- Geschichte, Gesellschaft, Politik, Wissenschaft
La face cachée de la migration
Les mineurs migrants non accompagnés en Europe
Plus de 88000 mineurs non accompagnés (MNA) ont demandé asile dans les pays membres de l’Union européenne (UE) en 2015, leur nombre a plus que triplé par rapport à l’année précédente1. En 2008-2013, on parlait encore de 10000-12000 demandes par année. Évidemment, il ne s’agit que des mineurs ayant demandé la protection internationale, ces chiffres ne correspondent donc qu’à une estimation vague des dimensions réelles du phénomène. La dénomination de «mineur non accompagné» est apparue au fil des années 1990 – une dénomination marquée par une interprétation occidentale des termes «mineur» et «non accompagné2» – et désigne, selon la Résolution du Conseil de l’UE du 26 juin 1997, «les ressortissants de pays tiers âgés de moins de dix-huit ans qui entrent sur le territoire des États membres sans être accompagnés d’un adulte qui soit responsable d’eux, de par la loi ou la coutume, et tant qu’ils ne sont pas effectivement pris en charge par une telle personne».
Destins hétérogènes
Si on parle de MNA, on fait référence au groupe le plus vulnérable parmi les migrants et à un défi particulier en termes de protection des droits de l’Homme en général et de l’enfant en particulier. Le MNA se déplace pour différentes raisons, dont les conflits armés, la violence domestique, la persécution, la pauvreté, le manque d’opportunités économiques et d’éducation, ou encore pour retrouver sa famille. Certains décident eux-mêmes de partir, d’autres sont envoyés par leur famille. C’est souvent le rêve européen qui déclenche le désir d’entamer le chemin «d’une vie meilleure». Peut-être certains se rappellent-ils la lettre des jeunes Guinéens Yaguine Koïta (15 ans) et Fodé Tounkara (14 ans), qui s’étaient cachés dans le train d’atterrissage d’un avion en direction de l’Europe. Les corps des deux jeunes, morts de froid, et une lettre dans laquelle ils firent appel aux autorités européennes afin «de faire une grande organisation efficace pour l’Afrique pour [permettre de progresser]», ont été trouvés en 1999, après plusieurs vols aller-retour Afrique-Europe, à l’aéroport de Bruxelles.
Les mineurs proviennent surtout de pays en conflit au Moyen-Orient (Syrie), en Asie centrale (Afghanistan, Pakistan), en Afrique sub-saharienne (Soudan du Sud, Somalie, Mali), mais aussi de pays de l’Afrique du Nord (Égypte, Maroc), de l’Asie du Sud (Bangladesh) ou encore des Balkans. Souvent, il existe une relation entre l’origine des MNA accueillis sur le territoire européen et la situation géographique des pays membres de l’UE concernés. Ainsi, on retrouve par exemple en Espagne de nombreux Marocains, mais aussi des mineurs d’origine sub-saharienne qui ont «brûlé» (haraqa)3 les frontières du Maroc, partant souvent de Tanger. En général, les pays du Sud, notamment l’Espagne, la France, l’Italie ou la Grèce, constituent la première étape en Europe; on parle de «pays de transit», puisque la destination finale sont en général les États du Nord, comme l’Allemagne et surtout la Suède.
Le Luxembourg a connu une évolution similaire à celle des autres pays membres de l’UE, même si c’est à une échelle considérablement plus petite: en 2015, 103 demandes de protection internationale de la part de MNA ont été enregistrées à la Direction de l’Immigration du ministère des Affaires étrangères4 (comparées à 30 demandes en 20145). Selon une représentante de la Croix-Rouge, la plupart des MNA accueillis par l’organisation au cours des huit derniers mois sont d’origine afghane, ce qui n’était pas le cas avant6.
La réalité du «rêve européen»
En l’absence d’un cadre juridique établi par les Nations unies, le mineur migrant jouit de certaines protections garanties par la Résolution du Conseil de l’Europe du 26 juin 1997 (non contraignante) – si son âge est vérifié. Les méthodes de vérification peuvent changer d’un État à l’autre et ce sont surtout les tests médicaux, qui restent très controversés à cause des marges d’erreur et peuvent générer des injustices fatales7. Dans sa contribution à ce petit dossier, Adolfo Sommarribas, collaborateur scientifique à l’Université du Luxembourg, analysera plus en détail les instruments et le cadre juridiques disponibles au Luxembourg ainsi que les procédures visant la vérification de l’âge.
La Commission européenne a réagi aux développements récents en établissant un plan d’action pour les MNA (2010-2014) qui demande le respect des normes prévues par la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies (1989), notamment en introduisant le concept d’intérêt supérieur de l’enfant et son droit au développement. Satisfaire les besoins primaires, tels que disposer d’un endroit pour dormir, recevoir des repas et pouvoir prendre une douche, est prioritaire. D’autres aspects, comme la scolarisation et l’accès à l’accompagnement psychologique, contribuent au respect de ces principes. Dans ce cadre, un entretien avec l’ethnopsychologue Jill Terres de la Croix-Rouge luxembourgeoise examine la prise en charge des MNA et la communication interculturelle.
