Le volet du pouvoir législatif (de la Chambre des députés) et du Conseil d’Etat fait l’objet de la « proposition de révision des Chapitres IV et Vbis de la Constitution » – « le quatrième et dernier volet de la réforme fondamentale [sic] de la Constitution », document parlementaire n° 7777. C’est à ce document que je vais me référer.

La question du pouvoir législatif soulève d’emblée les interrogations suivantes : d’où et de quelle façon une constitution ou une révision constitutionnelle tiennent-elle leur légitimité ? Suffit-il d’une majorité qualifiée (2/3) à la Chambre des députés et à quelles tractations faut-il se résoudre ou se résigner pour l’acquérir ? Ou bien faut-il une légitimité plus forte par un vote populaire, à savoir un référendum ? Mais alors ne faut-il pas craindre, comme en 1915, un rejet plus ou moins massif, peut-être pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le contenu de la révision ? Rappelons que dans le cas d’un rejet par un simple « non », cela ne signifierait ni plus ni moins que le maintien de la Constitution actuelle. Et donc aussi le rejet des timides avancées démocratiques du projet de révision. Je reviendrai à cette question du référendum. 

Sur le fond, c’est toute la question fondamentale du rapport entre le pouvoir constituant et du pouvoir constitué qui se pose. J’avoue qu’il n’y a pas de réponse simple à cette question. Mais on peut se demander si la Chambre des députés peut (comme c’est prévu maintenant) s’instituer elle-même comme pouvoir constituant pour s’instituer en même temps comme pouvoir constitué ?

Va-et-vient

Mais d’abord un bref rappel. Après de longues années de discussions sur une éventuelle révision constitutionnelle, M. Paul-Henri Meyers (CSV), président de la commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle, déposa en 2009 le projet de révision n° 6030. C’est sur la base de ce texte que la commission reprit ses travaux et ses débats. Une décennie plus tard, le 7 juin 2018, la majorité de la commission adopta son rapport sur les travaux de la commission et sur le texte de la proposition de révision au sujet duquel les partis de la majorité gouvernementale et le CSV s’étaient mis d’accord (document parlementaire n° 6030.27). M. Alex Bodry présidait alors la commission et avait été désigné comme rapporteur. Avec l’accord du CSV, on aurait donc pu s’attendre à une majorité des deux tiers à la Chambre des députés, nécessaire à toute modification ou refonte de la Constitution. La question du référendum (entre les deux votes prévus à la Chambre) n’avait pas encore été définitivement tranchée. D’ailleurs, cette question d’un référendum a fait, ces dernières années, l’objet d’un va-et-vient qui n’a pas été favorable à un débat serein. Hormis de la part de M. Bodry, il n’y eut guère de réflexion sur la façon dont on pourrait organiser le référendum et formuler les questions pour éviter les ambiguïtés d’un vote majoritaire et les dérives possibles d’une telle forme de démocratie directe.

Peu de temps après l’accord de 2018 survint le coup d’éclat du CSV sur l’initiative de leur nouveau président, M. Frank Engel. Le CSV avait été renvoyé dans les rangs de l’opposition en 2013. Il se peut que le coup d’éclat se voulait une sorte de revanche et de tentative pour se démarquer plus nettement comme parti d’opposition. Quoi qu’il en soit, le CSV dénonça donc l’accord des quatre partis et rendit caduque l’attente d’une majorité qualifiée à la Chambre. Il désavoua par là-même son représentant au sein de la commission, M. Paul-Henri Meyers, son ex-président et signataire du projet n° 6030. S’ensuivirent alors les marchandages dont le résultat se présente aujourd’hui sous forme d’une découpe en tranches de la révision constitutionnelle. 

Comme pour le référendum, il y eut un va-et-vient sur l’objectif et la portée de la révision : s’agit-il d’une modernisation, d’un simple dépoussiérage, d’une adaptation aux pratiques réelles ou bien d’une vraie rénovation, donc d’une Constitution nouvelle ? Entre ce double va-et-vient, le lien saute aux yeux : une minimisation de la portée justifierait peut-être un abandon du référendum promis. 

En 2018 encore : « L’ampleur des modifications a cependant pris une envergure telle qu’il a paru logique de parler du projet d’une nouvelle Constitution pour le Grand-Duché de Luxembourg », (6030.27, considérations générales). Comment éviter le référendum s’il s’agissait d’une « nouvelle Constitution » ? Trois ans plus tard : « Il a donc été convenu de revenir à l’idée d’origine de proposer une révision substantielle de la Constitution actuelle plutôt que d’élaborer une toute nouvelle Constitution », (7777, exposé des motifs). Or, les textes d’aujourd’hui ne diffèrent que peu de l’ensemble de 2018 et certaines dispositions vont même plus loin.

