Le squelette qui danse ou la Toussaint mexicaine

Les chrétiens occidentaux se rendent sur la tombe familiale le jour de la Toussaint, généralement vêtus de noir. Le deuil et la douleur relèvent pour la plupart d’entre nous de la sphère privée que certains cachent derrière des lunettes de soleil. Au Luxembourg, la pluie et le brouillard automnal rendent en plus cette atmosphère quelque peu glauque, ce qui confère à la visite au cimetière un caractère triste et sinistre. La Toussaint est le jour où l’on se souvient des proches décédés ; c’est le plus souvent un événement triste … un jour où il faut être triste? La célébration du jour des Morts au Mexique nous montre qu’il y a une façon extraordinaire et différente de célébrer les défunts.


Elle nous apprend avant tout que les chrétiens, et parmi eux les catholiques, ont des traditions différentes pour les honorer.

Dans son ouvrage Le labyrinthe de la solitude, l’écrivain mexicain Octavio Paz, lauréat du prix Nobel de littérature en 1990, explore l’essence de l’identité mexicaine, notamment l’intimité avec la mort. Il compare cette intimité à l’attitude occidentale face à la mort, suggérant que « pour l’habitant de Paris, New York ou Londres, la mort est ce mot qu’on ne prononce jamais parce qu’il brûle les lèvres. Le Mexicain, en revanche, la fréquente, la raille, la brave, dort avec, la fête, c’est l’un de ses amusements favoris et son amour le plus fidèle. Certes, dans cette attitude, il y a peut-être autant de crainte que dans l’attitude des autres hommes; mais au moins le Mexicain ne se
cache pas d’elle, ni ne la cache1». Paz explique ensuite que « l’indifférence du Mexicain face à la mort se nourrit de l’indifférence face à la vie » et parlant au nom de son peuple, il dit qu’elle « ne nous fait pas peur parce que “la vie nous a guéri des épouvantes”2 ».

Le jour des Morts mexicain3, le día de los muertos – ou plutôt « jours » au pluriel, car le 31 octobre est dédié aux assassinés, le 1er novembre aux enfants morts (los angelitos, les petits anges) et le 2 novembre aux adultes décédés –, symbolise cette attitude caractéristique face à la mort. Lors de ces trois jours, les squelettes du papel picado (guirlandes faites de papier coloré et découpé) roulent en vélo, se baignent, dansent et boivent de la bière, tandis que les vivants échangent des crânes en sucre ou en chocolat et décorent les tombes d’oeillets d’Inde (cempasúchil) et de sucreries. À la maison, les familles dressent des autels avec des portraits des défunts, leur mets préféré, le pan de muertos (le pain des morts), des guirlandes, des oeillets d’Inde et de l’encens symbolisant le passage de la vie à la mort.

Une figure à ne pas ignorer dans le contexte de cette tradition festive est Catrina, personnage emblématique incarnant la mort et présent sur les marchés, les maisons et les murs mexicains. Elle a été baptisée ainsi par le célèbre muraliste Diego Rivera, l’époux de Frida Kahlo, même s’il n’a pas été le premier à l’intégrer dans ses oeuvres. À la fin du XIXe siècle, José Guadalupe Posada utilisait déjà les crânes et squelettes à des fins d’illustration. À l’époque, le squelette avec un grand chapeau de femme représentait ceux qui prétendaient être Européens, niant leur sang indigène et leur culture4. Aujourd’hui, il s’agit d’une figure populaire omniprésente, même au-delà du jour des Morts, qui a fait son entrée dans le dernier film James Bond. Tout comme les squelettes colorés, elle personnifie l’attitude mexicaine envers la mort : on respecte et honore les défunts, mais pour gérer ses émotions, on se moque de la mort, on ne la prend pas au sérieux. Peut-être ne s’agit-il pas nécessairement d’indifférence comme le relève Octavio Paz de manière pointue, mais plutôt d’une façon de ressentir autrement le contact avec la fin de la vie (terrestre).

Kim Nommesch

1 Octavio Paz, El laberinto de la soledad, 3e édition, Fondo de cultura económica, Mexique, 1999, p. 63.
2 Idem.
3 En 2008, cette fête était inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel.
4 http://culturacolectiva.com/origen-e-historia-de-la-catrina/.
(Photos: CC BY Kim Nommesch)

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