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Le suicide au Luxembourg
Le grand incendie est le titre d’un documentaire récemment présenté au Centre national de l’audiovisuel à Dudelange. Réalisé par Samuel Bollendorf et Olivia Colo, il décrit la vague de suicides par immolation en France entre 2011 et 2013, notamment dans certaines grandes entreprises, et interroge le sens
de tels actes.
Le Luxembourg a, semble-t-il, été épargné par des phénomènes d’une telle ampleur, mais la question du suicide et de sa prévention a reçu une certaine attention dans le pays ces dernières années. En témoignent, entre autres, l’organisation depuis 2007 des Journées nationales de prévention du suicide par des professionnels intéressés, et une prise de conscience des autorités politiques. Plusieurs déclarations gouvernementales ont abordé le sujet, un débat à la Chambre des députés a eu lieu et le Plan national de prévention du suicide a été présenté en juillet 2015.
Dans cet article, nous allons décrire certains concepts employés en suicidologie avant de présenter quelques chiffres sur le suicide au Luxembourg. Les défis et les perspectives d’avenir pour le pays seront discutés par la suite. Pour conclure, nous essaierons de répondre à la question : peut-on réellement prévenir tous les suicides ?
Concepts clés en suicidologie
«On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif,
accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire ce résultat », écrivait Émile Durkheim en 1897.1
Le Larousse (2015) le définit comme « acte de se donner volontairement la mort ». Le terme dérive du latin sui (« soi ») et caedere (« tuer »). En allemand, le
terme Selbstmord coexiste avec celui de Freitod, dont l’équivalent français « mort volontaire » n’est que rarement utilisé. Les deux termes ont une connotation
morale et philosophique certaine, de sorte que les auteurs contemporains – au moins ceux proches des théories psychopathologiques – préfèrent utiliser les
mots Selbsttötung ou Suizid, plus neutres de ce point de vue. De la même manière, on recommande aujourd’hui d’utiliser en français « suicide accompli » plutôt que « suicide réussi ».
Une tentative de suicide (TS) est un acte intentionnel posé par la personne dans le but de se suicider, mais qui n’aboutit pas à la mort.
Les conduites parasuicidaires sont des actes autoagressifs, dont l’intention suicidaire (au moins consciente) n’est pas à l’avant-plan. C’est un concept
plus large que la tentative de suicide classique qui inclut des comportements comme les automutilations (Selbstverletzungen).2
La crise suicidaire est une crise psychique dont le risque est le suicide. Elle comprend généralement plusieurs étapes, allant du simple flash suicidaire au
passage à l’acte, en passant par les ruminations, les idéations suicidaires fréquentes et la phase de cristallisation suicidaire. Elle est souvent réversible.
Le suicide en chiffres
Le nombre de suicides recensés au Luxembourg est en baisse depuis 1975. Les chiffres des 15 dernières années (de 2000 à 2014)3 montrent, en effet, une
certaine stagnation malgré l’évolution démographique. Alors que la population a augmenté d’environ 20 %, le nombre absolu de suicides est resté quasiment stable durant cette période.
Le suicide touche environ trois fois plus d’hommes que de femmes. Durant les 15 dernières années, 295 femmes et 807 hommes se sont suicidés au Luxembourg.
Les données de mortalité générale montrent que près d’un décès sur 50 est un suicide. En 2013, le suicide représentait ainsi 2,61 % de l’ensemble des décès masculins et 1,66 % des décès féminins.
Les taux de décès par suicide augmentent régulièrement à partir de 25 ans, puis plus fortement à partir de 75 ans. La catégorie d’âge la plus touchée par
les suicides est celle des personnes âgées de 80 à 84 ans. Les personnes issues de cette catégorie d’âge se suicident environ 6 fois plus souvent que les jeunes
de 15 à 19 ans. La surreprésentation des hommes et des personnes âgées est similaire dans les autres pays développés.
Les personnes de nationalité luxembourgeoise sont surreprésentées dans les chiffres des décès par suicide. Alors que la proportion des non-Luxembourgeois
avoisine les 45 % de la population totale4, ils ne représentent pourtant que 27,6 % des décédés par suicide.
En clair, 72,4 % des personnes décédées par suicide au Luxembourg entre 2000 et 20135 sont de nationalité luxembourgeoise, 5,9 % de nationalité portugaise,
4,9 % de nationalité belge, 4,9 % de nationalité française, 3,3 % de nationalité allemande, 2,6% de nationalité italienne et 1,1% de nationalité (anciennement) yougoslave. Les autres nationalités représentent moins d’un pour cent du total des suicidés. La surreprésentativité des citoyens luxembourgeois dans les chiffres du suicide ne saurait uniquement être expliquée par la structure de la population, les citoyens luxembourgeois âgés de plus de 50 ans étaient effectivement bien plus nombreux que les citoyens non-luxembourgeois6.
Toujours pour la période de 2000 à 2013, les résidents du Grand-Duché sont de loin les plus représentés dans les décès par suicide. Ils représentent 93,6 %
des suicidés, contre 6,4 % pour les non-résidents. Considérant le nombre de frontaliers venant travailler au Luxembourg et de non-résidents de passage, nous pouvons supposer que le Luxembourg ne connaît pas de « tourisme du suicide ».
