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Le pacte sur la migration et l’asile
Chronique d’une mort annoncée ?
En septembre 2020, la Commission européenne présenta un pacte sur la migration et l’asile censé couper le nœud gordien des blocages entre les Etats membres à ce sujet. Blocages causés par des intérêts antagonistes et des agendas nationaux qui mènent à des positions en apparence inconciliables. Si les enjeux ressemblent dès lors aux efforts pour trouver la quadrature du cercle, reste à savoir si ce pacte est à la mesure des ambitions ou ne va pas rapidement connaître le même sort que de nombreux autres projets de réforme antérieurs.
L’essoufflement de l’élan de solidarité de 2015
Au plus tard depuis 2015 et la très mal nommée crise migratoire, l’Union européenne cherche à trouver une solution à la répartition entre les Etats membres des hommes, femmes et enfants venant sur le continent européen à la recherche d’une protection ou, plus simplement, d’un avenir meilleur. En effet, l’arrivée en grand nombre de réfugiés originaires des conflits du Moyen-Orient, et plus particulièrement du bourbier syrien, avait mis à nu les défaillances criantes de la clé de répartition actuelle, connue sous le nom de règlement Dublin.
Basé essentiellement sur des critères géographiques, ce système exerce une grande pression sur les pays au bord de la Méditerranée, comme la Grèce et l’Italie, au profit des pays plus éloignés des principales routes migratoires. A cela s’ajoutent les politiques isolationnistes et égoïstes de pays comme la Hongrie, situés aux portes d’une autre voie migratoire, celle passant par les pays Balkans et qui ont fermé leurs frontières par tous les moyens.
Ces mêmes pays excellent depuis plusieurs années dans leur aversion manifestée à l’égard de toute forme de solidarité avec les Etats membres du Sud pour l’accueil de migrants. Loin d’être de pure rhétorique, cette posture s’exprime aussi dans les faits sous forme de traitements répressifs réservés à des migrants qui viennent à transiter par ces pays. A tel point que tant la Cour européenne des droits de l’homme que la Cour de justice de l’Union européenne ont sanctionné les pratiques hongroises comme étant contraires au droit européen et aux libertés fondamentales1.
L’élan de solidarité qui avait gagné une large partie de la population européenne en 2015, notamment sous l’effet de l’image insoutenable du cadavre d’un gamin de trois ans échoué sur une plage, s’est vite essoufflé et, du moins dans les sphères politiques, a fait place à une volonté à peine voilée de réduire autant que possible les possibilités d’accéder au continent européen.
L’accord que l’Union européenne a passé en mars 2016 avec la Turquie en est la parfaite illustration avec la mesure phare du refoulement de la Grèce vers l’ancien Empire ottoman d’un grand nombre de personnes ayant franchi la frontière entre ces deux pays, en échange de monnaie sonnante et trébuchante. Un total de 6 milliards d’euros fut promis au gouvernement turc en rémunération de cet engagement à tenir éloignés les migrants des frontières de l’Europe. Le même pouvoir turc qui n’hésite pas à utiliser les réfugiés retenus sur son sol comme des pions dans un cynique jeu d’échec géopolitique pour faire du chantage à l’égard de ses partenaires européens, menaçant de leur ouvrir les frontières si l’Union ne cède pas à de nouvelles demandes d’aide.
Un projet avorté sous la Commission Juncker
En septembre 2017, la Commission européenne, sous la présidence de Jean-Claude Juncker, avait présenté un projet de réforme du système européen d’asile estampillé comme étant « plus solide, plus efficace et plus juste ». En premier lieu, il visait à procéder à la « réinstallation » de 50 000 personnes retenues en Turquie dans le but de leur éviter de devoir faire le trajet dangereux d’une immigration clandestine, tout en permettant aux Etats membres de l’Union de contrôler en amont le profil des candidats et le flux de migrants. Cette partie de la réforme est la seule à avoir pu être mise en œuvre. Du moins partiellement, dans la mesure où jusqu’en mars 2019, seulement 22 000 personnes avaient pu profiter de cette voie de migration sécurisée.
