édification d’un bâtiment. Comme le dit l’adage : on ne peut améliorer que ce que l’on peut mesurer.
L’économie circulaire est un véritable changement de paradigme, un shift de la pensée qui engendre un besoin d’adaptation profond dans la manière de construire, d’utiliser, de maintenir, de transformer et puis, le cas échéant, de déconstruire. Dans une vision circulaire, le bâtiment n’est plus seulement une infrastructure, il est une banque de matériaux, un dépôt de composants et de matières premières. C’est pourquoi il doit être pensé de manière flexible, adaptable, fonctionnelle, à usages multiples et pérennes. L’enjeu – le cœur du changement – réside dans le maintien et l’exploitation durable de cette valeur économique dans le temps.
L’exemple du parking remontable rappelle une nouvelle fois l’importance d’intégrer une logique circulaire dès la conception du bâtiment. Pour assurer une mise en œuvre de l’économie circulaire dans le secteur de la construction, une digitalisation importante des pratiques et la création de nouveaux réflexes sera nécessaire afin de concevoir et gérer les données liées aux matériaux mis en œuvre.
En conclusion, retenons que le secteur de la construction présente indéniablement un potentiel immense de réduction des quantités de déchets générés et de gestion optimale des ressources sur tout le cycle d’utilité des infrastructures et bâtiments. Les initiatives adoptant une vision circulaire du secteur se multiplient. Il importe désormais de les coordonner et de mettre en place des mesures facilitant leur application sur une plus vaste échelle, en impliquant tous les acteurs du secteur.
- https://ec.europa.eu/environment/strategy/circular-economy-action-plan_fr (toutes les pages Internet auxquelles il est fait référence dans cette contribution ont été consultées pour la dernière fois le 23 septembre 2021).
- https://environnement.public.lu/fr/offall-ressourcen/null-offall-letzebuerg.html
- https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Archive:Statistiques_sur_les_déchets&oldid=504418
- https://www.boverket.se/sv/byggande/hallbart-byggande-och-forvaltning/miljoindikatorer—aktuell-status/vaxthusgaser
- https://environnement.public.lu/fr/offall-ressourcen/null-offall-letzebuerg.html
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