- Gesellschaft
Le racisme dans le monde du travail – un point de vue syndical
« L’OGBL aspire – dans le cadre de la démocratie parlementaire – à créer un ordre économique et social dont l’activité vise le bien commun, dans lequel l’individu et son bien-être passent au premier plan et dans lequel l’exploitation de l’homme par l’homme est rendue impossible. » C’est l’objectif premier déclaré par l’Onofhängege Gewerkschaftsbond Lëtzebuerg (OGBL) via ses statuts. En ce sens, la lutte contre toutes sortes de discriminations, dont le racisme, fait partie des principes non négociables de l’organisation, et ce, depuis ses débuts, il y a désormais presque 45 ans. D’ailleurs, c’est, en règle générale, l’un des principes fondateurs du mouvement syndical européen et mondial.
En effet, le mouvement syndical considère, généralement parlant, que les salarié·es ou les travailleur·ses, étant obligé·es de vendre leur force de travail pour subvenir à leurs besoins, ont un intérêt commun, et ce, peu importe leur genre, leur origine, leur appartenance ethnique ou religieuse, ou encore leur orientation sexuelle. Eventuellement, cela n’amoindrit pas les différences ou les tensions qu’il peut y avoir entre différents groupes – mais cela leur confère un intérêt et donc un but communs et crée en quelque sorte une communauté d’intérêts.
Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir, à l’intérieur même du mouvement syndical, des tensions ou des discriminations basées sur des critères comme l’origine, l’appartenance ethnique ou autres. En ce sens, et afin de garantir une représentation appropriée des différents groupes potentiellement concernés par cela, l’OGBL a très rapidement commencé à créer des structures spécifiques, comme notamment le Département des femmes, le Département des travailleurs handicapés ou encore le Département des immigrés.
L’initiative pour ces créations de structures émanait souvent directement des personnes concernées, comme ce fut le cas pour le Département des immigrés. Depuis sa création, beaucoup de choses ont changé, le monde du travail luxembourgeois est devenu plus divers, la main-d’œuvre non luxembourgeoise (beaucoup) plus nombreuse. Pour autant, cela a-t-il amoindri les discriminations racistes ? La question peut être posée.
Ainsi, quand on discute avec des militant·es et/ou des délégué·es syndicaux·ales de secteurs ayant une forte proportion de salarié·es d’origine non luxembourgeoise, des épisodes de racisme plus ou moins ouvert sont cités sans grande difficulté. Cela va de la vendeuse francophone qui se fait agresser oralement par un client luxembourgeois parce qu’elle ne maîtrise pas la langue luxembourgeoise, à un chef d’équipe qui lance une banane à une personne racisée de son équipe, en passant par des personnes mises à l’écart de manière régulière parce qu’elles n’ont pas la même origine que le reste de l’équipe.

Sylvie Lombardi, déléguée OGBL dans le secteur du transport et de la logistique ainsi que membre du Département des immigrés, constate : « Selon mon point de vue, les personnes dont la représentation sociale est visible sont plus susceptibles d’être victimes de discriminations lors du processus d’embauche et dans l’emploi. La couleur de la peau et l’origine ethnique d’une personne peuvent être à l’origine d’une distinction physique. Certaines autres particularités comme un accent, un nom de famille à consonance étrangère ou la tenue vestimentaire peuvent être à l’origine d’une distinction visible et faire l’objet de discriminations sur base d’un ou de plusieurs critères à connotation raciste. » Certaines discriminations, selon elle, ne sont pas forcément des actes conscients. La nature systémique de certaines discriminations amène certains individus à avoir des comportements souvent liés à des préjugés et aux stéréotypes existants. Par ailleurs, selon elle, des manifestations de discrimination plus franches peuvent déjà commencer avant l’embauche : « Déjà à ce stade-là, la photo, le nom de famille ou le lieu de résidence pourraient avoir une influence sur la décision que le recruteur prendra. »
Maria das Dores Azevedo, déléguée OGBL dans le secteur du nettoyage, tient ces propos : « Il peut y avoir des discriminations, mais elles sont souvent difficiles à prouver. Par exemple, si quelqu’un n’est pas embauché pour un travail, on ne va pas lui dire que c’est à cause de ses origines ou de son appartenance ethnique. On est souvent dans du ressenti, donc on a peu de faits que l’on peut prouver devant les juridictions. » Pour elle, cela rend la question épineuse ou difficile à saisir dans son intégralité.
