Le rôle des acteurs locaux dans l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés au Luxembourg1
La recherche sur l’accueil des réfugiés, en Europe et de par le monde, porte une attention croissante au rôle des acteurs dits locaux. Jusqu’à peu, l’accueil était considéré comme une question quasi exclusivement nationale. Il est vrai que les Etats centraux gardent toute leur importance, notamment en ce qui concerne les processus de décision. Cependant, l’accueil se joue aussi à une échelle locale, en particulier pour la mise en œuvre des politiques. Quel est donc le rôle des acteurs locaux dans l’accueil des demandeurs et bénéficiaires de protection internationale au Luxembourg ?2
Contrairement à, par exemple, un pays comme l’Allemagne où la régionalisation est très marquée, le Luxembourg est un Etat centralisé. Par conséquent, dans le cas du Grand-Duché, il est difficile d’identifier ces acteurs locaux. Les autorités communales peuvent certes être considérées comme des acteurs locaux. Mais quid de l’Office Luxembourgeois d’Accueil et d’Intégration (OLAI) et des sociétés d’utilité publique ou fondations comme la Croix-Rouge luxembourgeoise et Caritas Luxembourg qui sont en charge ou interviennent dans l’accueil ? Ont-ils un ancrage national ou local ? Et qu’en est-il des bénévoles et associations qui s’engagent au quotidien dans les communes auprès des résidents des structures d’accueil ?
Dans cet article, après avoir déterminé qui sont les acteurs « locaux » impliqués dans l’accueil des demandeurs et bénéficiaires de protection internationale au Luxembourg, nous verrons que ces acteurs jouent un rôle relativement marginal dans la conception de la politique d’accueil. Cependant, les acteurs locaux prennent de plus en plus d’importance dans la mise en œuvre opérationnelle de cette politique.
Les acteurs locaux
Les acteurs locaux impliqués dans l’accueil au Luxembourg sont à première vue peu nombreux. En effet, l’organisation principale en charge de l’accueil des demandeurs de protection internationale est une agence gouvernementale, l’OLAI (Office Luxembourgeois d’Accueil et d’Intégration), créée en 2009 et rattachée au ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région3. Elle opère principalement à un niveau national et ne possède à l’heure actuelle pas d’antennes locales. Les principaux objectifs de l’OLAI sont la coordination et la mise en œuvre de l’accueil des demandeurs de protection internationale, ainsi que la promotion de l’intégration de tous les étrangers dans la société luxembourgeoise.
L’OLAI est responsable des structures d’accueil4. En revanche, une partie de leur gestion est déléguée à Caritas ou à la Croix-Rouge. Par exemple, en 2017, les deux organisations s’occupaient de 25 des 67 structures existantes dans le pays, ce qui équivalait à 2.517 places d’accueil sur un total de 4.132 disponibles5. Néanmoins, même dans les cas où la gestion est sous-traitée à Caritas ou à la Croix-Rouge, les conditions matérielles d’accueil demeurent sous la responsabilité de l’OLAI.
Caritas et la Croix-Rouge ont à la fois un ancrage national et local. Le Service Solidarité & Intégration de Caritas et le Service Migrants et Réfugiés de la Croix-Rouge coordonnent à un niveau national l’implication de chacune des organisations dans l’accueil des demandeurs de protection internationale. Tout comme l’OLAI, Caritas et la Croix-Rouge n’ont pas d’antennes locales opérant au niveau de l’accueil et disposant d’une certaine autonomie organisationnelle. Cependant, Caritas possède des coordinateurs régionaux, et dans les structures où la gestion est sous-traitée à Caritas et à la Croix-Rouge, des assistants sociaux et éducateurs de ces organisations travaillent quotidiennement avec les résidents sur place. Dans les structures gérées directement par l’OLAI, il n’y a pas d’assistants sociaux ou éducateurs détachés en permanence à l’intérieur de l’établissement. Toutefois, les employés de l’OLAI rendent régulièrement visite aux résidents.