On a donc bien l’impression que ce va-et-vient politique et terminologique ainsi que la minimisation de la portée (« modernisation », etc.) doivent servir à justifier l’abandon de la promesse pourtant unanime : soumettre la nouvelle version de la Constitution à la décision du souverain.

Une constitution en tranches ?

Une constitution est un tout, dont les parties interagissent entre elles et ne sont vraiment compréhensibles que comme parties d’un tout. Comment peut-on séparer la question des droits fondamentaux des procédures parlementaires qui doivent les garantir, du contrôle constitutionnel qui doit les protéger et donc de la justiciabilité « qui permet aux individus de se protéger1 » ? Comment peut-on séparer les chapitres sur le gouvernement de ceux sur la Chambre et le Conseil d’Etat ?

Là encore, on ne peut s’empêcher d’y voir une manœuvre tactique. Apparemment, sur les quatre volets, la majorité qualifiée est acquise… on se demande alors pourquoi l’ensemble de la Constitution n’aurait pas pu être voté à la Chambre ? Et être soumise à un référendum entre les deux votes parlementaires obligatoires ? 

On objectera – comme on le fait souvent sur la question d’une démocratie plus directe et comme on l’a fait après le résultat décevant du référendum sur la Constitution européenne – qu’une matière aussi complexe ne saurait être tranchée par un « oui » ou un « non ». Et que (je me répète) le vote citoyen peut avoir d’autres motifs que le véritable objet de la question. J’avoue ne pas avoir une position tranchée sur la question de la démocratie directe et du référendum, et je suis d’accord qu’une sage prudence s’impose. Mais, encore une fois, tout dépend de la question posée et du débat qui précède le vote. 

Chambre renforcée ?

Selon l’exposé des motifs du projet 7777, celui-ci entendrait « renforcer le rôle de la Chambre des Députés et des représentants élus du peuple, tout en introduisant également un élément novateur de démocratie directe ».

Allons donc voir de plus près.

On aurait pu croire que cela devait aller de soi, mais on s’étonne rétrospectivement que la Constitution en vigueur ne définisse même pas la Chambre des députés comme pouvoir législatif, ni comme organe de contrôle du pouvoir exécutif. C’est maintenant chose faite : « Elle [la Chambre] exerce le pouvoir législatif. Elle contrôle l’action du Gouvernement », (7777, art. 50). Cette mission de contrôle est un ajout par rapport à la version de 2018, et ce n’est pas rien.

Autre nouveauté inscrite après 2018 : le vote obligatoire (Wahlpflicht), inscrit jusqu’ici seulement dans la loi électorale. Il pourrait donc être aboli par une simple majorité parlementaire. Dorénavant, c’est une disposition constitutionnelle, inspirée de la Constitution belge : « Le vote est obligatoire et secret. Ses modalités sont déterminées par la loi », (7777, art. 51). L’abolition du vote obligatoire exigerait donc une majorité des deux tiers à la Chambre. Sachant que l’obligation de vote n’existe que dans peu d’Etats et qu’elle est souvent contestée par des esprits libéraux (au nom de la liberté, précisément), il s’agit là effectivement d’une modification importante et courageuse. La « liberté » évoquée contre l’obligation risque de devenir un piège pour les classes défavorisées. Les exemples à l’étranger montrent bien que les abstentions sont souvent particulièrement fortes chez celles et ceux qui auraient le plus grand intérêt à peser sur les décisions politiques. 

Le Grand-Duc ne dissoudra plus !

Les dispositions concernant la dissolution de la Chambre et les élections anticipées, déjà formulées dans le texte de 2018, revêtent, elles aussi, une réelle importance selon l’article en vigueur : « Le Grand-Duc peut dissoudre la Chambre. Il est procédé à de nouvelles élections dans les trois mois au plus tard de la dissolution. » On peut s’étonner que cette subordination explicite du pouvoir législatif à l’exécutif, vestige de la monarchie (plus ou moins) libérale du XIXe siècle, ait pu se maintenir aussi longtemps. La crise politique de 2013, après le vote de défiance sur le gouvernement Juncker, a révélé le caractère antidémocratique et anachronique de cette disposition. 

L’anachronisme prendrait fin avec la nouvelle Constitution, qui renforcerait l’autonomie du pouvoir législatif. Il n’y aurait plus de dissolution de la Chambre. Des élections anticipées ne pourront avoir lieu qu’à l’issue d’un processus parlementaire : soit rejet d’une motion de confiance du gouvernement, soit adoption d’une motion de censure. La Chambre élue restera en fonction jusqu’à l’installation de la nouvelle, issue des élections anticipées.

Initiative citoyenne et commission d’enquête

Selon l’exposé des motifs du projet 7777, « les deux modifications les plus substantielles concernent l’introduction d’une initiative législative citoyenne et le seuil pour la mise en place d’une commission d’enquête ». Ces deux modifications étaient déjà inscrites dans le texte de 2018.

