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La deuxième génération issue de l’immigration portugaise au Luxembourg
Vécus et ressentis
À ce jour, le Grand-Duché de Luxembourg compte près de 46% d’individus issus de l’immigration. En tant que pays d’accueil, il voyait déjà arriver dans les années 1960-70 une importante vague migratoire intra-européenne portugaise, destinée à l’époque à pallier le besoin en main d’œuvre. Ces immigrés, présumés au départ «temporaires», ont souvent fini par fonder une famille et demeurer de manière permanente dans le pays d’accueil. Actuellement, quelque 93000 personnes liées à l’immigration portugaise et comprenant la 1re, la 2e, voire la 3e génération font partie intégrante de la société luxembourgeoise1. Le focus sera mis ici sur cette 2e génération, qui a grandi ou est née dans le pays d’accueil des parents et a ainsi vécu sous l’influence de multiples cultures2.
«La famille sera toujours la base des sociétés3»: le soutien familial intergénérationnel
Le projet IRMA s’intéresse aux relations entre enfants adultes et leurs parents âgés issus de familles migrantes portugaises comparées aux familles natives luxembourgeoises, résidant toutes au Luxembourg. Le projet se focalise, entre autres, sur le soutien mutuel d’une génération à l’autre (émotionnel, financier, pratique, etc.), les obligations familiales ou encore le bien-être de chaque membre familial. Les jeunes adultes de la 2e génération inclus dans ce projet sont âgés en moyenne de 27 ans. Plus de la moitié sont déjà nés au Luxembourg, les autres y étant arrivés à l’âge moyen d’environ cinq ans, passant ainsi le plus clair de leur vie au sein de la société luxembourgeoise. Il est intéressant de noter qu’un peu plus de 40% de ces jeunes adultes déclarent loger chez des membres de la famille, que nous supposons être dans la plupart des cas les parents.
Globalement, en ce qui concerne le soutien familial intergénérationnel du point de vue de la 2e génération, le soutien reçu de la part des parents et le soutien donné à ces derniers ne présente pas de différence significative. Les jeunes adultes semblent percevoir les deux types de soutien de manière plutôt équilibrée. Concernant le statut de ces enfants d’immigrés portugais, ceux ayant une occupation professionnelle estiment, de manière cohérente, aider davantage leurs parents que ceux qui font encore des études. Pour ce qui est du sexe de l’enfant, bien que non significatifs, les résultats montrent une tendance générale des filles à fournir plus de soutien à leurs parents que les fils. Le pays de naissance, que ce soit le Luxembourg ou le Portugal, n’a, quant à lui, pas d’effet sur le soutien apporté aux parents. Fait intéressant, aucun de ces critères n’est significatif lorsqu’il est question du soutien parental reçu. En effet, peu importe le sexe, le pays de naissance ou l’occupation de l’enfant, le soutien parental tel qu’il est perçu par ces jeunes adultes s’avère être similaire. Le soutien apporté à cette 2e génération de la part des parents migrants semble être important, peu importe le stade de vie ou le contexte de l’enfant, du moins tel qu’il est perçu par ces jeunes adultes.
De plus, ils estiment recevoir quasiment autant de soutien de leurs parents qu’ils en ont donné à ces derniers, la tendance européenne étant plutôt de considérer le soutien reçu comme supérieur à celui donné aux parents4. Il est très important d’approfondir ces premiers résultats pour mieux appréhender les mécanismes sous-jacents ainsi que les enjeux liés aux relations entre générations. En effet, cela permettrait de mieux comprendre comment fonctionnent les familles ainsi que leur système de soutien dans une société qui, de nos jours, ne facilite pas toujours l’acquisition d’un logement aux jeunes ni les soins et autres services aux personnes âgées, notamment aux immigrants. De plus, il est intéressant de comprendre quelle est l’influence des relations familiales sur la construction identitaire spécifique à ces enfants d’immigrés. Les études qualitatives nous donnent accès à une perspective profonde du vécu et de son sens.
«D’où je viens» et «d’où je suis»: questions identitaires
Nous pouvons avoir l’impression que notre identité est donnée, que nous la portons en nous depuis notre naissance. Cependant, par nos pratiques quotidiennes, elle est en construction permanente, elle se réalise continuellement [performed]. Elle est ainsi multiple. C’est pourquoi nous parlons d’identités au pluriel. Dans le cas spécifique de la deuxième génération issue de l’immigration, ces pratiques sont réalisées et vécues en référence (au moins) à deux cultures différentes. Ainsi, les enfants d’immigrés portugais au Luxembourg décrivent leur(s) identité(s) à travers une démarche de détachement/rapprochement face à la culture du pays d’origine et du pays d’accueil de leurs parents, se (re)positionnant à chaque fois face au «d’où je viens» et «d’où je suis».
