L’aménagement du territoire, la cohésion sociale et la révolution industrielle
Le présent article est un résumé d’une publication du Département de l’aménagement du territoire (DATer) dans l’Almanach social de la Caritas, à paraître en octobre 2019. Il argumente que l’aménagement du territoire peut être le ciment à long terme entre les transitions systémiques en cours et la cohésion sociale à maintenir.
A l’ère digitale, circulaire et écologique, quelle organisation territoriale permet de concilier au mieux l’évolution économique et technologique avec les aspirations sociales de la population du Luxembourg ?
Convergence
Après analyse et en fonction des circonstances, on peut s’attendre à ce que les trois dimensions spatiale-économique-sociale convergent en termes d’objectifs de réduction de la consommation du sol, d’efficience dans l’utilisation des ressources naturelles et de l’énergie, de densification de qualité du logement à l’intérieur du tissu bâti, de recyclage des friches pour y installer un mix de fonctions, de décarbonisation de l’économie, de l’énergie, de la construction et de la mobilité, de consolidation de la coopération intercommunale en vue de mutualiser des services et infrastructures locaux, de partage de la richesse produite au Luxembourg avec les régions limitrophes qui y contribuent, ou de superposition de fonctions sur une même surface. De même, le passage progressif du modèle de consommation traditionnel fondé sur la surabondance, l’achat, la possession, l’obsolescence et la mise au rebut vers celui de la suffisance, du partage des biens, de l’échange de services, de l’usage d’une fonction ou du recyclage et de la réparation recèle le potentiel de mettre en place un développement spatial plus durable et d’offrir un accès plus équitable aux biens et services.
Cependant, afin que les bienfaits de la transition soient durables et équitablement répartis d’un point de vue social et territorial, le processus de participation citoyenne à la planification territoriale entrepris en 2018 par le Ministère du développement durable et des infrastructures, a entre autres montré que des mesures d’accompagnement sont nécessaires. Il s’agirait d’augmenter l’offre en logements sociaux, efficients en énergie et matériaux et à coût abordable, de décentraliser des administrations, emplois ou structures sanitaires ou éducatives, d’améliorer l’auto-approvisionnement en eau, énergie et aliments, de réduire la vulnérabilité du territoire face aux risques climatiques et d’épuisement des ressources finies, de renforcer le service public universel dans les espaces peu densément peuplés, de soutenir le commerce de proximité, les coopératives alimentaires ou les communautés citoyennes énergétiques et d’améliorer la participation des citoyens aux décisions territoriales les affectant.
En termes de répartition de l’essor démographique et économique extraordinaire que connaît le Luxembourg, une attention particulière revient – après les grands espaces d’agglomération au sud, au centre et au nord – aux Centres de développement et d’attraction (CDA) répartis dans les régions et le long des frontières, ainsi qu’aux pôles d’échanges multimodaux, aux gares, aux espaces de co-travail et aux futures zones de co-développement.
De nouvelles opportunités se présentent pour le milieu rural ou les parcs naturels telles que la production et le stockage décentralisés d’énergie renouvelable, l’agriculture régénératrice du sol, les missions écologiques, l’industrie du bois et des matériaux biobasés, le tourisme vert ou à vélo, l’économie collaborative ou les métiers de la réparation ou du up-cycling.
Planification
Les quatre plans directeurs sectoriels (PDS, carte ci-contre) élaborés par le DATer en collaboration avec les ministères concernés et actuellement en procédure règlementaire, tiennent déjà compte de bon nombre de ces préoccupations. Ils proposent une complémentarité entre concentration d’une part (logement, activités économiques et transports) et allègement d’autre part (paysages et récréation protégés et étalement urbain coupé). Il focalise le développement aux endroits présentant une bonne accessibilité, centralité, mixité fonctionnelle ou capacité à soutenir le développement. Une place prépondérante est aussi accordée à la circularité. Ainsi p. ex. le projet de plan sectoriel logement (PSL) propose aux communes de recycler 175 des 600 ha de friches industrielles que compte le Luxembourg pour l’habitation. Par ailleurs, soin a été pris de garantir que 30% de la surface construite brute destinée au logement soit consacrée au logement à coût modéré et au logement locatif.
Concretisation
Afin que les transitions industrielles soient bénéfiques pour la cohésion territoriale et sociale, l’aménagement du territoire peut contribuer de plusieurs façons :
Coordination territoriale : L’automatisation, la digitalisation et l’économie circulaire touchant à une multitude de secteurs, acteurs, territoires et échelles (internationale, européenne, transfrontalière, nationale, intercommunale, communale, locale), l’aménagement du territoire est bien placé pour assurer le rôle de coordination nationale et grande-régionale, d’accompagnement des politiques sectorielles et des acteurs communaux et de pesée des intérêts qui lui est propre. Il s’agit de renforcer et d’institutionnaliser ce rôle. Le nouveau Programme directeur stratégique d’aménagement du territoire (PDAT 2050) deviendrait ainsi l’instrument d’expression territoriale du plan national pour un développement durable. L’avenir montrera s’il est utile de disposer de plans de développement territorial contraignants qui soient multi-sectoriels, intégrant, là où cela est possible, plusieurs fonctions et un périmètre dépassant les frontières nationales.
Efficience territoriale : Le «faire plus avec moins» prôné par la révolution industrielle devrait aussi s’étendre à la ressource « sol » : augmenter l’efficacité de l’utilisation du sol par la densification de l’habitat et des zones d’activités, empiler plusieurs fonctions sur une même parcelle, construire plus haut et prioritairement à l’intérieur du tissu urbain existant, réduire la taille des logements par personne, limiter les besoins en mobilité, drainer les investissements et projets de développement urbains vers les gares, infrastructures de transports en commun et pôles multimodaux d’échange ou vers les centres disposant déjà d’équipements collectifs, de services et de commerces.
