Le Grand-Duc, acteur de diplomatie

Chaque mois ou presque, une limousine Daimler, made in England, escortée par les motards de la police grand-ducale,
sillonne les rues de la capitale, sirènes hurlantes avec à son bord un aide de camp et un ambassadeur. Cette façon de faire assez ostentatoire tranche avec la discrétion habituelle de la Cour, mais elle est un élément d’un cérémonial huilé: l’accréditation des ambassadeurs étrangers auprès du chef de l’État obéit à un protocole strict et même rigide.

Les ambassadeurs remettent la lettre de créance de leur chef d’État en habit ou en uniforme national. Celle-ci contient des formules surannées voire même délicieuses, ainsi par exemple la Reine d’Angleterre s’adresse au Grand-Duc par «Monsieur Mon frère et cher cousin.»

Ils sont accueillis par le Maréchal de la Cour en habit de gala. Les aides de camp et les dames d’honneur suivent un ballet bien réglé, avant et après l’entretien du nouvel ambassadeur accrédité avec le Grand-Duc. Celui-ci dure environ un quart d’heure. Le cérémonial ajoute à la solennité de l’instant. La plupart des diplomates, dont la très grande majorité viennent de Bruxelles, avouent être impressionnés par tout cet environnement et l’état de préparation du Grand-Duc. L’accréditation auprès d’un monarque est un moment fort dans leur carrière. Ils s’en souviendront pendant très longtemps. Et leurs télégrammes envoyés auprès de leur ministre de décrire dans tous ses détails cette cérémonie qui est une vitrine du pays à l’étranger, même si elle se déroule à huis clos.

Autant le protocole omniprésent fixe un cadre rigide à l’accréditation, autant l’entretien avec le chef de l’État laisse la place à un échange libre. La personnalité très avenante du Grand-Duc est de nature à mettre à l’aise ses interlocuteurs les plus timides. Le dossier préparé par le ministère des Affaires étrangères et le cabinet du Palais sur le pays d’origine du visiteur permet une discussion de fond, politique et économique en général. Le chef de l’État profite de l’occasion pour poser des questions précises sur l’orientation que le nouvel ambassadeur entend donner à sa mission ou sur l’actualité du pays, situé parfois dans les régions les plus reculées du monde. Le conjoint de l’ambassadeur accrédité assiste à l’entretien, alors que du côté luxembourgeois le Grand-Duc est seul, le ministre des Affaires étrangères n’y assistant plus depuis très longtemps.

La cinquantaine d’accréditations d’ambassadeurs étrangers qui ont lieu chaque année sont une véritable invitation au voyage aux quatre coins de la planète. Elles tiennent à la fois de la cérémonie protocolaire et de l’échange diplomatique et politique. Par sa fonction, le Grand-Duc représente l’État. En même temps, il est un rouage déterminant de la diplomatie luxembourgeoise, en lui donnant un visage et en étant son porte-voix.

Juridiquement, les attributions d’ordre international du Grand-Duc relèvent de l’article 37 de la Constitution qui lui confère la compétence de faire les traités et du droit de légation active et passive. Autant la compétence en matière de traités internationaux tient du formalisme, autant ses responsabilités en matière de représentation diplomatique comportent un rôle actif.

Les ambassadeurs luxembourgeois envoyés en mission à l’étranger sont délégués par le Grand-Duc. Ses rapports avec ceux-ci dépassent de loin l’acte formel de signature de la lettre d’accréditation adressée au chef d’État étranger. Il est d’usage constant que les ambassadeurs luxembourgeois soient reçus au Palais avant leur départ en mission pour qu’ils développent leurs intentions. Les audiences sont bien plus longues que pour l’accréditation des ambassadeurs étrangers. La part réduite de protocole laisse aussi le champ libre à un échange plus informel et plus personnel. Entre le chef de l’État et ses ambassadeurs existe un lien étroit qui s’affermit au cours du temps. Il n’est pas rare que les diplomates luxembourgeois soient conviés à faire rapport dans le cadre de leur mission, lorsque l’actualité le commande ou tout simplement lorsqu’ils en expriment le désir. Contrairement à ce que l’on constate pour la plupart des hauts fonctionnaires, l’ambassadeur reste ainsi en contact avec le Grand-Duc, qui dispose par ailleurs avec les rapports lui provenant de l’ensemble des ambassades d’un très précieux outil d’information.