Des acteurs absents de la politique d’accueil
Caritas et la Croix-Rouge sont donc des acteurs nationaux, mais possédant un certain ancrage local. Néanmoins, ces acteurs « locaux » ne sont que peu impliqués dans la prise de décision, tout comme de façon générale les ONG luxembourgeoises. Par exemple, lorsque le gouvernement a transposé en 2015 la refonte de la directive européenne établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, les ONG luxembourgeoises ont été consultées par l’intermédiaire du Collectif Réfugiés Luxembourg (LFR). En revanche, une partie de leurs propositions ont ensuite été écartées au cours du processus législatif.
Les autorités communales ne sont pas plus impliquées dans le processus de décision. Au Luxembourg, il n’existe pas de mécanisme de distribution pour la répartition des demandeurs de protection internationale entre les différentes communes. Les autorités communales n’ont donc pas d’obligation d’accueillir des demandeurs de protection internationale. Le ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région et l’OLAI doivent périodiquement faire appel au soutien volontaire des communes lorsque le nombre de demandeurs de protection internationale devient plus important. Par ailleurs, un dispositif d’appui aux communes a été mis en place6.
Cependant, la création de nouvelles structures d’accueil a entraîné des oppositions provenant d’une partie de la population locale de certaines communes. Par exemple, la construction de quatre « villages conteneurs » devant accueillir des demandeurs de protection internationale avait été annoncée en 2015 par le gouvernement. Finalement, un seul des quatre « villages » initialement prévus a été ouvert dans la ville de Diekirch. En ce qui concerne les autres villes, des groupes de citoyens ont déposé des recours devant le tribunal administratif pour faire obstacle aux plans d’occupation du sol (POS) du gouvernement. Dans ces cas, les citoyens, en tant qu’acteurs locaux, ont joué un rôle important en annulant la création des structures.
Dans les cas où les structures voient le jour, l’implication des communes concerne ensuite principalement les domaines qui relèvent habituellement de leurs compétences. Ces domaines comprennent, par exemple, la scolarisation des enfants et le transport scolaire. En effet, les autorités communales ne participent pas à la gestion quotidienne des structures. Néanmoins, dans certains lieux sont organisés des comités de suivi auxquels prennent part les équipes encadrantes des structures, les employés de l’OLAI et des communes.
La participation des communes concerne également les Offices sociaux où les bénéficiaires de protection internationale, mais non les demandeurs de protection internationale, peuvent solliciter des prestations sociales et un soutien (par exemple : logement social, soins médicaux).
C’est d’ailleurs dans le domaine de l’intégration des bénéficiaires de protection internationale que les communes sont appelées à jouer un rôle plus important notamment par le biais des Commissions Communales Consultatives d’Intégration (CCCI). Ces commissions sont en charge du « vivre ensemble » au sein de leur commune et des intérêts des résidents de nationalité étrangère. Par ailleurs, les liens de coopération que les communes entretiennent avec l’OLAI sont plus forts dans le domaine de l’intégration.
Une plus grande inclusion au niveau opérationnel
Suite à des ajustements opérationnels, les acteurs à ancrage local connaissent une plus grande implication dans la mise en œuvre concrète de l’accueil.
En 2015, un plan d’urgence a été adopté pour répondre à l’augmentation des demandes de protection internationale (elles s’élèvent à 2.447 cette année-là, contre 1.091 en 2014). Ce plan visait à accueillir tous les demandeurs entrants et à fournir l’assistance nécessaire. Il a conduit à une extension substantielle de la capacité globale du système d’accueil luxembourgeois, avec pour conséquence une augmentation des structures d’accueil sur l’ensemble du territoire national. Le nombre de places d’accueil disponibles est ainsi passé de 2.000 à plus de 4.0007.
Dans ce contexte, le gouvernement a décidé d’accroitre l’implication de Caritas et de la Croix-Rouge dans la mise en œuvre de la politique d’accueil. Ces organisations gèrent en effet désormais un nombre plus important de structures qu’auparavant.
De plus, suite à la création de nouvelles structures, dans certaines communes, les autorités ont adressé des appels au bénévolat aux citoyens. Ainsi, des bénévoles s’impliquent au sein des structures d’accueil de leurs communes et organisent des activités, comme des cours de français.
