Les coopératives au Luxembourg

Le droit luxembourgeois n’est pas à la hauteur des enjeux

La vie coopérative luxembourgeoise a connu des hauts et des bas, et la dernière partie du XXe siècle n’a certainement pas été la période la plus faste. Mais depuis une petite dizaine d’années, de nouveaux frémissements se font sentir: coopératives de production d’énergie solaire, coopératives de logement, coopératives de production ou de commercialisation biologique… Nous n’insisterons pas là-dessus, c’est l’enjeu d’autres articles de montrer ce renouveau. Nous nous concentrerons plutôt sur ce que dit des coopératives le droit luxembourgeois. En général, il faut constater que celui-ci est assez pauvre au regard des principes coopératifs traditionnels, et que toutes les incitations qui ont pu être faites à sa rénovation sonnent plutôt comme des occasions manquées.

Origine belge

Les sociétés coopératives au Luxembourg sont régies par la loi des sociétés commerciales de 19151, un texte qui constitue (ou plutôt constituait) la réplique exacte de la loi belge du 18 mai 1873. L’une et l’autre sont marquées par un relatif libéralisme, en ce sens qu’elles ont voulu laisser aux coopératives la liberté la plus grande en ne les règlementant presque pas. Parallèlement, le pouvoir politique était marqué par une relative méfiance vis-à-vis des mouvements coopératifs, considérés comme proches des milieux ouvriers et socialistes. C’est la raison pour laquelle les sociétés coopératives ont été intégrées à la loi sur les sociétés commerciales, pour renforcer leur normalité entrepreneuriale et les éloigner des aventures réformistes ou alternatives dans lesquelles certains de ses promoteurs auraient voulu les emmener.

Une difficulté émerge du fait de l’extrême libéralisme du droit des coopératives: l’existence de coopératives au Luxembourg ne correspond en rien aux standards internationaux des coopératives.

En effet, il existe des principes non impératifs vu qu’ils sont issus d’une organisation privée nommée «alliance coopérative internationale». Créée en 1900, cette organisation regroupe l’ensemble des mouvements coopératifs de tous les pays, et celle-ci a établi des principes qui décrivent l’identité et le fonctionnement habituel des coopératives: autonomie, participation des membres à l’activité de la coopérative, gouvernance démocratique, appropriation collective de l’entreprise… Les principes ne figurent pas dans les lois belge et luxembourgeoise. Cependant, les coopérateurs peuvent les inclure dans leurs statuts lorsqu’ils portent un projet coopératif
mais il n’y a pas d’obligation.

Or, la coopérative est susceptible de bénéficier de dispositifs spécifiques pour tenir compte de ses particularités, que ce soit au plan fiscal ou en termes de financement public. Il est donc tentant pour certaines entreprises de revêtir l’habit de la coopérative pour en bénéficier, sans toutefois adopter le mode de fonctionnement des coopératives, avec ses contraintes propres. Pour lutter contre ce qui a été appelé les «fausses coopératives», la Belgique a fait le choix d’instaurer un agrément2, qui ne peut être obtenu qu’avec la justification de se conformer à certaines règles, correspondant peu ou prou aux principes coopératifs universellement reconnus. Et, naturellement, seules les coopératives agréées sont alors bénéficiaires du régime juridique conçu pour les coopératives. Le Grand-Duché n’a pas suivi cette voie, pour partie parce qu’il n’a pas connu la vague de fausses coopératives, pour partie, et ce second point explique le premier, parce que les mesures en faveur des coopératives n’y ont jamais été importantes. Inversement, le Grand-Duché a créé un statut autonome pour le monde agricole, nommé «association agricole3», qui consacre les principes coopératifs et donne un moule beaucoup plus contraignant. Les personnes concernées ne se trompent pas quand ils nomment ces associations agricoles de Genossenschaft, terme allemand qui désigne la coopérative.

