- Energie
L’économie circulaire: considérations fondamentales
Une planète Terre de plus en plus peuplée, une menace climatique sourde et une déplétion indéniable des ressources ont généré des inquiétudes grandissantes qui se sont manifestées dans une pléthore de concepts: décarbonatation, décentralisation, découplage énergie-production, décroissance, croissance zéro, frugalité verte, sobriété énergétique et enfin, économie circulaire. Cette dernière, parmi les plus populaires, n’a pas de définition stable ce qui fait que tout le monde semble y trouver son compte. Les faiblesses du concept sont cependant patentes.
On a par exemple la malencontreuse tendance à appeler un objet «recirculé» même s’il ne l’a été qu’une seule fois, ou un nombre réduit de fois. Recirculer cependant implique une action continue dans le long terme, sinon dans la pérennité. Si un pneu usé a été broyé pour l’ajouter à la confection de pneus neufs ou pour en faire des tapis pour terrain de jeu, et que ces derniers sont incinérés au bout d’un certain temps, le pneu a parcouru juste une seule «vie» de plus par rapport à une incinération directe. Sur le court terme, il est clair qu’on a économisé de la matière première, mais sur le long terme, le gain est négligeable, du fait, dans le cas présent, de l’inadéquation des marchés de pneus neufs par rapport à ceux des pneus usés.
Or la nécessité théorique de recyclage total s’éclaire par la métaphore suivante: Si, dans un navire qui fait eau par une demie douzaine de brèches, on arrive à en colmater deux ou trois, le bâtiment finira par couler quand même, – juste un peu plus tard. Un nombre réduit de recyclages n’est pas plus qu’un atermoiement, à résoudre par les générations à venir. En d’autres termes, serons-nous capables de dire un jour: «Voici un objet en cycle no 7452, en voici un en recyclage no 103736, …» et idem pour des millions d’objets. Si tel n’était jamais le cas, la circularité n’aurait pas atteint son but. Un second piège dans lequel on tombe fréquemment, celui de la pars pro toto, consiste à confondre la partie avec le tout, et de crier victoire intempestivement. Le seul plastique actuellement recyclable, du moins à un nombre réduit de cycles, est le PET thermoplastique (si tant est que le prix du brut rend un recyclage économiquement viable). De la douzaine de grandes familles de plastiques, c’est la seule à tenir la route. Voilà pourquoi on en parle constamment, – tout en oubliant les onze autres, tels par exemple les thermodurcissables totalement irrecyclables.
Il y a donc lieu d’analyser les écueils sur lesquels le concept d’économie circulaire risque de s’échouer sur le long terme, et cela à l’aune des réalités qui font notre monde. Pour éviter le flou dans une discussion sur la circularité, on a besoin de quelques énoncés fondamentaux.
Enoncé # 1: l’économie circulaire est implantée dans la perpétuité
Le temps est la variable la plus fondamentale du concept de l’économie circulaire. Notre planète est censée rester habitable jusqu’à la mort du soleil, c.à.d. encore pendant des millions d’années. Voilà pourquoi tout manquement à la circularité absolue sera irrémédiablement sanctionné de conséquences graves, car toute déficience se verra multipliée par un nombre immense d’années. C’est là toute la gravité de la variable «temps».
Voici un exemple quantitatif : si je recycle une matière à un taux de 95%, en collectes annuelles, il ne me reste que 20% de la masse initiale au bout d’une génération; au bout de 2 générations, le résidu est proche de zéro. Or, pour le moment, aucune matière n’est encore recyclée à ce taux élevé.
Enoncé # 2 : la primauté des lois naturelles, dont la thermodynamique
Pourquoi s’inquiéter sur le très long terme, pourrait-on objecter, puisque la société humaine et sa technologie changeront immanquablement et toute prédiction sera vaine. Cette objection n’est pas pertinente, car l’économie circulaire reposera sur les lois de la physique, et plus précisément, sur celles de la thermodynamique, les plus générales de l’univers. La fameuse 2ième loi énonce que le désordre (entropie) ne peut qu’augmenter dans un système fermé. En d’autres termes, toutes les matières finissent par se disperser, surtout si cette dispersion est multipliée par les activités économiques. Exemple : toute peinture industrielle contient comme opacifiant le métal titane, et l’effritement des vieilles peintures disperse le titane sur les terres et les mers. L’entropie interdit la circularité absolue, c.à.d. à 100%, au même titre qu’elle interdit le perpetuum mobile. On peut s’approcher des 100%, on ne les atteindra pas, l’idée de circularité est viciée, et n’équivaut qu’à l’atermoiement déjà mentionné.