Par ailleurs, il existe également des initiatives de groupes de citoyens, comme par exemple « Open Home » qui vise à mettre en relation des habitants dans différentes communes avec des demandeurs ou bénéficiaires de protection internationale. Cette initiative a ainsi permis à un certain nombre de résidents de quitter les structures d’accueil pour vivre avec ces habitants dans des logements privés au Luxembourg. En outre, l’initiative Open Home est révélatrice du fait que les structures d’accueil hébergent non seulement des demandeurs, mais aussi des bénéficiaires de protection internationale. En effet, en 2018, dans l’ensemble des structures d’accueil du pays résidaient 38,2% de demandeurs de protection internationale, 49,2% de bénéficiaires de protection internationale et 12,6% de déboutés8. En raison de la pénurie de logements abordables au Luxembourg, les bénéficiaires de protection internationale rencontrent des difficultés à trouver un logement. Ils continuent ainsi à résider dans des structures d’accueil après la fin de leur procédure de demande de protection internationale.
- Les auteurs remercient Sylvain Besch et Claudia Paraschivescu pour leur relecture de l’article.
- Deux projets traitant de l’accueil des demandeurs et bénéficiaires de protection internationale au Luxembourg sont actuellement menés à l’Institute of Geography and Spatial Planning de l’Université du Luxembourg.
- Le projet REFUGOV soutenu par le Fonds National de la Recherche (FNR) (https://refugov.uni.lu/) est dirigé par Lucas Oesch et géré par Léa Lemaire. La recherche porte sur le rôle des acteurs locaux et municipaux dans la gouvernance des structures d’accueil pour réfugiés au Luxembourg et en Jordanie.
- Le projet CEASEVAL soutenu par le programme Horizon 2020 de recherche et d’innovation de l’Union européenne (http://ceaseval.eu/) est dirigé au Luxembourg par Birte Nienaber et géré par Claudia Paraschivescu, Lorenzo Vianelli et Lucas Oesch. La recherche consiste en une évaluation du régime d’asile européen commun et notamment des systèmes d’accueil nationaux, dont celui du Luxembourg.
- Cette configuration sera certainement amenée à changer dans un futur proche. En effet, le 25 janvier 2019, le gouvernement a accepté un projet de loi (n°7403) créant une nouvelle organisation s’occupant uniquement de l’accueil, et rattaché au ministère des Affaires étrangères et européennes.
- Les demandeurs de protection internationale (DPI) ont déposé une demande auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ils sont dans l’attente d’une décision vis-à-vis de leur statut. Ils n’ont le droit de travailler qu’après six mois, mais rencontrent souvent des difficultés d’ordre administratif pour accéder à l’emploi. L’OLAI couvre leurs besoins de première nécessité. Lorsque le ministère accepte leur demande, ils deviennent bénéficiaires de protection internationale (BPI). Ils sont censés trouver un travail et subvenir eux-mêmes à leurs besoins, mais peuvent bénéficier du revenu d’inclusion sociale (REVIS) en attendant.
- Lorenzo Vianelli/Lucas Oesch/Birte Nienaber, National report on the governance of the asylum reception system in Luxembourg, 2019, p. 27. Disponible sur: http://ceaseval.eu/publications/WP3_Luxembourg.pdf (toutes les pages Internet auxquelles est fait référence dans cette contribution ont été consultées pour la dernière fois le 30 août 2019).
- OLAI, Tout savoir sur l’accueil de demandeurs et de bénéficiaires de protection internationale dans ma commune (mai 2019), Luxembourg, Ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région.
- http://www.olai.public.lu/fr/publications/rapports/rapports_activite_olai/rapport_activite_olai_15.pdf
- https://gouvernement.lu/dam-assets/fr/publications/rapport-activite/minist-famille-integration-grande-region/2018-rapport-activites/Rapport-d-activite-2018-Version-definitive-le-28-fevrier-2019.pdf
Als partizipative Debattenzeitschrift und Diskussionsplattform, treten wir für den freien Zugang zu unseren Veröffentlichungen ein, sind jedoch als Verein ohne Gewinnzweck (ASBL) auf Unterstützung angewiesen.
Sie können uns auf direktem Wege eine kleine Spende über folgenden Code zukommen lassen, für größere Unterstützung, schauen Sie doch gerne in der passenden Rubrik vorbei. Wir freuen uns über Ihre Spende!