Un cadre minimaliste

Les articles 113 et suivants de la loi du 10 août 1915 fournissent toutefois quelques règles sur les coopératives. D’abord, et c’est le point central, la variabilité du capital et conséquemment des membres de la coopérative (art. 113). Les sociétés sont traditionnellement à capital fixe (évolutif seulement par modification des statuts), si bien que pour quitter une société, il convient de trouver un acheteur de ses parts sociales ou actions. Dans la coopérative au contraire, il est loisible à la coopérative d’émettre de nouvelles parts pour accueillir de nouveaux membres, ou d’annuler les parts de ceux qui veulent la quitter. Ainsi, comme dans une association, chacun entre et quitte la coopérative sans formalité. Parallèlement, trace de la méfiance des pouvoirs publics, la loi instaure un système de contrôle des coopératives, avec l’obligation d’une surveillance interne que le ministre peut à tout moment consulter.

Entre deux, la loi coopérative prévoit quelques dispositions supplétives (art. 117), c’est-à-dire qui s’appliquent si les statuts n’ont pas prévu d’autres mécanismes. On compte parmi ces dispositions le principe «une personne une voix», et un système original de répartition des bénéfices et des pertes: la moitié répartie par parts égales, l’autre moitié proportionnellement au capital détenu. Ce sont des bribes de principes coopératifs, mais c’est bien peu par rapport à l’étendue des règles habituellement consacrées. Parmi les manques les plus criants, on relèvera l’absence totale de référence au principe de l’engagement économique des membres aux activités de la coopérative (transaction avec la coopérative qui rend des services à ses membres, par opposition à l’associé qui ne cherche dans la société que la maximisation des bénéfices tirés de ses apports financiers). Par conséquent, le mécanisme de la ristourne, qui organise la répartition des résultats de l’entreprise coopérative au prorata des opérations réalisées entre celle-ci et chacun de ses membres, est complètement ignorée.

Les dernières réformes

La loi du 10 août 1915 a connu diverses réformes, et la section relative aux sociétés coopératives ne fait pas exception. Il faut d’abord mentionner la création par la loi du 10 juin 1999 d’une coopérative organisée comme une société anonyme4. Cette structure n’a plus rien d’une société coopérative, et ne s’explique que par la recherche d’une forme juridique qui échappe aux directives européennes sur les sociétés commerciales. De façon moins problématique, le Luxembourg a dû adapter sa législation à la création en 2003 d’une société coopérative européenne5. L’innovation est toutefois sans incidence sur les sociétés coopératives nationales, et le faible nombre des sociétés coopératives européennes donne à la réforme, qui de toute façon ne fait pour l’essentiel que transcrire les règles européennes, un caractère assez formel. La réforme récente et globale de la loi de 1915 par la loi du 10 août 2016 a également touché la section relative aux sociétés coopératives, mais à nouveau de façon très technique et avec des modifications mineures. On relèvera seulement l’exigence, au cas où la société serait à responsabilité limitée des associés (cas le plus fréquent), qu’une partie du capital soit fixe (art. 115) ; sans entrer dans les détails, il s’agit là d’une modification techniquement importante, mais qui ne modifie pas l’appréciation générale sur la pauvreté du droit coopératif luxembourgeois.

Une réforme plus importante, quoiqu’elle ne touche pas directement la société coopérative, résulte de la loi du 10 décembre 2016 instaurant une société d’impact sociétal6. Cette société n’est pas à proprement parler une société nouvelle, elle est seulement une modalité particulière que peuvent choisir les fondateurs ou les associés d’une société commerciale, du moins d’une société anonyme, d’une société à responsabilité limitée ou d’une société coopérative7. Cette modalité particulière requiert l’obtention d’un agrément ministériel, subordonné au respect de certaines conditions: principalement l’exigence d’un objectif sociétal mesurable par des indicateurs de performance adaptés. Cette société n’a pas vocation à se substituer à la coopérative, elle peut d’ailleurs se greffer sur une telle structure. Elle aurait même plutôt pour but de pallier à l’insécurité juridique dans laquelle se trouve les ASBL qui exercent une activité économique, dans la mesure où la jurisprudence tend à leur refuser le plein exercice de cette activité. Là où cette réforme influe sur les coopératives, c’est en ce que la coopérative aurait pu être choisie, en la rénovant, pour remplir cette fonction. L’absence de réforme substantielle de la société coopérative et la création parallèle d’une nouvelle sorte de société manifeste donc le désintérêt des pouvoirs publics pour la coopérative.

