La diaspora capverdienne au Luxembourg

Le CEFIS1 a publié récemment sa dernière étude intitulée Diaspora capverdienne au Luxembourg. Panorama socio-économique, rôles dans les mouvements migratoires et solidarité avec le pays d’origine2.
Cette étude et sa publication ont mis le focus sur les Capverdiens du Luxembourg sous différents aspects:

  • socio-démographique (recensement, background migratoire), titres de séjour, répartition spatiale, RMG, salaires, logement…
  •  Représentations et attitudes concernant le retour au pays, l’attachement au Luxembourg, la solidarité avec le Cap-Vert, le lieu d’inhumation, …

En nombre de personnes, la communauté capverdienne représente au Luxembourg le deuxième groupe le plus important originaire d’un État hors UE, après les populations issues de l’ex-Yougoslavie. Malgré les récents travaux du CEFIS portant sur l’intégration des ressortissants de pays tiers au Grand-Duché, cette communauté demeure relativement inconnue et peu présente dans la littérature sociologique. Cela est notamment dû à la petite taille de cette communauté qui sort presque systématiquement des «radars» statistiques du Statec, de Eurostat ou des sondages d’opinion.

Des relations privilégiées existent pourtant de longue date entre le Cap-Vert et le Luxembourg, en matière d’immigration et de coopération culturelle, économique et scientifique. Au moment où, tant au niveau européen que national, les autorités réfléchissent sur de nouveaux canaux d’immigration, il est nécessaire de mieux connaître les enjeux socio-économiques des migrants capverdiens au Grand-Duché, ainsi que les répercussions des politiques migratoires sur l’intégration de cette communauté et ses relations avec le pays d’origine.

Ces liens sont même en train d’être renforcés comme en témoigne le récent accord signé en 2015 entre le Luxembourg et le Cap-Vert portant sur l’immigration et le développement solidaire. Quels sont les enjeux essentiels à tirer de cette étude «Cap-Mobi-Lux»?

Les Capverdiens du Luxembourg : de qui parle-t-on ?

Le Cap-Vert est structurellement un pays d’émigration: le nombre d’émigrés d’origine capverdienne dépasse celui de la population résidente. Au total, sur plus d’un million de personnes de nationalité capverdienne à travers le monde (2014), plus de la moitié habite en dehors du Cap-Vert (Etats-Unis, Portugal, Italie, Pays-Bas, …). Au Luxembourg, selon le STATEC, le nombre de personnes de nationalité capverdienne continue à croître passant de  2472 en 2011 à 2965 en 2016, soit un accroissement de 19,9 % (+ 493 personnes). Cet accroissement est d’abord dû à l’immigration nette, alors que, parallèlement, les Capverdiens sont nombreux à opter pour la nationalité luxembourgeoise.

Aussi, faut-il tenir compte de l’évolution de la population de nationalité et d’origine capverdienne. Cela nous amène à considérer l’arrière-plan migratoire des personnes d’origine capverdienne afin d’estimer la taille de cette communauté. Seul le recensement de 2011 a permis d’analyser ce «background migratoire» en considérant le pays de naissance du père et/ ou de la mère.

Ainsi, lors de ce recensement, on dénombrait 2472 Capverdiens, mais 8358 résidents d’origine capverdienne (naturalisés Luxembourgeois, Portugais, …), soit un groupe trois fois plus nombreux.

Aujourd’hui, avec plus de 3000 Capverdiens, on peut légitimement estimer que la population d’origine capverdienne dépasse les 10 0003 personnes au Luxembourg. Sans compter les citoyens d’origine capverdienne installés à la frontière en Belgique ou en France notamment. La répartition spatiale du lieu de résidence de la communauté capverdienne illustre bien les liens entre première et deuxième génération qui choisissent de s’établir sur le même territoire qui va de Differdange à Esch-sur-Alzette, puis à Luxembourg et ses alentours, et enfin dans la Nordstad (Ettelbrück et environs).

Les conditions de logement et de vie de cette communauté sont souvent bien en-dessous de la moyenne nationale: une surface de logement de 32m2 par personne (alors que la moyenne est de 64m2), un salaire horaire moyen de 13 euros par heure (la moyenne est de 26 euros), … mais un taux d’activité de 65% (celui des Luxembourgeois est de 35%)!

«Je vis actuellement avec mes trois enfants dans un studio de 30m2. Cela va faire deux ans que j’essaye d’avoir un logement social…!»

-Mère monoparentale

L’éducation et les adolescents capverdiens

Si l’on observe la structure par âge de la population capverdienne au Luxembourg, on voit qu’il s’agit d’une population très jeune avec un âge moyen de 31,3 ans (alors qu’il est de 38,7 ans en moyenne et de 41,3 ans pour les Luxembourgeois).

