La retenue, véritable vertu pour un petit Etat
À propos de quelques dérives de la politique étrangère luxembourgeoise
La politique étrangère luxembourgeoise, depuis que Jean Asselborn est aux affaires (il a plus de 15 ans au compteur à ce poste), a définitivement rompu avec le profil bas ou le travail en profondeur qui la caractérisaient traditionnellement. Parmi ses prédécesseurs, il n’y a que Gaston Thorn qui pouvait rivaliser avec lui, encore qu’à la fin des années 60 et tout au long des années 70 (période où officiait Thorn) les media étaient nettement moins attentifs aux frasques des diplomates et les media sociaux n’avaient pas encore fait leur apparition. À l’époque, la diplomatie était affaire de discrétion voire de secret, les contorsionnistes étaient plutôt mal vus et battre l’estrade ne faisait pas partie des bonnes manières.
Jean Asselborn sait jouer de tous les registres pour attirer l’attention sur ses initiatives et son style direct est précisément ce qu’il faut pour faire parler de lui et amuser la galerie au passage. Son ‹ Unterhaltungswert › est considérable et vaut son pesant d’or comme en témoignent ses invitations fréquentent aux ‹ talk shows › des chaînes publiques, notamment allemandes, qui en font leur invité fétiche dès lors qu’il s’agit de secouer le cocotier et de sortir des formulations qui font tilt.
Sa traditionnelle déclaration de politique étrangère, présentée le 13 mars 2019, n’était pas un exercice prisé par son auteur. Manifestement il rongeait son frein et son exhortation (« il est important d’appeler un chat un chat et d’appuyer là où ça fait mal ») était destinée à lui faire courage et à rappeler qu’il avait d’autres cordes à son arc. Mais la routine fait aussi partie des exercices imposés à tout bon diplomate.
Donneur de leçons
Reste à savoir si de tels ‹ numéros › sont toujours dans l’intérêt bien compris du pays que le ministre se doit de défendre en toutes circonstances. Plus d’une fois d’ailleurs, ses ‹ sorties ›, plus à l’improviste que préméditées faut-il supposer, ont eu des effets dangereusement contre-productifs. Tel est notamment le cas lorsque le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg croit pouvoir s’ériger en donneur de leçons face à ses pairs. C’est en particulier ce qui est arrivé régulièrement lorsque Jean Asselborn s’en est pris à la Hongrie ou à la Pologne ces derniers temps et avant cela à l’Autriche. Le Premier ministre hongrois, Victor Orban, tout comme le chancelier autrichien Sebastian Kurz, ne sont pas connus pour porter la langue dans la poche.
Ce qui devait arriver est arrivé. Fidèle au dicton « Wer im Glashaus sitzt, sollte nicht mit Steinen werfen », le Luxembourg a eu droit à un rappel en règle de tous ses manquements aux codes de conduite, notamment en matière fiscale. Il est d’ailleurs révélateur que dans son intervention à la tribune de la Chambre des Députés, Jean Asselborn esquive le domaine sensible de la fiscalité à l’échelle de l’Europe communautaire hormis quelques lieux communs.
Fini le « nation branding »
Ses interventions précédentes n’étaient guère plus prolixes alors que le scandale ‹ LuxLeaks › n’a pas fini d’ébranler les fondements de la place financière et de la stratégie du ‹ nation branding ›, morte et enterrée semble-t-il, car le ministre ne la mentionne même plus, alors que c’est son ministère qui était appelé à la piloter avec le ministère de l’Economie et qu’elle était supposée inaugurer un nouveau style de la diplomatie plus pro-actif et plus ‹ business-minded ›.
Il semble que le Luxembourg, qui a espéré s’attirer les faveurs des multinationales avec des taux d’imposition ridiculement bas, a perdu la partie et son pari. Alors que le droit de s’assurer sa compétitivité au sein de l’économie mondiale est reconnu à tous les pays en investissant dans l’éducation, la recherche et les infrastructures, la solution de facilité choisie par le Grand-Duché, à savoir la concurrence fiscale à outrance, est condamnée notamment parce qu’elle prive les pays en développement des ressources indispensables et qui leur reviennent de toute façon si l’on accepte le principe élémentaire de responsabilité sociale des entreprises qui les enjoint à payer leur quote-part d’impôts où qu’elles se trouvent. Ce principe ne devrait pas poser de problème majeur à un social-démocrate !