Il y a deux Emílias!(Rigole) L’Emília portugaise et l’Emília luxembourgeoise qui s’adapte quand je suis avec mes amis portugais ou avec mes parents. […] Mais ce n’est pas comme si [je me sentais] déchirée. Je pense qu’il s’agit de différentes facettes, mais ce n’est pas un poids! Depuis que je suis petite, j’ai séparé maison et école! (Rigole) C’était deux Emílias différentes depuis le début! Et j’ai toujours gardé cette logique. (Emília, 28 ans)
Les enfants d’immigrés se distinguent par une multiple appartenance qui leur est propre. De nos jours, l’idée selon laquelle les pratiques et les expériences de cette deuxième génération peuvent être interprétées à travers une vision dichotomique de la migration ne tient plus. En effet, dans les études en migration, le récent tournant transnational offre une «nouvelle optique d’analyse5» notamment en ce qui concerne les membres de la deuxième génération. Ces derniers sont, dès lors, perçus comme transnationaux dans une certaine mesure de par leur insertion dans un champ social transnational. Au cours de leurs vies, ils se livrent à des «pratiques transnationales sélectives» qui varient en portée, intensité et fréquence6. Une perspective fondée sur le parcours de vie7 prend ainsi tout son sens. Nous percevons donc les enfants d’immigrés comme inscrits dans une histoire. Parler de deuxième génération, c’est parler des descendants de ceux qui ont entrepris un parcours migratoire. Adopter cette perspective nous permet de mettre en rapport les dimensions familiale et migratoire.
À partir d’analyses préliminaires du contenu de chaque récit, nous pouvons réfléchir aux processus de construction identitaire de ces membres issus de la deuxième génération portugaise au Luxembourg. Par différents mécanismes de positionnement face notamment à la culture d’origine des parents, l’interviewé donne du sens à ses expériences et, parmi tant d’autres histoires possibles, il en narre une. Le narrateur est à la fois auteur et lecteur de sa propre vie qu’il raconte, (re-)créant ainsi son identité narrative qui inclut «le changement, la mutabilité dans la cohésion d’une vie8».
Mais, même avec mon nom, dans l’entourage, parfois on fait encore des blagues que je suis portugais. Ils savent bien que je ne le suis pas, mais ils font des blagues! Donc eux, ils me renvoient toujours mon identité, d’où je viens, vers moi, mais avec des blagues! Par exemple, quand on boit un verre, parfois il y a Super Bock et ils disent: «ah tiens, c’est pour toi!» (Rigole) […] Donc, je ne vois pas directement le lien avec le Portugal, mais eux me le renvoient avec des petits «touch», ici et là. (Daniel, 28 ans)
Il s’agira donc de comprendre comment les membres de cette génération arrangent leurs expériences et pratiques quotidiennes, mais également d’appréhender le sens qu’ils leur attribuent afin de composer leurs identités.
[À propos d’une période d’études aux États-Unis] Là, le truc c’est que, culturellement, je ne savais plus trop qu’est-ce que j’étais. C’est-à-dire, fils de Portugais, je suis né au Luxembourg, j’étais en Amérique. Aux yeux des Américains, je n’étais rien d’autre que Portugais. [Aux yeux] des Portugais émigrants, j’étais comme eux, mais moi je voulais laisser entendre que je n’étais pas tout à fait comme eux parce que je n’avais pas émigré vers l’Amérique pour travailler, mais que j’y étais pour étudier! (Ben, 40 ans)
Le processus de construction narrative de l’identité en contexte migratoire se déploie clairement dans ces passages. Cette identité narrative, ne cessant de se faire et de se défaire, est en permanence négociée et renégociée à partir des relations avec les autres, en fonction de chaque contexte social particulier. Il semblerait qu’entre autres la dimension familiale et les réseaux sociaux aient une incidence sur le vécu de ces enfants d’immigrants ainsi que sur leur construction identitaire. Dans ce sens, les relations intergénérationnelles influenceraient ces processus de construction identitaire et seraient influencées par eux. Nous espérons, par une approche qualitative, accéder aux vécus et expériences de cette deuxième génération issue de l’immigration portugaise au Luxembourg et apporter un nouvel éclairage sur ces questions. u
1 Statec, 2016: http://www.statistiques.public.lu/fr/acteurs/statec/index.htm2l
2 L’article expose quelques résultats quantitatifs provenant du projet IRMA (Intergenerational Relations in the light of Migration and Ageing, projet soutenu par une subvention du FNR à Dr Isabelle Albert (C12/SC/4009630/IRMA) ainsi que des données qualitatives et des réflexions issues de la thèse de doctorat réalisée par Heidi Martins.
3 Honoré de Balzac
4 Albertini, M., Kohli, M. & Voger, C., “Intergenerational transfers of time and money in European families: common patterns – different regimes?” in: Journal of European Social Policy, 17(4), 2007, pp.319-334.
5 Caglar, A. S., “Constraining metaphors and the transnationalisation of spaces in Berlin” in: Journal of Ethnic and Migration Studies, 27(4), 2001, pp.601-613.
6 Levitt, P. & Waters, M., The Changing Face of Home: The Transnational Lives of the Second Generation, New York, Russell Sage Foundation, 2002, p.12.
7 Elder, G. H., “Time, human agency and social change: perspectives on the life course” in: Social Psychology Quarterly, 57(1), 1994, pp.4-15.
8 Ricœur, P., Temps et récits III. Le temps raconté, Paris, Éditions du Seuil, 1985, p.355.
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