Basé sur l’idée qu’il faut prévoir davantage de voies légales d’immigration pour empêcher les gens de prendre tous les risques pour entrer de manière clandestine en Europe, le projet de réforme prévoyait également une révision du système de la carte bleue, équivalent de la green card aux Etats-Unis. Il s’agissait d’assouplir les règles pour pouvoir prétendre à une immigration légale vers un continent dont la croissance économique crée un besoin continu de main-d’œuvre, tout en offrant des alternatives aux traversées périlleuses à celles et ceux que le désespoir fait prendre le chemin de l’exode.
Ce fut surtout cette mesure – couplée à l’idée d’un plan d’urgence pour les réfugiés retenus dans le traquenard de la Libye, avec l’objectif de baisser un tant soit peu les murs de la forteresse Europe – qui a conduit à l’échec du projet de réforme de la Commission Juncker ; ceci face à l’opposition de nombreux pays membres à toute réforme pouvant être considérée comme trop favorable à l’immigration.
Objectif principal : améliorer le taux des retours et limiter le nombre des arrivées
A l’opposé de ces projets visant à améliorer la situation des personnes désireuses d’atteindre saines et sauves le sol européen, le plan Juncker avait aussi prévu d’améliorer l’efficacité des retours dans leurs pays d’origine respectifs de celles et ceux qui n’avaient pas réussi à obtenir une autorisation de séjourner de manière régulière en Europe. Cet objectif devait être réalisé grâce à des accords passés avec les pays d’origine pour accroître leur volonté de coopération, lorsque des nationaux malheureux doivent être retournés bon gré mal gré.
Le plan présenté en septembre 2020 par la nouvelle Commission sous la présidence Von der Leyen reprend cet objectif sous le slogan « agir ensemble pour approfondir les partenariats internationaux ». Il ne se limite cependant pas à vouloir conclure des accords bilatéraux avec les pays d’origine pour, en quelque sorte, monnayer la reprise de personnes à expulser, mais va plus loin dans ce que l’on peut appeler l’exportation de la politique migratoire de l’Union européenne. Il est prévu de fournir une « aide aux partenaires […] pour la mise en place d’une capacité effective de gouvernance et de gestion de la migration2».
Sous ce langage de marketing politique se cache l’intention de rémunérer les bons élèves qui réussissent soit à empêcher leurs nationaux d’émigrer, soit à retenir ceux qui sont en transit vers l’Europe. L’intention de contribuer à long terme à une amélioration des conditions de vie dans les pays d’origine ne saurait masquer cet objectif purement égoïste et d’éloigner à court terme tant que possible des frontières européennes les candidats à l’émigration.
Dans une lignée similaire se situe le renforcement envisagé de l’agence Frontex, laquelle, aux vœux de la Commission, devrait devenir « le bras opérationnel de la politique de l’UE en matière de retour3». La même agence qui se trouve actuellement dans le collimateur pour sa supposée complicité, sinon pour le moins abstention coupable, à l’égard de refoulements illégaux en mer de demandeurs d’asile par les garde-côtes grecs4. Dans ce contexte, les termes « bras opérationnel » prennent une tournure beaucoup plus martiale, sachant que le contrôle interne de ce mastodonte est inopérant voire, selon certains critiques, carrément sabordé par sa direction actuelle.
Un autre projet du nouveau pacte se présente comme une avancée majeure, mais à y regarder de plus près, il comporte le risque de ne faire qu’exacerber les problèmes dans les camps de réfugiés à la périphérie de l’Union, tout en s’inscrivant dans les efforts d’éloignement des migrants. Il s’agit de l’intention de procéder à un premier filtrage à la frontière extérieure de l’Union pour ne laisser pénétrer sur le territoire des Etats membres que les personnes issues de pays dont le taux de reconnaissance des demandes d’asile est supérieur à 20 %. Pour les autres, qui ont le malheur de venir d’un pays se situant en dessous de cette barre arbitraire, l’examen de leur demande devrait se faire à l’intérieur des camps installés à la périphérie, les fameux hot spots, le tout sans véritable garantie donnée quant à la qualité de cet examen qui est censé se faire de manière accélérée et comporte le risque de discrimination en fonction du pays d’origine. En effet, une personne qui a des besoins avérés de protection, par exemple en raison d’activités politiques réprimées, ne risque-t-elle pas de passer à la trappe en raison de la provenance d’un pays où la majorité des demandes est rejetée ?
