Le terrorisme est l’épée de Damoclès contemporaine suspendue au-dessus de chaque Etat, obligeant ce dernier à s’en prémunir. La lutte contre le terrorisme s’inscrit dans un contexte sécuritaire global auquel le Luxembourg ne peut déroger. Puissance politique, économique et financière située au cœur de l’Union européenne, une multitude de flux de capitaux, de biens et de personnes transitent par le Luxembourg quotidiennement. Celui-ci n’a pas d’autre choix que de se doter d’un arsenal législatif important afin d’être compatible avec les normes anti-terroristes internationales et de l’Union européenne. Le projet de loi adaptant la procédure pénale aux besoins liés à la menace terroriste1 en est une illustration.
Ce projet de loi met en exergue l’absorption des préoccupations sécuritaires par le droit pénal luxembourgeois. Celui-ci n’a plus pour objets ni de prévenir les crimes ni de punir ceux qui les ont commis. Le droit pénal de la surveillance et du contrôle des individus apparaît. Une telle affirmation fait écho aux réflexions menées par le philosophe Michel Foucault dans son ouvrage Surveiller et Punir. Naissance de la prison2 révélant un droit pénal qui s’intègre dans une stratégie de surveillance et de contrôle de la société dans le temps et dans l’espace afin d’anticiper les risques présentés par les individus. De telles pratiques ont pour effet d’enfermer les individus au sein même de la société à laquelle ils appartiennent. Michel Foucault parle d’un continuum carcéral, autrement dit d’un enfermement des individus continu orchestré par divers acteurs publics ou privés formant la société panoptique.
Il y a lieu d’examiner dans quelle mesure la lutte anti-terroriste au Luxembourg, à la lumière du projet de loi adaptant la procédure pénale aux besoins liés à la menace terroriste, génère une surveillance des individus ayant pour effet de les enfermer au sein même de la société.
Afin de répondre au mieux à cette interrogation, il s’agit à titre liminaire de dresser les principaux contours de l’analyse de Michel Foucault percevant le droit pénal comme un instrument de surveillance sociale et de définir ce qu’est la société panoptique. Cette démarche permet de percevoir le projet de loi adaptant la procédure pénale aux besoins liés à la menace terroriste comme un moteur de la surveillance et de l’enfermement des individus dans leur propre société.
La société panoptique
Au sein de son ouvrage Surveiller et punir. Naissance de la prison, Michel Foucault décrit l’évolution d’une société traversée de toutes parts par des mécanismes disciplinaires mis en place dans le but de surveiller et de contrôler le corps social tout entier. Pour comprendre la portée de ces mécanismes disciplinaires, il est important de définir les termes de surveillance et de contrôle.
Pour parler de surveillance, l’observation doit avoir un caractère spatio-temporel, elle porte sur un endroit précis (public ou privé) et elle est continue, permanente voire systématique. Une définition sociologique de la surveillance est retenue dans le présent propos. Il s’agit de «l’attention accrue portée à des personnes et des populations dans le but de les influencer, les gérer ou les contrôler»3.
Le contrôle, quant à lui, peut être défini comme l’action d’examiner ce qui est conforme ou ce qui ne l’est pas par rapport à une norme définie par le pouvoir. Il a pour objet d’assujettir l’individu sur lequel il porte. La soumission peut être exercée par de nombreux acteurs publics et privés dont l’objet peut varier. Il s’agit tantôt d’éduquer, tantôt de soigner, de normaliser mais également d’influencer les choix des personnes afin d’en modeler la vie quotidienne.
Ces pratiques décrites par Michel Foucault se concentrent dans une prison panoptique. La particularité architecturale de cette forteresse privative de liberté est développée par le philosophe Jeremy Bentham. En son sein, chacun peut y être vu d’un seul regard par les surveillants et les détenteurs du pouvoir. La bâtisse construite sous forme de cercle est divisée en cellules traversées de part en part par de la lumière. La répartition des détenus dans les cellules rend impossible la communication entre eux. Au centre du cercle se dresse une tour, à l’intérieur de laquelle se trouvent les surveillants qui ne peuvent être vus par les détenus, afin de développer chez ces derniers «un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir»4.
Michel Foucault ajoute que le modèle architectural du panoptisme peut être utilisé au-delà du système de la justice pénale. En effet, il peut avoir pour objets l’éducation, le soin ou la production puisque les écoles, les hôpitaux et les usines en reprennent les principaux traits à savoir l’observation hiérarchisée et la discipline. Partant d’un tel constat, Michel Foucault pousse son raisonnement plus loin en supposant qu’il est peut-être question de projeter une institution disciplinaire parfaite et de montrer comment on peut «désenfermer» les disciplines et les faire fonctionner de façon diffuse, multiple, polyvalente dans le corps social tout entier»5. L’école, l’hôpital ou l’usine forment une trame carcérale et disciplinaire qui assure la continuité de la discipline et des mécanismes punitifs dans l’ensemble de la société, floutant la limite entre le milieu fermé et le milieu libre. La prison panoptique se diffuse dans la société, elle s’inscrit dans une tactique politique, dans des rapports de pouvoirs et d’assujettissement en fonction des objectifs définis. Ainsi, la forteresse privative de liberté devient une institution de dernier recours, réservée à ceux qui n’ont pu être disciplinés par les institutions qui la précèdent.