Enoncé # 3 : les matériaux sont toujours composites et en instance de vieillissement
Les matériaux industriels sont toujours des alliages ou des mélanges ; les polymères, les ciments, les papiers, les verres. Ce ne sont jamais des corps purs qui, après recyclage, redonneraient le même corps pur. Ainsi, il existe plusieurs centaines d’alliages de fer, tous appelés «aciers» par facilité linguistique, mais tous différents. Recycler des mélanges, amalgames et alliages, présente une difficulté majeure, mais ce fait est quasi toujours oublié. Prétendre que l’acier (ou l’alu, ou le magnésium, ou les polymères et les textiles, etc.) est recyclable à l’infini, est une erreur répandue. Mélanger lors du recyclage des alliages divers et variés en détruit
progressivement la qualité : il en résulte des matières bâtardes. La conséquence en est le downcycling, c.à.d. par rapport à l’utilisation initiale, les recyclés métalliques ne se prêtent plus qu’à des applications inférieures. Essayer d’esquiver le problème en prétendant qu’il faut alors non plus passer par le recyclage de matières, mais par celui des objets, n’est qu’une pirouette linguistique, car à ce niveau, un autre problème se pose, celui du vieillissement.
Tous les matériaux et objets vieillissent au niveau microscopique, moléculaire. Le terme de «vieillissement», utilisé ici dans le sens de la science des matériaux, signifie l’altération progressive et inexorable des propriétés physiques des objets et des matériaux. Chaque matériau se détériore à sa façon. Le béton montre le phénomène de carbonatation. Les aciers vieillissent par le jeu des dislocations, l’alu idem, les plastiques s’oxydent, dépolymérisent ou recristallisent, comme p.ex. le nylon. Les panneaux solaires subissent des phénomènes de diffusion qui diminuent leur rendement. Ces détériorations, qui restent en général invisibles à l’œil nu, jusqu’au moment de la casse, se font à des vitesses très différentes, suivant leur nature et les conditions d’emploi, mais elles le font irréversiblement.
Enoncé #4 : ce qui ne peut être mis à échelle (« scalable ») ne saurait être appelé Solution.
Une technologie applicable à un seul et unique environnement ne peut être retenue pour résoudre des problèmes généraux. L’usine marémotrice de la Rance restera unique et ne sera jamais généralisable, –
à l’opposé des éoliennes et panneaux solaires.
Enoncé #5 : la vengeance de Vilfredo Pareto
Comme conséquence aux difficultés des alliages, faut-il améliorer la technologie de tri pour extraire par le menu les centaines d’alliages ? Pourquoi pas, on s’y emploie d’ailleurs. Cette idée a cependant ses limites, et n’atteindra jamais les 100%. Voici pourquoi. Prenons encore une fois l’acier comme exemple, mais le raisonnement vaut, mutatis mutandis, pour les autres matériaux. L’acier est recyclé sous forme de ferrailles, triées pour en éliminer alu, inox, et autres matières étrangères. S’y glissent cependant subrepticement des ‘tramp-elements’, certains métaux non-ferreux en très petites quantités, qui détériorent les qualités de l’acier au fur et à mesure de la montée de leur concentration. Un tri plus poussé pourra être confié à de robustes robots-trieurs. Si le tri s’en améliore, augmentons l’armée robotique. Mais voilà, les robots finiront par causer leur propre part de déchets, de matériaux, de transport etc., sous-système qu’il faut obligatoirement ajouter au système ferrailles. A un moment donné, un tri encore plus poussé créera des problèmes tels qu’ils annuleront les avantages. En d’autres termes, on aura atteint un Optimum de Pareto, effet économique bien connu qui signifie ici qu’à partir d’un certain niveau, on ne saura pousser le tri plus loin, sous peine de pénalités économiques et environnementales. Le fait que le recyclage provoquera ses propres déchets est une des causes fondamentales qui interdisent une récupération à 100%.