Plus particulièrement, les Capverdiens se distinguent de toutes les autres origines par des proportions relativement élevées de jeunes adolescents primo-arrivants de 12 à 18 ans. Entre 2005 et 2015, cela représente annuellement entre un cinquième et un quart des arrivées, alors que pour les Portugais, cette même classe d’âge ne concerne qu’entre 6 et 8% d’arrivées ! Quelles sont les conséquences de ces flux migratoires particuliers? D’après les entretiens réalisés et les statistiques du Ministère de l’éducation nationale, une proportion très élevée de Capverdiens se retrouve dans des filières techniques, professionnelles, modulaires, … Alors qu’environ un tiers de la population scolaire nationale suit l’enseignement secondaire classique (lycée classique), ils ne sont que 2 ou 3% parmi les jeunes de nationalité capverdienne! Mais des exceptions existent …

«Ma fille a été envoyée dans le lycée modulaire à E. J’ai insisté pour la monter de niveau. Ils ont vu ses capacités et elle est montée au technique puis en général ! Elle va maintenant commencer la faculté à Nancy!»

-Ouvrière capverdienne de formation institutrice

Par ailleurs, ils sont très nombreux à quitter le Luxembourg chaque matin en train pour regagner une école secondaire francophone, notamment à Arlon.

Les raisons de ce constat sont nombreuses et complexes, mais on peut supposer qu’il faut rechercher tant du côté des difficultés linguistiques du système scolaire luxembourgeois que de l’orientation scolaire, ainsi que de l’héritage socio-culturel de la famille de l’élève.

Encore une fois, ces élèves issus d’une minorité sortent du radar statistique de l’enquête PISA ou de l’éducation nationale (pour ceux qui étudient en Belgique ou en France). Or, ces constats devraient être approfondis par une recherche appliquée pour connaître les ressorts et les dynamiques derrière ces échecs scolaires, mais également observer les changements qui s’opèrent entre première, deuxième et troisième génération de Capverdiens. Le recueil d’expériences et de bonnes pratiques au sein des générations successives dans les familles capverdiennes semble être une piste méthodologique intéressante.

L’attachement et la solidarité avec le Cap-Vert

Selon cette étude, les étrangers originaires du CapVert et les autres n’ont pas tout à fait les mêmes degrés d’attachement au Grand-Duché ou à leur pays d’origine. En moyenne, quatre Capverdiens sur dix (39,40%) se disent «attachés au pays d’origine». Ce score est de loin le plus élevé observé dans l’échantillon. Si 36% des Capverdiens se disent aussi «attachés au Luxembourg», cette valeur est parmi les scores le plus bas observés lors l’étude. Par exemple, le taux d’attachement au Luxembourg est de près de 52% parmi les ex-Yougoslaves de l’échantillon.

La particularité d’une diaspora comme celle-ci est qu’elle développe un sentiment d’attachement très fort à ses racines et une identité ethnique revendiquée par la notion de «capverdianité».

Celle-ci s’observe aussi par la solidarité manifeste des immigrés avec leur pays, leur village d’origine ou leur famille. Ainsi, les Capverdiens du Luxembourg sont largement plus généreux que la moyenne en matière d’aide financière puisqu’ils affirment donner environ 100 euros par mois via des agences de transfert pour aider à l’alimentation, la santé ou le logement de leurs proches. L’aide matérielle est moins courante et moins massive mais représente néanmoins l’équivalent de 250 euros par an.

Quelles perspectives ?

Orienté par la philosophie de recherche-action du CEFIS, la méthodologie de cette étude a aussi fait se rencontrer plus de 50 membres de la communauté capverdienne lors de «focus-groups». Tout au long de ce projet, la communauté capverdienne s’est ainsi largement mobilisée, que ce soit dans les réponses obtenues au sondage quantitatif, d’entretiens individuels ou lors des focus groups.

Un des objectifs et impact indirect de cette méthode est également la formation des participants et l’auto-apprentissage par l’explicitation des opinions et leur confrontation avec d’autres. Il ressort de cette méthode donc un «empowerment» des participants et des associations et une mise en réseau.

C’est maintenant aux acteurs de la communauté capverdienne de s’approprier les résultats de l’étude et de se mobiliser autour de ses enjeux : diffusion des résultats, vulgarisation des concepts, transformation des recommandations en projets de changement et actions, empowerment associatif, … La volonté de changement est manifeste: plus de 100 personnes étaient présentes lors de la présentation de l’étude. L’Ambassadeur du Cap-Vert, les représentants
associatifs se veulent être des éléments moteurs de changement car l’implication des représentants de la communauté capverdienne dans un tel projet de suivi et de changement est essentielle à sa qualité et à sa durabilité.

1 Le Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (www.cefis.lu) s’attache à promouvoir la cohésion sociale au Luxembourg à travers différentes activités dont la recherche-action et la formation sociale, politique et interculturelle. Les thématiques concernent notamment les phénomènes et politiques migratoires et leurs diverses dimensions : l’intégration, la lutte contre les discriminations, l’interculturel, la participation de chacun à la vie sociale, associative et politique.

2 Jacobs Annick, Manço Altay, Mertz Frédéric, RED 21, 2017. Disponible au CEFIS. www.cefis.lu

3 C’est aussi l’avis de l’Ambassade du Cap-Vert et de la Fédération des associations capverdiennes.

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