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Le Luxembourg, champion européen de la pauvreté au travail
Le Luxembourg affiche un taux de risque de pauvreté au travail (working poor) de 13 %, c’est-à-dire que 13 % des salariés (résidents) vivent dans un ménage exposé au risque de pauvreté. Autrement dit : un salarié sur sept est menacé de pauvreté au Luxembourg.
Ce risque est ainsi le plus élevé dans la zone euro et même au sein de l’Union européenne (taux moyen de 6,8 %). L’élève modèle autoproclamé en termes de finances publiques et de performances macroéconomiques – ce qui n’est pas faux – pèche par ses performances macrosociales qui sont tout au plus moyennes, voire dans certains domaines plutôt mauvaises (comme dans ce cas précis).
Rappelons qu’en juin 2010, la Commission européenne a adopté la stratégie Europe 2020 qui consiste en une « croissance intelligente, durable et inclusive ». Plusieurs objectifs chiffrés étaient avancés, dont une réduction de 25 % de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
Chaque pays devait chiffrer sa contribution nationale par rapport à ces objectifs, et le gouvernement luxembourgeois s’était engagé en 2010 à diminuer le nombre de personnes en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale de 6 000 unités en l’espace de 10 ans1. Or, par rapport à cet engagement, l’on ne peut aujourd’hui que constater un échec total.
Selon l’avis de la Chambre des salariés (CSL) relatif au projet de budget de l’Etat pour l’exercice 2023, 72 000 personnes étaient concernées par cette problématique en 2008 ; la part de ces personnes aurait donc dû être réduite et arriver à 66 000 personnes pour 2020. Or, le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale a augmenté de plus de 50 000 unités et a atteint en 2021 le nombre de 126 500 personnes selon le rapport Travail et cohésion sociale 2022 du Statec2 !
Le nouvel objectif fixé par le Luxembourg cette fois-ci pour 2030 apparaît beaucoup plus modeste (pour être gentil), avec une réduction visée de l’ordre de 4 000 personnes… Décidément, mieux vaut adapter l’objectif que de se donner les moyens d’être plus ambitieux. Or, sans plan de lutte contre les inégalités et l’exclusion sociale moyennant des objectifs intermédiaires et des mesures concrètes, même cet objectif minime risque d’être raté.
Venons-en maintenant à quelques statistiques concernant plus particulièrement les salariés exposés au risque de pauvreté et donc menacés d’exclusion sociale.
Le risque de pauvreté au travail en constante augmentation
Concernant le risque de pauvreté monétaire dans la population en général3, en 2021, 109 000 personnes vivaient sous le seuil de risque de pauvreté, soit 18,1 % de la population. Le Luxembourg dépasse ainsi la moyenne de la zone euro. Si la situation avait semblé se stabiliser en 2020, le risque de connaître une situation de pauvreté a regagné du terrain en 2021 et concerne près de deux personnes sur dix à l’heure actuelle.
Si les chômeurs sont relativement plus touchés par le risque de pauvreté, il faut tout de même ne pas oublier que le travail ne met pas nécessairement à l’abri de la pauvreté monétaire, puisque 13 % des salariés sont concernés par ce risque. Les salariés à temps plein sont de l’ordre de 11,8 % à ne pas être protégés contre la paupérisation, et ce ratio monte à 21,2 % s’il s’agit de temps partiel. En dix ans, la situation des salariés face à ce risque n’a fait qu’empirer et le Luxembourg est en la matière le plus mauvais élève des pays de la zone euro.

Cela signifie que 13 % des salariés résidants ayant un emploi vivent dans un ménage qui est menacé de pauvreté, malgré le fait qu’ils disposent d’un salaire régulier. On constate à l’aulne de la définition du risque de pauvreté que non seulement le revenu de l’individu joue un rôle, mais aussi la situation4 et la composition5 de son ménage. Comme ces phénomènes jouent également un rôle dans les autres pays, cela n’empêche toutefois pas le Luxembourg de se distinguer par une performance particulièrement médiocre.
On constate une tendance clairement à la hausse au Luxembourg : ce taux s’élevait à 10 % en 2012, à 11 % en 2014 et à 12 % en 2020. Le Luxembourg affiche ainsi une des hausses les plus fortes du taux de risque de pauvreté au sein de l’Union européenne (+31 %) entre 2012 et 2021, alors qu’il existe également des pays où ce risque a évolué à la baisse.