L’initiative législative citoyenne est présentée comme « un élément novateur de démocratie directe » (exposé des motifs). On aurait pu s’attendre à ce qu’une telle modification substantielle ait droit à un chapitre à part, du genre « formes de démocratie directe ». Au lieu de quoi, la disposition apparaît discrètement sous « Autres attributions de la Chambre des Députés » (art. 67). Néanmoins, il faut reconnaître qu’il s’agit là d’une véritable innovation.

Cent vingt-cinq électeurs peuvent présenter une proposition législative motivée. Si la proposition est soutenue par 12 500 électeurs, la Chambre des députés « se prononce en séance publique ». La Chambre reste – comme il se doit en démocratie représentative – maître du jeu, le citoyen n’aura pas d’influence directe sur sa décision. Il n’est donc pas correct de présenter cette disposition comme un « instrument novateur de démocratie directe » (7777, présentation des chapitres). L’innovation (car c’en est une) ne va pourtant pas bien plus loin qu’un droit de pétition élargi. On ne saurait correctement parler de démocratie directe que si à l’issue d’un processus démocratique, les citoyen·nes peuvent avoir le dernier mot. Selon la nouvelle formule, la Chambre peut décider d’un référendum, mais elle n’y est pas obligée. Dans leur proposition alternative, Déi Lénk s’est efforcé de développer un modèle adéquat qui respecte les compétences du Parlement et de la Cour constitutionnelle (afin de protéger les droits fondamentaux), tout en permettant au peuple d’exercer, le cas échéant et en dernière instance, le pouvoir de décision.

Deuxième « modification substantielle » : le droit d’enquête de la Chambre. La Constitution actuelle détermine que la « Chambre des Députés a le droit d’enquête », sans autre précision en ce qui concerne la procédure de décision, ce qui signifie implicitement qu’un vote majoritaire est requis. Selon le nouveau texte, et cela depuis le projet de révision déposé par M. Meyers en 2009, « une commission d’enquête doit être instituée si un tiers au moins des députés le demande » (art. 69). Il s’agit d’une avancée démocratique réelle, qui « renforce les pouvoirs de contrôle parlementaire, plus particulièrement ceux de l’opposition » (commentaire des articles). La majorité gouvernementale ne suffira plus à rejeter une demande d’enquête.

Conseil d’Etat : en attente d’un vrai débat …

Les dispositions sur le Conseil d’Etat sont reprises telles quelles du texte de 2018. Les remarques et questions sur ce texte énoncées en 2018 sont donc toujours pertinentes. Le commentaire des articles du projet 7777 rappelle à juste titre que la création du Conseil d’Etat (qui ne figurait pas dans la Constitution libérale de 1848) remonte au putsch du Roi-Grand-Duc de 1856. La nouvelle institution devait freiner, au service de l’exécutif, l’ardeur législative. La Constitution de 1868 était l’expression d’un compromis. Certaines libertés comme la liberté de la presse furent rétablies… et le Conseil d’Etat fut maintenu. Sa composition, qui ne fait pas l’objet d’une disposition constitutionnelle, fait depuis toujours l’objet de marchandages entre les partis. Sa composition politique est censée refléter celle de la Chambre, ce qui, pour une organe consultatif supposé être indépendant, est pour le moins surprenant.

On ne saurait reprocher aujourd’hui au Conseil d’Etat d’être une institution réactionnaire ou un simple instrument du gouvernement. Ses avis sont d’une utilité certaine, ils contribuent à éviter des pannes juridiques, voire des dérives anticonstitutionnelles. Cela n’exclut pas une collusion malsaine avec le gouvernement ou la majorité gouvernementale. Pendant longtemps, le Conseil d’Etat a souverainement ignoré les propositions de loi émanant des députés (évidemment, surtout celles de l’opposition). Il aura fallu une entrevue entre les représentants de la Chambre et du Conseil d’Etat pour qu’il s’efforce de les prendre au sérieux. Mais, en contradiction avec les dispositions constitutionnelles en vigueur, il se permit encore, sur la proposition de révision constitutionnelle de Déi Lénk, un avis bidon. Et la promesse de travailler sur un avis sérieux attend toujours d’être tenue. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Conseil d’Etat n’est pas un fervent promoteur du débat public, du discours sans domination cher au philosophe Jürgen Habermas ; sans ce débat ouvert et égalitaire, une démocratie ne mériterait pas son nom.  

 

  1. Voir Véronique BRUCK, « Mieux proclamer pour moins protéger ? », dans forum n° 339, avril 2014, p. 7-9, https://www.forum.lu/article/mieux-proclamerpour-moins-proteger (dernière consultation : 18 octobre 2021).

Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.

Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!

Spenden QR Code