La comparaison européenne du nombre de suicides montre que le Luxembourg se situe dans la bonne médiane des 28 pays de l’Union européenne. En 2012, près de 62 000 personnes se sont suicidées dans l’Union, portant ainsi le taux de suicide standardisé selon l’âge à 12 par 100 000 habitants. Ce taux varie de 3,8 à 28,2 entre les 28 pays. Il est le plus élevé dans ceux de l’est et le moins élevé dans ceux du sud de l’Union européenne. Le Luxembourg se situe en dessous de la moyenne européenne, avec un taux de suicide standardisé selon l’âge de 8,7 par 100 000.7
En ce qui concerne les tentatives de suicide, il n’y a pas de chiffres précis pour le pays. On considère en général qu’elles sont 10 à 20 fois plus nombreuses que les suicides accomplis.
Défis et perspectives d’avenir
De nombreuses études8 ont montré que la très grande partie des suicides est liée à un trouble mental grave. Le risque de tentatives, voire de suicides accomplis, est en effet plus élevé pour les sujets présentant un trouble de l’humeur (p.ex. état dépressif majeur ou trouble bipolaire), un trouble psychotique, une addiction et un trouble de la personnalité, notamment avec une impulsivité récurrente. Pour ne pas dépasser le cadre du présent article, rappelons uniquement que l’origine et le devenir des maladies psychiatriques sont liés à de multiples facteurs qui s’influencent mutuellement et dont l’importance relative peut être différente d’un sujet à l’autre et d’une maladie à l’autre. De manière très succincte, on peut citer les facteurs génétiques, somatiques, développementaux,
biographiques, psychologiques, relationnels et sociaux.
Le défi principal des prochaines années réside dans la diminution du nombre de suicides et de tentatives de suicide en en combattant les causes et les effets.
Pour y parvenir, le Luxembourg a besoin d’une approche intégrative et structurée dans le temps. Plusieurs perspectives sont nécessaires pour atteindre cet
objectif ambitieux, perspectives que nous résumons en six points :
Amélioration du repérage des personnes suicidaires. La formation initiale et continue de professionnels de la santé semble être la clé de voûte de ce défi. Plusieurs programmes à l’étranger ont montré l’efficacité d’investir dans cette approche qui permet p. ex. d’obtenir une meilleure détection et prise en charge des états dépressifs.9
Offre de prises en charge adéquates aux personnes atteintes de maladies mentales associées au suicide. Il est crucial que les personnes touchées puissent bénéficier des soins les plus adaptés par les professionnels les mieux habilités.10 À cet effet, il faudra aussi sortir de l’ambiguïté ambiante à l’égard des psychotropes. Il s’agit de reconnaître aux médicaments leur juste place et savoir les utiliser à bon escient. Ceci n’enlève évidemment rien à la place que les approches psychothérapeutiques, d’orientations diverses d’ailleurs, doivent prendre dans les prises en charge selon des indications bien choisies. Nous observons malheureusement trop souvent qu’une fois un état de crise passé (p.ex. après une tentative de suicide), le sujet et son entourage s’accommodent très vite d’un retour à l’état antérieur sans continuer à interroger le sens qu’il pouvait y avoir derrière un symptôme ou un comportement.
Amélioration du réseautage entre les structures hospitalières, extra-hospitalières et les travailleurs de la santé oeuvrant en libéral. Les personnes en souffrance psychique sont particulièrement vulnérables lors des moments de transition. Ces transitions doivent se chevaucher pour garantir un déroulement continu et sécurisant pour la personne, toute coupure dans la chaîne de la prise en charge peut avoir des conséquences fatales pour une personne en crise. Dans un système de soins avec de plus en plus d’acteurs et une nette volonté politique d’un « virage vers l’ambulatoire », ceci n’est pas une équation simple à résoudre ! Les missions des différents acteurs doivent être bien définies.
Amélioration de la compréhension du suicide au Luxembourg par des études visant à analyser les trajectoires sociales et de soins des personnes mettant un terme à leur vie. Il s’agira notamment d’étudier ces trajectoires par des autopsies psychologiques des suicidés. Des sous-groupes particulièrement à risque pourront éventuellement être détectés. Des études sur les facteurs de protection sont également d’une grande importance : savoir comment certaines personnes ont surmonté une crise suicidaire permet de comprendre ces facteurs de protection et de les renforcer auprès des personnes en souffrance.
Amélioration de la communication et de la sensibilisation en matière de promotion de la santé mentale, notamment chez les hommes. Les hommes sont plus touchés par le suicide, ils sont aussi moins enclins à demander de l’aide en cas de problèmes mentaux et ont souvent des stratégies d’adaptation moins performantes que les femmes. Par ailleurs, les professionnels de la santé ont tendance à sous-estimer la présence de certaines maladies mentales chez les hommes, tendance que l’on désigne plus communément par les termes de gender biais. La communication en matière de messages de prévention à la santé mentale devrait tenir compte de ces différences de genre.