Le revers de la médaille

Le droit luxembourgeois apparaît comme relativement isolé dans son choix (relativement car d’autres législations sont également minimalistes). La société coopérative européenne par exemple consacre la plupart des principes coopératifs, même si elle le fait de façon assez complexe parce qu’avec de multiples renvois aux législations nationales. De même, le Grand-Duché est en total décalage avec la recommandation de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui demande aux États d’instaurer une législation propice au développement des coopératives et mentionne parmi les dispositions requises la traduction des principes coopératifs universellement reconnus (ceux de l’alliance coopérative internationale). Il ne s’agit certes que d’une recommandation mais le Luxembourg, pourtant membre de l’OIT, n’en a fait aucun cas. En dépit des décalages par rapport à l’étranger, l’extrême modestie de la loi luxembourgeoise n’est pas sans mérite. Elle autorise les fondateurs de coopératives à faire preuve d’imagination, à transcrire dans leurs statuts l’exact mode de fonctionnement qu’ils envisagent et à expérimenter de nouveaux équilibres. On retrouve là tout l’avantage du libéralisme. Toutefois, il y a un revers à la médaille, et il nous semble qu’il conduit à regretter, sinon le choix effectué il y a un siècle, du moins l’absence de réflexion approfondie sur les adaptations nécessaires aujourd’hui. Ainsi, les coopérateurs qui souhaitent s’inscrire dans la tradition coopérative n’ont d’autres ressources que de regarder à l’étranger (en Allemagne ou en France pour les pays limitrophes), ou à s’inspirer des fameux principes coopératifs plusieurs fois évoqués. La tâche n’est pas simple, et ce ne sont pas les professionnels du droit qui les y aideront, tant leur connaissance de ces modèles est à la hauteur des faibles enjeux économiques au regard des grands groupes internationaux plus rémunérateurs pour eux aussi.

Qui plus est, l’absence d’une authentique identité coopérative rend extrêmement difficile la prise en compte des coopératives par les politiques publiques. L’exemple des coopératives d’énergie est particulièrement éclairant. Lorsque le ministère du Développement durable a envisagé d’améliorer le soutien aux énergies renouvelables pour la production d’électricité, il lui a été à peu près impossible d’en faire bénéficier les coopératives, alors même que plusieurs d’entre elles sont très actives dans le secteur. La raison en est purement technique et ne résulte pas d’un parti pris: faute de règles qui garantissent les spécificités coopératives, l’attribution d’un régime plus favorable aux sociétés coopératives inciterait des investisseurs privés à créer de fausses coopératives par effet d’aubaine. Alors, faut-il laisser aux coopérateurs toute liberté ou faut-il leur proposer un moule plus contraignant mais aussi plus protecteur? C’est sans doute une question de dosage, mais c’est aussi une question politique (et ce n’est pas un mot vulgaire) qui n’appartient pas au seul juriste. u

 

1. Section VI de la loi du 10 août 1915 : « Des sociétés commer- ciales » (arts. 113-137)
2. Arrêté royal du 8 janvier 1962 fixant les conditions d’agrément des groupements de sociétés coopératives et des sociétés coopératives.
3. Arrêté grand-ducal du 17 septembre 1945, portant révision de la loi du 27 mars 1900 sur l’organisation des associations agricoles.
Faut-il laisser aux coopérateurs toute liberté ou faut-il leur proposer un moule plus contraignant mais aussi plus protecteur ?
4. Sous-section 2 de la section VI de la loi de 1915.
5. Règlement (CE) no 1435/2003. Par la loi du 10 mars 2014, le
législateur luxembourgeois a créé une sous-section 3 relative à cette nouvelle société coopérative (arts. 137-11 à 137-62).
6. Loi du 12 décembre 2016 portant création des sociétés d’impact sociétal et modifiant diverses lois, Mémorial A, n° 255 du 15 décembre 2016.
7. L. 12 déc. 2016, art. 3.

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