Hypocrisie
Jusqu’à présent, le sommet en matière de poseur de leçons a été atteint récemment par l’accrochage entre Jean Asselborn et Matteo Salvini en marge d’une réunion des ministres de l’intérieur de l’UE. On peut s’étonner des proportions prises par le dérapage verbal entre les deux ministres, grandement amplifié par YouTube.
En effet, sur le fond, à savoir la question de la répartition des migrants en Europe, les deux ministres sont d’accord pour reconnaître que l’Italie (et la Grèce) ne peut pas recevoir tout le monde. Ce qui les distingue, c’est le discours très agressif de Salvini, susceptible de créer une atmosphère propice au racisme. Asselborn est évidemment aux antipodes d’une telle approche.
Ceci étant dit, le Luxembourg est un des rares pays membres de l’UE à avoir accepté le système de quotas d’accueil préconisé par Bruxelles et de remplir plus ou moins correctement ses obligations en termes d’accueil des demandeurs d’asile. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il soit un enfant de chœur en la matière. Les couacs entre la Direction de l’immigration (qui dépend des Affaires étrangères) et l’Office d’accueil et d’intégration (l’OLAI relève du Ministère de la Famille) étaient trop nombreux, notamment en termes d’accès au marché du travail, pour rassurer (entre-temps l’OLAI a intégré le Ministère des Affaires étrangères).
Silences surprenants
Le ministre Asselborn serait bien conseillé d’exercer ses talents considérables, notamment de grand communicateur, dans des domaines qui touchent de près au cœur même de la gestion des relations internationales. Ainsi, il n’a pas jugé nécessaire de réagir pour l’instant au projet de loi en instance qui vise à réformer les opérations militaires à l’étranger. Ce projet entend remplacer le terme consacré « opération pour le maintien de la paix » par l’expression plus générique et plus inclusive de « mission de gestion de crise » comme l’affirme l’exposé des motifs.
L’on dira ‹ peu importe ›, car la plupart des participations des forces de l’ordre luxembourgeoises étaient plutôt symboliques. Mais même une présence symbolique peut se terminer tragiquement comme le montre la guerre de Corée. Quoi qu’il en soit, on lira avec profit l’excellente analyse « Voir large ! » de Raymond Klein dans le WOXX du 22.03.2019 qui souligne notamment que la réduction du rôle de la Chambre en matière de contrôle des opérations à l’étranger sont à la base de cette réforme rejetée pour les mêmes raisons par des personnalités aussi différentes que Marc Angel (LSAP) et l’ancien ministre de la Défense Jean-Marie Halsdorf (CSV).
Ils partagent certainement un des constats sans appel de Raymond Klein : « Il s’agit de la vision la plus ambitieuse, c’est-à-dire la plus folle, pour l’armée du Grand-Duché depuis longtemps ».
L’on notera dans la même veine le peu de cas fait par la diplomatie luxembourgeoise de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), qui remplit pourtant un rôle essentiel en termes de relations de confiance entre ses membres. Faute d’avoir adapté sa législation, le Luxembourg se prive lui-même depuis un certain temps de toute participation aux missions d’observation électorale organisées sous l’égide de l’OSCE.
Le Luxembourg ne se prive pas pour autant de lever la voix dans des situations ambiguës comme par exemple le Venezuela. Il s’est rallié à 18 autres pays de l’UE pour entériner l’auto proclamation de Juan Guaido comme chef de l’Etat vénézuélien par interim au prétexte d’une vacance de la présidence déclarée par Washington. Ce ralliement pour le moins étonnant aux positions défendues par la Maison Blanche est en contradiction avec les traditions et les principes de la politique étrangère de la plupart des pays de l’UE, basés entre autres sur la règle qui veut qu’on reconnaisse des Etats et non des régimes.
C’est l’ambassadeur honoraire Jean Feyder qui a rappelé tout cela à Jean Asselborn en rafraichissant sa mémoire dans une remarquable lettre à l’éditeur, « Rechtsstaatlichkeit und Völkerrecht in Venezuela », parue dans le Luxemburger Wort (13.02.2019).
Voilà une bonne occasion de se taire. Dans le temps, la diplomatie luxembourgeoise était l’affaire de professionnels qui étaient aussi de grands intellectuels. On cherche en vain aujourd’hui des personnalités de la trempe d’un Albert Borschette, d’un Charles Reichling, d’un Robert Bloes ou d’un Jean Dondelinger qui épaulaient efficacement leurs ministres respectifs, tout en leur épargnant mainte étourderie.
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