Impact territorial : Dans le cadre de la recherche de sites, l’aménagement du territoire pourrait se doter d’un instrument d’évaluation ex-ante de l’impact territorial des projets et investissements digitaux ou circulaires, afin de pouvoir retenir ceux qui présentent la meilleure adéquation entre équité sociale et territoriale et efficacité de l’utilisation du sol et autres ressources.
Investissement territorial : Les fonds et subventions, les recherches de sites et les investissements étatiques et communaux dans le cadre de la transition économique devraient suivre des critères de l’aménagement du territoire, afin de mieux tenir compte de l’incidence (externalité) de ces investissements sur d’autres entités territoriales ou couches sociales impactées.
Constance territoriale : Pour que la transition soit la moins consommatrice de sol possible, pour désamorcer les conflits d’utilisation des surfaces et pour répondre au besoin citoyen de préserver le patrimoine naturel et culturel et de les mettre à l’abris des risques territoriaux, il est nécessaire, dans le contexte luxembourgeois, de passer d’une utilisation rationnelle à une utilisation restrictive du sol. Le but ultime étant d’atteindre la « zéro nette artificialisation du sol » en 2050, telle que recommandé par la Commission européenne en 20111. Mettre les compteurs territoriaux à zéro, dans un contexte de croissance économique et démographique, ne semble possible qu’en neutralisant une artificialisation dans un endroit par une dés-artificialisation ailleurs.
Circularité territoriale : Remettre des terrains dans le circuit peut se faire en recyclant les friches industrielles anciennement scellées pour le logement et le commerce, en démantelant des routes ou des parkings obsolètes ou sur-dimensionnés, en cultivant des terrains vagues, des toitures, des façades urbains, en déconstruisant des bâtiments vétustes ou gênants.
Compensation territoriale : Il y a lieu d’assurer la fourniture de services de base dans les espaces ruraux ne disposant pas de la masse critique la rendant économiquement viable. Cela comprendrait la subvention de commerces de proximité, de coopératives citoyennes, de communautés énergétiques transfrontalières, d’ateliers de réparation, d’associations de petits sylviculteurs, de cafés-épiceries de village, de marchés itinérants.
Coopération territoriale transfrontalière : Socialement, il s’agit de dépasser l’esprit utilitariste et le débat opposant les frontaliers aux nationaux et de construire la confiance entre voisins par la planification et la coopération territoriales. Des projets communs gagnant-gagnant peuvent concerner des parcs éoliens ou photovoltaïques, des zones de co-développement, des zones de protection de l’eau, des parcs naturels et trames écologiques, des décharges de déchets inertes, des stations d’épuration de l’eau, des pôles d’échanges …transfrontaliers.
Pooling et participation territoriaux : Selon le scénario Rifkin, les communes sont amenées à collaborer sur une échelle régionale (clusters énergie, plateformes collaboratives…) et à mutualiser les investissements impactant un bassin de retombées plus larges. Les fusions entre communes sont un moyen de « pooling » des ressources. La coopération entre communes au niveau national ou transfrontalier en est un autre. Les conventions de coopération territoriale Etat-communes ou les parcs naturels, voire les syndicats de communes peuvent servir les objectifs de la transformation économique et digitale et être le cadre pour soutenir le développement des CDA régionaux ou des coopératives citoyennes. Les citoyens réclament une véritable décentralisation des services et emplois et une participation à la planification territoriale et au développement de leurs espaces de vie.
Résilience territoriale : Les modifications imprévisibles du climat nécessiteront une transformation de notre façon d’utiliser les surfaces et une mise de côté d’espaces d’adaptation, d’inondation, de recharge de la nappe phréatique, de verdissement urbain, de couloirs d’air frais, de déplacement des zones agricoles et forestières etc, ce qui diminuera le disponible en surfaces de développement. Les infrastructures devront être construites pour résister aux nouvelles contraintes climatiques. La capacité de séquestration naturelle de carbone du territoire devra être amplifiée, par la protection de la fonction climatique des sols, notamment pour les prairies permanentes, les zones humides et les forêts. Il s’agit d’intégrer les risques territoriaux (climatiques, géologiques, alimentaires, technologiques ou industriels…) dans les processus de planification et de contribuer à façonner et à adapter le territoire de manière préventive aux changements afin qu’il reste intact, productif et hospitalier, et afin de maîtriser les coûts de l’adaptation.
Une « révolution industrielle » qui réduit la précarité sociale et augmente la résilience territoriale a toutes les chances de réussir la transition entre le présent et l’avenir.
Pour aller plus loin, nous vous invitons à consulter le site web du Département de l’aménagement du territoire (DATer), Ministère de l’Energie et de l’Aménagement du territoire.
Le rapport du Débat de consultation sur l’aménagement du territoire à la Chambre des Députés en avril 2018 donne un bon aperçu de la situation et fait des recommandations :
https://amenagement-territoire.public.lu/fr/actualites/2018/02/DebatCHD.html
Les résultats des travaux du processus de participation de citoyens et travailleurs frontaliers au nouveau Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT 2020 – 2050) peuvent être consultés ici :
https://amenagement-territoire.public.lu/fr/strategies-territoriales/NotreFuturTerritoire.html
- Communication, Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources, COM/2011/0571 final */
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