Or, même si les jeunes jouissent de la protection sociale, ils se trouvent dans une situation de vulnérabilité. Leurs besoins primaires et secondaires ne peuvent pas toujours êtres satisfaits. Le documentaire Mineurs: le prix de l’Eldorado8 est particulièrement intéressant dans ce sens puisqu’il montre comment les mineurs accueillis dans des centres en Sicile s’échappent durant la journée pour travailler sur le marché noir et gagner de l’argent, souvent pour payer ou rembourser les passeurs. Il a été révélé aussi que certains pays offrent «des possibilités d’intégration très limitées aux jeunes admis dans les services de protection de l’enfance pendant leur minorité, les vouant à devenir [sic] en situation irrégulière lorsqu’ils atteignent 18 ans9». La question du futur et des perspectives sociales et professionnelles après l’âge de 18 ans est en effet pertinente. Pour les jeunes fuyant les conflits, il peut être plus facile d’obtenir le statut de réfugié, mais la question des perspectives futures prend d’autres formes pour les MNA des Balkans par exemple. Dans ce dossier, Noémie Marcus et David Petry, chercheurs au sein du European Migration Network se concentrent sur le sort de ces derniers pour identifier les particularités de leur situation.
Bienvenu(e)(s) à la rue?
De nombreux cas reportés de grandes villes comme Paris, Bruxelles ou Turin montrent que certains jeunes ne sont même pas admis, ou ne le sont qu’après des périodes d’attente plus ou moins longues, aux services de protection sociale. Ceci s’explique en partie par le manque de places disponibles ou par la non-reconnaissance de leur minorité. Parfois, les jeunes décident d’abandonner les services d’accueil, une décision qui peut être motivée par le désir de continuer vers une autre destination, les mauvaises conditions dans le centre ou encore la nécessité de gagner de l’argent10. Dans ces cas-là, il s’agit de MNA sans protection qui vivent dans la rue, dorment dans les tunnels des métros ou rejoignent des campements de migrants comme on les trouvait au nord de Paris avant qu’ils fussent évacués par la police en été 201511; on parle alors de mineurs étrangers isolés (MIE). Ces jeunes fréquentent souvent les mêmes endroits que les SDF adultes, ils se trouvent en concurrence avec ces derniers pour obtenir un lit dans un foyer ou un repas. La durée d’isolation des jeunes dépend de la situation: certains vivent alternativement des périodes de prise en charge et des périodes en dehors de tout système de protection, certains ne se trouvent à la rue que quelques jours avant qu’une place se libère dans un foyer ou un hôtel (où un nombre important est hébergé dans le cadre d’un premier accueil jusqu’à ce que se libère une place dans un foyer)12.
Les MIE sans protection sont des proies faciles pour les groupes criminels organisés. D’après Europol (l’Office européen de police en charge de la lutte contre la criminalité au sein de l’UE), un réseau européen de criminalité organisée ciblant les migrants s’est développé sur le territoire européen13. En janvier 2016, l’agence parlait de plus de 10000 MNA disparus pendant les premiers 18 à 24 mois après leur arrivée en Europe (5000 pour la seule Italie)14. Au moment où les mineurs se trouvent isolés, le risque de tomber dans les mains de ces réseaux criminels est en effet plus élevé: certains se voient forcés à vendre de la drogue ou, pour les filles, à se prostituer. Même si certainement pas tous les MNA disparus ne sont victimes de groupes criminels, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un groupe cible particulièrement vulnérable.
Concernant le Luxembourg, les estimations sont difficiles, vu que les MIE, s’il y en a, manquent de visibilité. En effet, il faut être majeur pour accéder aux foyers d’accueil d’urgence pour les personnes sans abri au Luxembourg (s’il y a des MIE, ils sont donc exclus) et, en plus, il est difficile de les approcher dans la rue. Les travailleurs sociaux de rue à Luxembourg-Ville ne confirment pas les développements observés dans les grandes villes européennes: il paraît que les dernières années, il n’y a pas eu de MIE signalés.
Même si ces derniers sont rares au Luxembourg et que la grande majorité des MNA est admise aux services de protection sociale, le nombre croissant des demandes d’asile de la part des MNA pose un défi non négligeable, au Grand-Duché et encore davantage dans les autres pays membres de l’UE. D’un côté, les questions liées à la protection de ces mineurs et les perspectives futures prennent de nouvelles dimensions. D’un autre côté, il faut que les responsables politiques aussi bien des pays d’origine que des pays de destination et les acteurs de développement prennent en considération cet aspect de la migration, informent sur les dangers et créent sur le long terme les conditions qui n’obligent plus les mineurs à prendre ces risques énormes.
1 Eurostat, 2016, http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show. do?dataset=migr_asyunaa&lang=fr (accès: 09.06.2016)
2 Michel Peraldi (éd.), Les mineurs migrants. Un défi pour les pays européens, Paris, Karthala, 2013, p. 6.
3 Expression utilisée au Maghreb, pour la migration irrégulière.
4 Chiffres du MAE, 2016.
5 Eurostat, 2016.
6 Entretien avec Jill Terres, ethno-psychologue, 10.06.2016.
7 Nisrine Eba Nguema, «La protection des mineurs migrants non accompagnés en Europe» in: La Revue des droits de l’Homme, 5, 2014.
8 Arte, Mineurs: le prix de l’Eldorado, 9 septembre 2015, http:// info.arte.tv/fr/le-casse-tete-des-mineurs-isoles.
9 Migrinter (Université de Poitiers), Mineurs isolés étrangers et sans protection en Europe (rapport final du projet Pucafreu), 2013, p. 18.
10 Migrinter, 2013, p. 43-57.
11 Ces observations sont basées sur des entretiens menés lors de mon engagement auprès de la permancence associative ADJIE (Accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers).
12 Migrinter, 2013.
13 Marc Townsend, «10000 refugee children are missing, says Europol» in: The Guardian, 30.01.2016, https://www.theguardian. com/world/2016/jan/30/fears-for-missing-child-refugees (accès: 09.06.2016) 14 Marc Townsend, 2016.
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!