Enoncé # 6 : l’incontournable arithmétique des durées, des taux et des cycles
Le recyclage se mesure au nombre maximum de cycles que peut supporter un matériau, et au taux auquel il est possible de le recycler. S’y ajoute encore la durée d’un cycle. Exemple, le papier. Celui-ci supporte au maximum 6 cycles de recyclage. Au cours des cycles, les fibres cassent au point qu’au bout du sixième, elles sont devenues inaptes à produire du papier. Par ailleurs, admettons que l’environnement économique permette des collectes régulières, disons à intervalles de 3 mois, assurant un recyclage de 50% du papier. Pour l’acier sous forme de rond à béton dans un bâtiment, ces caractéristiques seront très différentes : il ne sera « collecté » que tous les 50 ans, au taux de quelques 60% et supportera plusieurs recyclages. Ce triplet de taux, nombre de cycles et durée de cycles est indispensable pour caractériser le degré de recyclabilité de chaque matériau. Un problème de recyclage se détecte pour le papier au bout de quelques mois, pour l’acier-rond à béton au bout de quelques centaines d’années seulement.
Enoncé #7 : LCA, l’indispensable quantification
Un navire sans compas n’arrivera jamais à bon port. Pour l’économie circulaire, le compas est la méthodologie du Life Cycle Assessment, élaborée sur les dernières vingt années. La LCA est un outil indispensable pour mesurer la réelle ampleur, ou absence d’ampleur, de l’économie circulaire. Tant que l’on ne quantifie pas les divers aspects prétendument circulaires, le résultat reste invérifiable. La bonne nouvelle est qu’au Luxembourg, le LIST s’est fait une spécialité de cette discipline LCA, encore trop peu utilisée.
Enoncé #8 : deux frères ennemis
La lutte contre le changement climatique n’est pas le sujet de cet article, mais il est clair que Global Warming et Economie Circulaire sont intimement liés, non comme Yin et Yang, mais comme frères ennemis. Pour le montrer, il suffit d’observer que la majorité des moyens mis en œuvre contre le réchauffement sont à haute technologie, susceptibles donc d’accélérer la déplétion des ressources par une économie circulaire insuffisante ou peu contrôlée. Exemple : les voitures électriques feront diminuer les émissions de CO2, mais le lithium des batteries (ou un hypothétique successeur) verra ses réserves minières peu à peu épuisées, et sans parler du cuivre des innombrables moteurs électriques à produire. Comme le nombre des véhicules à essence dépasse le milliard au niveau mondial, il y aura lieu de produire un milliard de moteurs électriques, dont une composante indispensable sera le cuivre. Pensez-vous qu’on ait déjà produit une LCA au niveau de ce milliard? La Chine y a pensé, elle procède actuellement à la mainmise mondiale sur les mines de cuivre.
Epilogue et espoir
On a vu que la circularité, hard ou soft, ne résoudra pas le problème, car elle ne résultera qu’en atermoiements. Serait-ce donc là la chronique d’une austérité annoncée?
Et pourtant, l’histoire n’est peut-être pas si noire, ou, comme vous console ebay : ‘Everybody deserves a second chance’. Le salut provient éventuellement du principe de la conservation de la masse, principe énoncé par Lavoisier il y a plus de deux cents ans: Rien Ne Se Crée, Rien ne se Perd. Il s’en suit donc que la masse de cuivre, ou d’antimoine, et des autres matériaux, n’a pas diminué au niveau de la planète, même si elle est archi-dispersée et que les mines sont vides. Il suffirait alors d’aller récolter les brebis perdues, même si ce sera atome par atome, dans la nature, sur les terres et dans les océans. Mais la seconde loi thermodynamique n’interdit-elle pas justement cette procédure? Oui, dans un système isolé, comme celui de la Terre, non dans un système ouvert, ouvert par exemple au rayonnement solaire. Il n’est pas impossible, grâce à l’apport d’énergie extraterrestre, quasi inépuisable de ce rayonnement, d’activer des machines minières extractives autonomes et universelles, qui arrivent à récupérer les matières et matériaux de la dispersion dans laquelle l’activité humaine les a bannies. Ces machines, qui produiront fatalement leurs déchets à elles, devront cependant être capables de générer une extraction minière nette positive. Cette aventure, aux antipodes du recyclo-soft, sera dure, accaparante, longue, dangereuse, couteuse et éveillera toutes les convoitises, mais c’est probablement là la seule solution. Ce sujet est traité avec plus de détails dans l’article Space Mining du même auteur.
JL
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