Lorsque s’annonce une visite d’État ou une visite officielle à l’étranger, les longs travaux de préparation impliquent un échange préalable entre l’ambassadeur concerné et le couple grand-ducal afin de caler les principales étapes du programme. La part du formalisme est importante, en particulier pour les visites d’État. Mais le rôle du Grand-Duc y est également multiple: très protocolaire en tant que représentant de l’État, plus «politique» en tant que porte-voix de la diplomatie luxembourgeoise. Ses interventions, en premier les discours officiels, auront été avalisés par le Premier ministre en vertu du contreseing ministériel exigé par les règles constitutionnelles. Elles peuvent selon le cas contenir des messages plus politiques dans le cadre des orientations diplomatiques fixées par le gouvernement. Par ailleurs, le chef de l’État dispose systématiquement d’un épais dossier préparé par le ministère des Affaires étrangères et qui contient toutes les informations nécessaires pour les entretiens avec les hautes personnalités du pays visité. Les entretiens en tête-à-tête avec les autres chefs d’État et les chefs de l’exécutif peuvent donner lieu à des échanges très informels, politiques voire plus confidentiels.

Dans le contexte des visites officielles, il y a lieu de relever la portée du couple grand-ducal en tant qu’acteur ainsi que le rôle non négligeable joué par la Grande-Duchesse dans la diffusion de l’image de marque du pays. Son professionnalisme dans les domaines de l’économie solidaire, de la micro-finance et de l’humanitaire ainsi que son esprit innovateur sont un élément moteur dans le dépoussiérage de certaines traditions et habitudes bien ancrées. La visite du camp de réfugiés de Gazientep en compagnie du ministre des Affaires étrangères lors de la visite d’État en Turquie en décembre 2013 illustre cette volonté de dépasser les aspects purement protocolaires et d’engager des actions fortes. Par ailleurs, son implication personnelle et son expérience des grandes institutions internationales comme l’Unesco et l’Unicef lui assure une légitimité à assumer un rôle de facilitateur dans des dossiers ponctuels.

C’est avec beaucoup de soin que le couple grand-ducal veille au déroulement des visites officielles, des discours aux programmes culturels jusqu’à l’organisation de dîners et réceptions à Luxembourg ou dans les pays hôtes. L’enjeu est diplomatique, mais aussi médiatique au sens large. Dans la représentation du Luxembourg vers l’extérieur, ces rendez-vous comptent beaucoup. Aussi le Grand-Duc et la Grande-Duchesse sont-ils pleinement conscients de leur mission en y apportant leur propre touche de modernité.
L’avantage de la durée que confère le système monarchique permet d’établir des liens personnels avec les dirigeants du monde entier. Cette connaissance est en effet un atout considérable et utile pour la diplomatie luxembourgeoise, lorsqu’il s’agit d’établir un contact ou de faire passer un message.

Les discours du Grand-Duc dans les grandes
instances internationales constituent assurément un moyen privilégié pour la diplomatie luxembourgeoise de faire entendre sa voix. Que ce soit à New York lors de l’Assemblée générale des Nations unies peu avant l’entrée au Conseil de sécurité, à Strasbourg devant le Parlement européen lors de la présidence luxembourgeoise du Conseil ou bien à Rio de Janeiro lors du sommet sur l’environnement, c’est à chaque fois au chef de l’État qu’échoit le privilège de prendre la parole au nom du gouvernement et de son pays.

La chose reste souvent inaperçue, mais le Grand-Duc reçoit également beaucoup de personnalités étrangères de passage à Luxembourg. Il ne se déroule pas une semaine sans qu’ait lieu une audience pour un Premier ministre, un ministre des Affaires étrangères, un président de Parlement ou un dirigeant des institutions européennes. Là aussi, rien n’est laissé au hasard. Chaque audience qui s’inscrit comme un des points d’orgue du programme de visite fait l’objet d’une préparation minutieuse. L’aspect protocolaire apparaît somme toute secondaire, ce qui compte c’est la profondeur de la discussion.

Mis à part le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères entretient des relations étroites avec le chef de l’État, qui le reçoit très régulièrement en colloque singulier. Leur collaboration est naturelle et sans heurts, le second étant conscient de ses obligations et de sa marge de man-Å“uvre tandis que le premier mesure l’avantage de disposer d’un monarque comme porte-voix de la diplomatie luxembourgeoise. La présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne qui va s’ouvrir illustrera d’ailleurs ce mode de fonctionnement, avec un calendrier
bien rempli.

En conclusion, le rôle du Grand-Duc en matière de diplomatie dépasse de loin l’aspect protocolaire. Il en est un acteur plein et engagé, dans le cadre fixé par le gouvernement. Son rôle d’ambassadeur «universel» peut même le conduire à des situations assez sensibles, comme lors des cérémonies du 60ème anniversaire du Débarquement, lorsque le protocole français le place à côté du président Poutine pour contribuer à détendre l’atmosphère glaciale en pleine guerre russo-
ukrainienne. u

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code