Sans parler de la situation dans ces camps qui sont à l’heure actuelle au bord de la rupture pour accueillir dignement leurs « pensionnaires », tel que nous l’a rappelé l’incendie ayant ravagé en septembre 2020 le camp Moria sur l’île grecque de Lesbos. Mis à part des généralités non contraignantes, on cherche en vain dans le nouveau pacte des mesures concrètes pour améliorer les conditions de vie dans ces camps.
Une réforme alambiquée du règlement Dublin et une lumière au tableau
Le plat de résistance de cette réforme était celle du règlement Dublin afin de mettre un terme à ce déséquilibre criant au détriment de certains Etats et à l’errance à travers l’Europe de milliers de personnes qui ont eu le malheur de choisir un autre pays que celui prévu par les règles actuelles.
Comme la proposition de réforme de 2016 visant à introduire des quotas pour la répartition entre tous les Etats membres a échoué, la Commission propose maintenant un système complexe qui entend cependant maintenir le critère principal de la responsabilité des Etats dans lesquels le migrant a posé pied en premier. Certes, on ajoute des critères nouveaux tels que l’existence de liens familiaux, le fait d’avoir déjà travaillé ou étudié dans un pays, mais comme la plupart des personnes n’ont jamais vécu auparavant en Europe, les pays à la périphérie, tels que l’Italie ou la Grèce, risqueront toujours d’être les plus exposés.
Ce n’est que lorsque l’exécutif européen déclenchera un mécanisme de crise au cas où un pays serait soumis à une « pression » migratoire trop forte pour la gérer seul que les règles classiques peuvent être suspendues pour être remplacées par un « mécanisme de solidarité obligatoire ». Il mettrait alors à contribution tous les Etats membres selon une clé de répartition à décider par la Commission. Dans un geste d’obéissance anticipée à l’égard des pays réfractaires à tout accueil de réfugiés sur leur sol, le pacte permet à ceux-ci de ne pas participer à cet effort d’accueil, mais de se charger plutôt d’organiser le retour de migrants refusés définitivement. Loin d’être « obligatoire », la solidarité aurait donc une porte de secours dont l’efficacité doit être mise en doute. Si un Etat membre a déjà essayé en vain d’éloigner une personne, pourquoi un autre aurait plus de succès dans cette même tâche ?
Seule réelle lumière au tableau : le projet de voir les migrants sauvés en mer obligatoirement accueillis en Europe et non plus, comme c’est de plus en plus souvent le cas, refoulés sans avoir pu introduire une demande d’asile. Il est également recommandé aux Etats membres de ne plus sanctionner les ONG qui procèdent à des opérations de sauvetage.
Dès sa présentation, le nouveau pacte réussit l’exploit d’être vertement critiqué tant par les partisans d’une ligne dure contre l’immigration que par ceux qui s’érigent en défenseurs de la cause des migrants. Il est indéniable que l’Europe nécessite un renouveau de sa politique migratoire et que la tâche pour l’y amener est loin d’être aisée. Le projet présenté comme nouveau pacte ressemble cependant trop à du vieux vin dans de nouvelles bouteilles pour être capable d’offrir une réelle perspective d’apporter l’amélioration convoitée et requise tant pour les Etats membres que les migrants. Si des raisons politiques vont probablement le sauver d’un enterrement de première classe, il est fort à parier que de nombreuses mesures vont passer à la trappe lors de la sinueuse recherche d’un consensus entre les intérêts divergents.
- Voir arrêts de la CJUE du 14 mai 2020 dans les affaires jointes C-924/19 PPU et C-925/19 PPU et du 17 décembre 2020 dans l’affaire C808/18 ; arrêt de la CEDH du 21 novembre 2019 n° 47287.
- Note de bas de page : communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur un nouveau pacte sur la migration et l’asile du 23.9.2020.
- Idem
- https://tinyurl.com/m4h4mvzs (dernière consultation : 24 mars 2021).
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