Même le travail à temps plein et sous CDI ne protège pas contre le risque de pauvreté
Le taux de risque de pauvreté des femmes salariées (13,8 %) est plus élevé que celui des hommes (12,3 % en 2021), reflétant certainement en partie le fait que les femmes travaillent plus souvent à temps partiel6. Il convient toutefois de préciser que le travail à temps plein (largement majoritaire) ne protège pas non plus du risque de pauvreté qui s’élève à 11,8 %, en deuxième position derrière la Roumanie (moyenne UE-27 : 7,4 %).
La précarité du contrat de travail à durée déterminée (CDD) se reflète également en termes de risque de pauvreté au travail, qui est deux fois plus élevé que pour les personnes en contrat à durée indéterminée (CDI) : 23,8 % en 2021 par rapport à 12 %. Si ce constat peut apparaître choquant, il n’explique pourtant pas la mauvaise performance globale du Luxembourg en matière de working poor. Premièrement, les CDD sont moins répandus au Luxembourg comparativement à d’autres pays, mais il y a surtout lieu de relever que pour le taux de risque de pauvreté des personnes en CDI, le Luxembourg occupe avec ses 12 % également, et de loin, la première place devant la Bulgarie avec 8,7 % (moyenne de l’UE-27 : 5,3 %).

Les CDD étant beaucoup plus fréquents auprès des jeunes travailleurs, il n’est malheureusement pas étonnant de constater que ces derniers affichent un taux de risque de pauvreté (21 % pour les travailleurs de 18 à 24 ans) beaucoup plus élevé que la moyenne de 13,5 %.
Finalement, on peut encore relever que le niveau de qualification joue également un rôle important : pour le niveau inférieur (niveaux 0-2, CITE 20117), le taux s’élève à 27,4 %, pour le niveau moyen (niveaux 3-4) à 14,6 % et pour le niveau supérieur (niveaux 5-8) à 8,2 %.
Nécessité d’améliorer les transferts sociaux
De manière générale, il convient de relever que le taux de risque de pauvreté de la population, tout comme celui des salariés, est mesuré après la prise en considération des transferts sociaux8.
Clairement, la baisse de l’efficacité des transferts sociaux au Luxembourg – démontrée par la CSL dans son Panorama social 20229 – contribue également à la hausse du risque de pauvreté des travailleurs. La désindexation des prestations familiales, la non-adaptation d’autres prestations comme l’allocation de vie chère, mais certainement aussi la non-adaptation du barème et des crédits d’impôt à l’inflation (qui touche surtout les salaires inférieurs et moyens) jouent donc un rôle important dans cette tendance à l’augmentation du taux de risque de pauvreté.
Néanmoins, si, comme on l’a vu, les performances en ce qui concerne le risque de pauvreté ne sont pas bonnes, elles sont carrément mauvaises dans la comparaison européenne si l’on considère uniquement les salariés – ceci vaut d’ailleurs également pour d’autres catégories de personnes, à l’instar des locataires et des ménages avec enfants, plus particulièrement les monoparentaux10.
En dehors des mesures à prendre pour diminuer le taux de risque de pauvreté en général, il y a donc certainement lieu de prendre également des mesures ciblées pour endiguer le phénomène de la pauvreté au travail.
Une insatisfaction de plus en plus grande avec le salaire
Dans ce contexte, il est intéressant – ou plutôt inquiétant – de noter que la part des salaires dans la valeur ajoutée est en baisse au cours de la période récente, alors que la part revenant aux sociétés a augmenté, ce qui entraîne mécaniquement une baisse des salaires dans la valeur ajoutée.
On constate d’ailleurs dans le cadre du Quality of Work Index, élaboré par la CSL avec l’Université du Luxembourg et l’Institut des sciences sociales appliquées à Bonn, que les salariés au Luxembourg sont de plus en plus insatisfaits de leur rémunération : une tendance claire et nette à la baisse est constatée (-9 % du score en 2022 par rapport à 2014, première année de l’enquête), et 2022 constitue même l’année avec le plus faible score jamais obtenu. Dont acte.

Un des leviers pour augmenter l’attractivité du « site économique » Luxembourg dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre semble donc clairement établi…
Le salaire social minimum insuffisant face aux obligations européennes
Une augmentation structurelle du salaire social minimum constitue certainement le mécanisme-clé pour améliorer la situation des salariés en risque de pauvreté.
Le salaire minimum compte parmi les outils les plus importants du marché du travail pour combattre les inégalités et la précarité des salariés. Il devrait permettre de répondre aux attentes d’un salaire décent pour vivre dignement de son travail, en étroite relation avec les conditions économiques générales et, tout particulièrement, avec le niveau de vie et le coût de celle-ci à l’échelle locale.