Dresser le portrait de la société panoptique telle que perçue par Michel Foucault permet d’envisager la poursuite du continuum carcéral dans la société contemporaine ayant pour objet non plus de discipliner les individus mais d’en surveiller et contrôler les comportement pour en limiter le libre arbitre. Michel Foucault apporte une grille de lecture du droit pénal contemporain, puisque de telles pratiques sont légitimées aujourd’hui à des fins de lutte anti-terroriste.
Le continuum carcéral luxembourgeois
L’absorption par le droit pénal des préoccupations sécuritaires du XXIème siècle a pour effet de multiplier les tours de la prison panoptique au sein de la société. Le droit pénal de la sécurité a pour objet non plus de punir les coupables en accord avec les principes constitutionnels de la matière, mais d’anticiper les crimes, en particulier le terrorisme. Cette anticipation du crime nous transporte en plein roman de science-fiction Minority Report de Philip K. Dick et de l’agence Precrime6. Une telle agence n’existe pas au Luxembourg mais le projet de loi adoptant la procédure pénale aux besoins liés à la menace terroriste met en place des mesures d’anticipation du crime reposant sur l’utilisation de nouvelles technologies qui y ressemblent fortement.
En effet, l’enquête sous pseudonyme7, l’identification d’un abonné ou de l’utilisateur d’un moyen de télécommunication8, la surveillance et le contrôle des télécommunications, de la correspondance postale, la sonorisation et la fixation d’images de certains lieux ou véhicules ainsi que la captation de données informatiques9 révèlent l’utilisation des nouvelles technologies dans la procédure pénale. Si ces méthodes d’enquêtes doivent être justifiées, écrites et encadrées, elles favorisent néanmoins la collecte de données et l’acquisition des contenus illicites relatifs aux personnes susceptibles d’être l’auteur de crimes et délits contre la sûreté de l’Etat ou d’actes de terrorisme et de financement de terrorisme10. La surveillance et le contrôle des télécommunications et de la correspondance postale et potentiellement la fixation d’images concernent les individus liés à «un fait d’une gravité particulière emportant une peine criminelle ou une peine correctionnelle dont le maximum est égal ou supérieur à deux ans d’emprisonnement»11. La surveillance policière est ainsi élargie à d’autres peines que celles liées au terrorisme et à l’atteinte à la sûreté de l’Etat, pratique symptomatique de la production d’un criminel dit de contexte12, en l’espèce, le criminel est le résultat d’un sentiment d’insécurité.
Le fichier centralisé hébergé par le Centre des technologies de l’information de l’Etat prend également part au continuum carcéral. Les entreprises fournissant un service de communication électronique accessible au public sont tenues de transmettre au CTIE les données relatives aux personnes physiques et les données relatives aux personnes morales13. Le projet de loi ne semble pas mentionner si le fichage s’applique à une catégorie ciblée d’individus ou à l’ensemble des clients des entreprises notifiées auprès de l’institut laissant présager une surveillance de masse privée et publique.
Ainsi, l’utilisation des nouvelles technologies au sein de la procédure pénale a pour effet de déconstruire la forteresse privative de libertés au sein même de la société et ce, au service de l’anticipation du crime comme l’observait Michel Foucault. L’individu dangereux, suspect, présentant un risque pour l’ordre et la sécurité est contrôlé et réprimé. Le continuum carcéral mis en œuvre par le droit pénal révèle que les principes fondamentaux de la matière tels que la prévisibilité et la légalité de la loi pénale sont remis en question à des fins sécuritaires. La surveillance généralisée qui en émane porte atteinte à la démocratie, à l’Etat de droit mais aussi aux libertés et aux droits fondamentaux.
1. N°6921/07 Projet de loi adaptant la procédure pénale aux besoins liés à la menace terroriste et portant modification 1) du Code de procédure pénale, 2) de la loi modifiée du 30 mai 2005 concernant la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, 3) de la loi du 27 février 2011 sur les réseaux et les services de communications électroniques
2. M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, (1975) p. 360
3. D. Lyon, „Le 11 septembre, la „guerre au terrorisme“et la surveillance généralisée“, in D. Bigo, L. Bonelli & T. Deltombe, Au nom du 11 septembre. Les démocraties à l’épreuve de l’antiterrorisme,
La Découverte, (2008), p. 93.
4. M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, (1975) p. 234.
5. Ibidem, p. 243.
6. Ph. K.Dick., Minority Report, Gollancz, (1956),p. 4-5.
7. N°6921/07 Projet de loi adaptant la procédure pénale aux besoins liés à la menace terroriste et portant modification 1) du Code de procédure pénale, 2) de la loi modifiée du 30 mai 2005 concernant la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, 3) de la loi du 27 février 2011 sur les réseaux et les services de communications électroniques, article 48-26 (1).
8. Ibidem, article 48-27.
9. Ibidem, articles 88-1, 88-2, 88-3 et 88-4.
10. Ibidem, articles 48-1 (2), 88-2 (2) a) 1.
11. Ibidem, article 82-2 (2) a).
12. G. Pavlich, „The subjects of criminal identification“, in Punishment and Society, 11 (2), (2009), p.171-190.
13. N°6921/07 Projet de loi adaptant la procédure pénale aux besoins liés à la menace terroriste et portant modification 1) du Code de procédure pénale, 2) de la loi modifiée du 30 mai 2005 concernant la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, 3) de la loi du 27 février 2011 sur les réseaux et les services de communications électroniques, article 10bis. Fichier centralisé auprès de l’Institut 1) à 3).
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