Pour Catarina Salgueiro Maia, déléguée OGBL dans le secteur du nettoyage, il y a beaucoup de formes différentes de discriminations dans le monde du travail, qui sont souvent liées, mais difficiles à démêler. « Dans notre secteur, il y a déjà une forme de discrimination basée sur le genre. C’est un secteur “de femmes”, dont les entreprises sont souvent gérées par des hommes, qui ne connaissent rien à l’activité. »
Maria das Dores Azevedo souligne que dans son entreprise, il n’y a pas de responsable racisé. « Mais peut-on dire avec certitude qu’il s’agit là d’une discrimination raciste ? », soulève Sonia Neves. « Comment est-ce que je vais pouvoir prouver qu’il s’agit d’une discrimination raciste ? »
Sylvie Lombardi appuie ces propos : « Il est en effet difficile de prouver certaines situations discriminatoires. J’ai l’impression qu’il y a de moins en moins de discriminations directes, que cela prend plutôt la forme de situations moins franches, donc plus difficiles à prouver. » Des situations qui, à cause de leur caractère répétitif, vont générer un climat malsain et des difficultés d’intégration dont vont découler inévitablement un mal-être chez les salarié·es concerné·es.
Maria das Dores Azevedo, pour qui les différents types de discrimination sont souvent liés entre eux, affirme que ces discriminations ont des répercussions sur la vie privée des gens, mêlant la vie professionnelle à la vie privée : « Il y a une forme de discrimination qui se fait très tôt chez les enfants. Cela commence avec les formulaires que les enfants doivent remplir à l’école pour savoir quel est le travail de leurs parents. C’est déjà une façon de catégoriser les enfants par appartenance sociale dès le plus jeune âge. »
Catarina Salgueiro Maia se souvient du même genre de discriminations : « Qu’est-ce que je n’ai pas dû entendre quand mon fils est entré au lycée classique ! », s’exclame-t-elle.
Sylvie Lombardi soulève la question des signes apparents d’une appartenance religieuse : « Il y a des règlements intérieurs qui interdisent les signes distinctifs religieux au même titre que les tatouages par exemple. » Maria das Dores Azevedo dit avoir été témoin d’un tel cas : « Récemment, j’ai vu une personne voilée se voir refuser l’accès à un lieu de travail sur base d’une telle interdiction, alors que moi, sans voile, je suis passée sans problème. Je comprends que cela peut être perçu comme discriminatoire. »
Catarina Salgueiro Maia revient sur la problématique linguistique qui, pour toutes les interlocutrices, semble être un facteur de discrimination majeur : « Je vois qu’il y a beaucoup de tensions autour de la question de la langue, même entre collègues. » Maria das Dores Azevedo enchaîne : « C’est effectivement un problème. Et le problème, c’est que les cours de langue ont toujours lieu en dehors des heures de travail, donc après le travail. Comment veux-tu apprendre sérieusement une langue après huit heures de travail, quand tu as en plus une famille, des enfants ? »
Via les témoignages de Sylvie Lombardi, Catarina Salgueiro Maia et Maria das Dores Azevedo, on peut déceler quelques éléments qui semblent être centraux pour traiter la question du racisme d’un point de vue syndical.
Le premier de ces éléments, qui ressort aussi des discussions avec d’autres délégué·es syndicaux·ales, est le suivant : les différentes formes de discrimination au travail sont intimement liées et quasiment impossibles à démêler. Souvent, il est difficile de distinguer des discriminations basées autant sur le genre que sur l’origine ou sur la classe sociale. Ce qui souligne l’importance, pour le travail syndical, de mettre en avant la condition de salarié·e des personnes concernées et leur intérêt commun en tant que tel.
Un autre élément qui ressort de tous les témoignages recueillis est la difficulté à prouver les discriminations racistes au travail. S’agissant de racisme ouvert dans une minorité de cas, il est souvent question de discriminations plus ou moins cachées, à la limite de l’acceptable ou du légal, souvent déguisées sous forme de blagues ou de traitements de (dé-)faveur. Dès lors, il est très difficile d’agir en tant que délégué·e du personnel et/ou en tant que syndicat. La seule véritable arme dont disposent les délégué·es syndicaux·ales lorsque les discriminations sont difficilement prouvables est la prévention et l’éducation.
Enfin, une problématique prépondérante au Luxembourg semble être la question de la langue, qui est à l’origine de bon nombre de tensions. Là, les solutions semblent plus claires que dans d’autres cas de figure : des cours de langue doivent non seulement être pris en charge pour les salarié·es, ils doivent aussi pouvoir être suivis pendant le temps de travail et sur demande du·de la salarié·e.
Il reste à dire, enfin, que dans un pays où quasiment la moitié des habitant·es et la majorité des salarié·es ne disposent pas du droit de vote, et ne peuvent donc pas influencer politiquement les prises de décision les concernant, l’engagement syndical et la prise en compte des intérêts particuliers de groupes sociaux victimes de discriminations sont primordiaux. Si cela n’est évidemment pas la solution miracle contre tous les maux, l’alliance objective qui se crée entre groupes sociaux liés par leur condition de salarié·es, les luttes et les engagements communs ainsi que l’échange qu’il peut y avoir dans les différentes structures constituent une arme forte dans la lutte contre toutes sortes de discriminations – et pour un ordre social et économique « dans lequel l’exploitation de l’homme par l’homme est rendue impossible ».
Sonia Neves est présidente du Département des immigrés de l’OGBL depuis mars 2021.
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