Amélioration de la résilience collective par la promotion de programmes de vigilance partagée en lien avec la souffrance mentale. La pratique montre que les meilleures sentinelles en santé mentale sont les collègues de travail, les camarades de classe ou plus simplement les personnes du voisinage. Les personnes en souffrance se confient plus volontiers à ces personnes qu’à leur supérieur hiérarchique ou à un professionnel de la santé. Sensibiliser les personnes de l’entourage au repérage de la crise suicidaire, à l’écoute attentive et non discriminante ainsi qu’à l’orientation de personnes en souffrance fait partie des actions de prévention les plus prometteuses en matière de prévention du suicide.
La diminution du nombre de suicides est devenue un objectif important de santé publique au Luxembourg. Depuis cet été, le pays dispose d’un Plan national
de prévention du suicide11, plan quinquennal de 33 actions qui seront réalisées durant la période de 2015 à 2019. Ce plan d’actions adopte une approche bio-psycho-sociale qui tient compte de la multitude des facteurs qui influent directement ou indirectement sur le suicide. La prévention du suicide concerne non seulement les structures de santé et de soins, mais toute la communauté au sens large : les proches, les écoles, le monde du travail …, chacun a un rôle important à jouer.
Peut-on réellement prévenir tous les suicides ?
Poser la question est y répondre ! D’un côté, nous pouvons soigner et soutenir les personnes malades et en souffrance et, en effet, la grande majorité de ces personnes ne vont pas se suicider. Elles pourront retrouver les ressources pour continuer à apprécier la vie et à dépasser les problèmes du passé ou du présent
pour affronter le futur. De l’autre, il faut reconnaître que certaines souffrances humaines ne peuvent être soulagées, surtout si la détresse dure longtemps. Les prises en charge ou traitements ont aussi leurs limites et contraintes. Des personnes qui ont vécu des événements qui les ont blessées à jamais ou avec
des troubles mentaux sévères peuvent alors, un jour, manquer de courage ou d’énergie pour continuer à vivre. Il faudra sans doute apprendre à accepter leur mort et accompagner leurs proches dans ce chemin! Mais n’oublions pas que nombreuses sont les personnes qui ont retrouvé un sens à la vie après une tentative de suicide, à l’instar de Kevin Hines, ce jeune Américain rare survivant d’une tentative de suicide réalisée à partir du fameux «Golden Gate Bridge», alors qu’il était à peine âgé de 21 ans. Aujourd’hui, bien que souffrant d’une maladie psychiatrique chronique, il est devenu un ambassadeur très engagé dans la prévention du suicide et en 2013 auteur d’un ouvrage sur son histoire, intitulé Cracked, Not Broken: Surviving and Thriving After a Suicide Attempt.
1 Durkheim, É. (1897). Le suicide, Quadrige PUF, Paris, 1983.
2 L’Organisation mondiale de la santé inclut ces conduites dans
les tentatives de suicide dans son rapport de 2014 sur la prévention
du suicide, même si la psychopathologie sous-jacente est en partie
différente. http://www.who.int/mental_health/suicide-prevention/
world_report_2014/fr/.
3 Le nombre annuel de suicides au Luxembourg connaît une
grande fluctuation due en partie à la taille réduite de sa population.
Afin de parer à ces fluctuations, l’OMS recommande notamment
d’agréger les données sur des périodes de 3 ans, méthode que nous
privilégions dans cet article.
4 Chiffres du Statec au 1er janvier 2015.
5 Le détail des chiffres de l’année 2014 n’est pas encore publié,
raison pour laquelle nous communiquons les chiffres pour la période
2000 à 2013 (n=1.017).
6 Statec – recensement de la population 2011: http://www.statistiques.
public.lu/catalogue-publications/RP2011-premiers-resultats/
2012/04-12.pdf.
7 Les chiffres internationaux sur le suicide sont établis suivant la
définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans un
souci d’une plus grande exhaustivité des données, depuis 1975, les
données sur le suicide au Luxembourg sont généralement communiquées
en rassemblant les lésions auto-infligées et les événements
dont l’intention n’est pas déterminée, ce qui explique des taux de
suicides nationaux plus élevés avec la définition luxembourgeoise
qu’avec celle de l’OMS.
8 Arsenault-Lapierre, G.; Kim C., Turecki G. (2004). « Psychiatric
diagnosis in 3275 suicides: a meta-analysis » in: BMC Psychiatry 4
(37).
9 Hegerl, U.; Wittenburg, L. (2009). «The European Alliance
Against Depression: A Multilevel Approach to the Prevention of
Suicidal Behavior » in: Psychiatric Services 60 (5), pp. 596-599.
10 Wassermann D., Rihmer Z. et al (2012). «The European Psychiatric
Association (EPA) guidance on suicide treatment and prevention
» in: European Psychiatry 27, pp. 129-141, doi:10.1016/j.
eurpsy.2011.06.003.
11 Téléchargeable sous http://www.sante.public.lu/fr/politiquesante/
plans-action/plan-suicide/index.html.
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