Il s’agit donc de comparer le salaire minimum par rapport aux seuils de 60 % du salaire médian, voire à 50 % du salaire moyen, qui constituent des seuils minima préconisés par la nouvelle directive européenne relative aux salaires minima.
On constate que ces critères ne sont pas respectés par le Luxembourg selon les dernières données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le graphique ci-dessus montre que si ces critères étaient ceux appliqués à la fixation du salaire minimum, beaucoup de salariés bénéficieraient d’une hausse de leur rémunération.
Outre ces indices, le budget de référence établi par le Statec pourrait être utilisé pour déterminer si le niveau du salaire minimum est adéquat. Pourtant, la comparaison entre salaire minimum net et budget de référence est décevante : le salaire minimum est trop faible pour permettre à un adulte seul, tout comme à un monoparental, de vivre décemment. Autrement dit, le salaire minimum luxembourgeois n’est pas en mesure d’atteindre le budget de référence défini comme étant le budget minimal requis pour une vie décente, même après sa hausse de 3,2 % au 1er janvier 2023.
Par ailleurs, en dehors du salaire minimum, les conventions collectives constituent un instrument important pour favoriser la réduction des inégalités salariales et la revalorisation des bas salaires, ce que reconnaît également la directive européenne en disposant que « chaque État membre dans lequel le taux de couverture des négociations collectives est inférieur à un seuil de 80% prévoit un cadre offrant des conditions propices à la tenue de négociations collectives, soit sous la forme d’une loi après consultation des partenaires sociaux, soit sous la forme d’un accord avec lesdits partenaires sociaux ». Dans ce but, les Etats membres doivent, en concertation avec les partenaires sociaux, se doter d’un plan d’action de promotion des négociations collectives.

Or, force est de constater que le taux de couverture des conventions collectives s’élève à environ 60 % pour l’ensemble de l’économie au Luxembourg, selon l’enquête sur la structure des salaires du Statec, et pour l’instant, le Grand-Duché ne dispose pas non plus d’un plan d’action national en faveur des négociations collectives, alors que le programme gouvernemental de 2018-2023 prévoit une réforme de la législation relative aux conventions collectives pour atteindre une plus large couverture des salariés.
Conclusion
Au lieu d’adapter les objectifs sociaux à la politique peu ambitieuse menée ces dernières années en termes de lutte contre le risque de pauvreté, il serait nécessaire de se donner les moyens et de prendre des mesures politiques incisives pour endiguer une tendance de plus en plus inquiétante au niveau du risque de pauvreté en général, et plus particulièrement au niveau du risque de la pauvreté au travail.
1 Concept plus large que le taux de risque de pauvreté monétaire, car il inclut également la faible intensité de travail du ménage et la privation matérielle.
2 Même si la population au Luxembourg est passée de 511 800 personnes fin 2010 à 645 397 fin 2021 (+26 %), cet accroissement démographique ne justifie pas l’augmentation des personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.
3 Proportion de personnes qui vivent dans un ménage disposant d’un revenu disponible équivalent se situant en dessous du seuil de risque de pauvreté, fixé à 60 % du revenu disponible équivalent médian national (après transferts sociaux).
4 Existence éventuelle d’un deuxième revenu ou bénéfice de transferts sociaux.
5 Un revenu donné peut être considéré comme suffisant pour une personne seule, alors qu’il est insuffisant lorsque le ménage est composé de plusieurs personnes.
6 Ce phénomène n’a pas plus d’impact sur le taux de risque de pauvreté par sexe, parce qu’on prend en considération le revenu du ménage et non seulement le revenu de la personne en question.
7 La classification internationale type de l’éducation.
8 On y fait abstraction des prestations en nature.
9 Dans le tableau de bord social européen publié dans le cadre du Semestre européen 2023, le Luxembourg est classé « à suivre » pour l’impact des transferts sociaux sur la pauvreté.
10 Notons d’ailleurs que la situation relative au taux de risque de pauvreté et d’exclusion sociale des enfants est qualifiée de critique par la Commission européenne dans le dernier tableau de bord social publié dans le cadre du Semestre européen 2023.
Après des études en sciences politiques et en sciences économiques à l’Université libre de Bruxelles, Sylvain Hoffmann a commencé à travailler auprès de la Chambre des employés privés en 2001. Depuis 2019, il occupe le poste de directeur de la Chambre des salariés (issue de la fusion de la Chambre des employés privés et de la Chambre de travail).
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